L'espace 12Mail expose jusqu'au 30 avril les dessins volontairement flous de Shoboshobo. Découverte d'un univers graphique original, aussi inquiétant qu'amusant.
Monstrueusement tendance
Non, ne dites pas que c'est flou, c'est voulu. C'est même la spécificité des dessins que Shoboshobo, alias Mehdi Hercberg, expose au 12Mail. Un flou particulièrement soigné et légèrement provocateur pour dénoncer un monde qui l'est aussi. Shoboshobo a toute sa place dans ce lieu d'exposition et de rencontre, qui aime mettre en avant les artistes exerçant leur talent dans les domaines de l'illustration, du graphisme et de la photo.
J'arrive pour le vernissage, impossible de rater le 12, il y a beaucoup de jeunes devant et tous ont soignés leur look. Pas de doute, Shoboshobo est un artiste tendance. Dessinateur, illustrateur, performeur, musicien, organisateur de soirées branchées et d'ateliers de travail pour les enfants, enseignant, Shoboshobo est un créateur parisien protéiforme qui mérite qu'on s'y intéresse, à condition de ne pas avoir peur des monstres.
Casser la voix
Shoboshobo s'est fait connaître des amateurs d'art par ses illustrations, des petits bonhommes poilus, crasseux, avec très souvent la goutte au nez... Ils sont inspirés par Kunnikuman (monsieur muscle). Ils ont même fait le tour du monde sur des T-shirts (H&M). Mais ce n'est pas tout, avec deux copains, il a inventé un nouveau type de jeu vidéo, une curieuse installation : le "Moto karaoké". Face à un écran : deux joueurs casqués. Ils doivent hurler pour faire avancer deux motos. Celui qui crie le plus fort a donc gagné. Ambiance garantie. Prévoir miel, citron et thym pour le lendemain. Ce jeu joyeusement stupide, aurait eu un beau succès au Japon. Mehdi Hercberg y a vécu un an.
Shoboshobo : un drôle d'oiseau
Shoboshobo est passé du mur à la feuille de papier. Ce créateur compulsif adore les yétis, les géants, les films gore des années 80 et avant toute chose : la scène expérimentale japonaise et les mangas déjantés. Son nom d'artiste vient de là. Shoboshobo est en fait une onamatopée japonaise, désignant le bruit d'un ballon qui se dégonfle. Ce mot sert aussi en japonais à qualifier " un truc naze". Choisir un tel nom tendrait à prouver que l'artiste ne manque pas d'humour, c’est bon signe. Imprégné des fantasmes et des dessins fantasques nippons, Shoboshobo a construit, au fil du temps, son propre style. Mais non, c’est pas vrai... Les dessins sont collés à même le mur, à la façon berlinoise ou new-yorkaise, mais certains ne sont pas découpés droit. Un petit détail qui me choque, mais rien de grave. Je me retrouve face un vieux monstre qui fait la moue mais, en cherchant bien, il a un arrière fond sympatique, tout va bien. Techniquement, la complémentarité entre les pois en bas et les lignes en haut est bienvenue.
Disconvenance poétique
En regardant ces œuvres, je remarque un leitmotiv : un goût très prononcé pour des personnages étirés, un peu comme de la guimauve. Shoboshobo est un véritable obsédé de la disproportion et de la monstruosité humaine. "Ces créatures, tapies dans son inconscient, Mehdi a mis des années à les amadouer, à leur donner forme" précise le journaliste et ami julien Bécourt dans le dossier de presse de l'exposition.
Mais Shoboshobo pratique surtout, dans cette exposition, le culte du flou, avec poésie. Et croyez moi, faire un dessin brumeux, ce n'est pas facile du tout. Pour cela, l'artiste se sert de l'aérographe, technique bien particulière qui permet d'obtenir un aspect indistinct à souhait. Il utilise aussi les feutres, la gouache, le stylo Bic, le pochoir et la tablette graphique. Tous les moyens sont bons pour construire son petit monde affreux, sale et méchant, mais aussi... touchant... Et soudain, ce dessin en noir et blanc se transforme en photographie floutée : étonnant.
Calligraphie et gribouillis
Dans les dessins de ce créateur, les traits s'entremêlent comme une calligraphie qui n'arriverait pas à exister et resterait à l'état de gribouillis. A sa façon, Mehdi Hercberg donne un bon coup de pied au cul à l'art du dessin et en semble très fier. Il est probable que la fonction purement illustrative ne lui suffise plus et qu'il soit parti dans une vaste recherche, dont il nous fait part aujourd'hui, à travers cette exposition.
La boîte à gifles
Derrière ces personnages distordus, cette végétation aux allures de jungle, cette écriture qui n'ose pas en être une et ces étranges profondeurs de champ, Shoboshobo a bien l'intention de nous tendre un miroir. Avec un humour acerbe, il dessine des idiots afin de nous placer face à notre propre idiotie. Il décrit la vulgarité et le marasme dans lequel patauge quotidiennement l'humanité. Il dénonce avec véhémence l'autodestruction de la civilisation, la dérive sans éthique du tout technologique et la consommation à outrance. Son œuvre ressemble à une grande fête foraine, elle n'est là que pour dénoncer le cirque qui nous entoure. Mais attention, dans la piste aux étoiles façon Shoboshobo, il y a parfois une jolie tendresse de clown et quelques belles lueurs d’espoir. "Explorer l'idiotie, c’est comme descendre avec délectation aux enfers de l'art, un voyage hilare, quand il n'est pas effrayant". Cette phrase de l'essayiste Jean Yves Jouannais, qualifie, à la perfection les travaux de Shoboshobo. Ce personnage aux bras trop longs, coiffé d'une étrange couvre-chef, est un beau symbole d'un monde qui ne voit plus bien claitr et qui hésite dans l'action.
L'art de la com en bonus
Sous les yeux des visiteurs, Shoboshobo se lance dans la réalisation d'une grande fresque murale (vidéo). Cela devrait lui prendre une semaine. De plus, l'artiste propose aux invités du vernissage, de tirer au paint-ball sur des figures contrecollées sur du carton, des dessins originaux. Ce stand minuscule a un succès énorme et chaque tireur artistique repart avec son oeuvre... Encore un rappel de la fête foraine ou un hommage discret à Niki de Saint Phalle ? Shoboshobo a exposé en Argentine, Suède, Danemark, USA, Allemagne, Italie et bien sûr : Japon. Le musicien a officié pour des labels comme Radars Records ou Stiff, entre autres.
Shoboshobo, le ballon qui se dégonfle, ne manque pas de souffle et sa planète folle mérite qu'on la visite. C'est vite fait, l'espace de l'exposition se résume à une seule pièce.
Espace 12mail : 12 rue du mail, 75002 Paris
Ouvert du mercredi au jeudi de 14h à 16h