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Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
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Musée de l'Orangerie : comment Monet a influencé les peintres américains

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Pour le centième anniversaire de la création du chef d'oeuvre de Monet, les Nymphéas, le Musée de l'Orangerie propose jusqu'au 20 août 2018, l'exposition : "Nymphéas. L'abstraction américaine et le dernier Monet". L'occasion de découvrir comment Claude Monet a contribué à faire évoluer le courant de l'abstraction, dans la seconde moitié du XXe siècle. Visite.  

Tout commence en 1955, Alfred Barr, homme curieux et novateur, directeur du Museum of Modern art de New York fait entrer dans les collections du musée, un panneau des Nymphéas de Claude Monet. Les artistes américains découvrent la grandeur de l’œuvre et la fluidité de la touche picturale de Monet. A cette époque, l’art américain se cherche un peu, il se perd entre des portraits convenus et des paysages plutôt sages, en attendant la futur révolution du Pop Art. Ce panneau de Monet, au MoMa, tombe plutôt bien. C’est un choc pour de nombreux jeunes créateurs américains. En 1956, le critique Louis Finkelstein invente le terme « impressionnisme abstrait » afin de désigner un courant artistique de jeunes peintres américains, très intéressés par Monet. Mais ils veulent aller encore plus loin que le maître de Giverny. Alors quelle place a tenu Monet dans l’évolution de l’art américain ? A travers cette exposition, le musée de l’Orangerie envisage de nous donner la réponse. Cocorico, un français aurait considérablement influencé la peinture américaine de la New York School, j’ai hâte de voir ça. Je prends donc la direction du Jardin desTuileries, où se trouve l’important bâtiment du musée de l’Orangerie. C'est là que sont exposés les fameux Nymphéas de Claude Monet, les nénuphars les plus célèbres du monde.

Claude Monet : Nymphéas bleus, 1916-1919. Huile sur toile, 204 cm x 200. Musée d'orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

La fluidité de Monet

L’exposition se situe au deuxième sous-sol. Mon regard est immédiatement attiré par ce Monet, c'est une cascade couleur. Monet peint un arbre, mais il va déjà à la limite de l'abstraction.

Claude Monet : Le Saule pleureur, 1920-1922. Huile sur toile, 110 cm x 100. RMN-Grand Palais (musée Orsay) / Michèle Bellot

Grands Nymphéas

On l’a un peu oublié, mais cela n’a pas été simple pour l’impressionniste français. En mai 1927, le musée Monet est inauguré à l’Orangerie, 22 panneaux des Nymphéas. De nombreux critiques, comme Lionello Venturi, estiment que les Nymphéas sont « La plus grave erreur artistique commise par Monet ». Voilà qui part plutôt mal, la suite on la connait. Aucun doutes : les Nymphéas sont un hymne à la nature, un véritable symbole de vie et un des chefs d’œuvre de la peinture française. Huit grands panneaux (91 mètres) sont exposés en permanence au musée de l’Orangerie, je vais donc y jeter un coup d’œil. Comme toujours, je suis surpris par la taille des panneaux et par la beauté de ce paysage d'eau.

Nymphéas Orangerie 01. Les Nymphéas de Claude Monet, salle 1, Musée de l'Orangerie., Dist RMN-Grand Palais / Sophie Crépy Boegly

Le danseur Pollock

Allez, je retourne au deuxième sous-sol pour un comparatif entre l’abstraction américaine et les toiles de Monet. Alors que Monet bougeait très peu quand il peignait, il regardait avec intensité la nature qui l’entourait, puis se tournait pour donner un petit coup de pinceau sur la toile, l’américain Jackson Pollock jetait sa peinture en dansant autour du tableau et l’abordait par tous les côtés en même temps. Pourtant il y bien des points communs avec Monet : composition souvent verticale et un sentiment de vibration qui habite toute l’œuvre. Dans ce tableau de Pollock, à droite, je remarque que la forme noire sur fond blanc semble, comme chez Monet, prise dans une légère brume ou dans un matelas de plumes. Et comme Monet, Pollock recherche un « aspect non fini ».

Vue générale de l'exposition : "Nymphéas. L'abstraction américaine et le dernier Monet", Musée de l'Orangerie, 2018. Photo Sophie Crépy Boegly

Carnets de notes et petit pont 

Dans une vitrine je regarde deux carnets de notes de Claude Monet. Sur ces pages, le maître a juste griffonné quelques formes, vites tracées au crayon. C’est juste une indication de la composition, tout reste à faire. C’est assez impressionnant de voir ça. Un peu plus loin, je reste longtemps devant cette toile de Monet, représentant un pont. Là, Monet va loin, jusqu'à l'abstraction. Et cela n'a pas échappé aux jeunes artistes américains.

Claude Monet : Le Pont japonais, 1918-1924. Huile sur toile, 73 cm x 100. Studio Sebert, Paris

Points communs

J’observe un magnifique Rothko gris et violet, couleur qu’affectionnait Monet, pour ses Nymphéas. En 1964, Rothko se lance dans la réalisation de 14 toiles pour une chapelle de Houston. Le dispositif d’ensemble n’est pas sans rappeler les Nymphéas de l’Orangerie.

De la force de la couleur

L’impressionnisme abstrait américain se revendique ouvertement de Monet. Beaucoup d’artistes de l’autre côté de l’Atlantique, viennent en France pour admirer les œuvres de Monet, mais aussi des autres impressionnistes. J’observe, au fond sur cette image, un tableau de Morris Louis. Il est évident qu’il est directement dans l’esprit des deux toiles de Monet, sur les côtés. Le choix des coloris est le même, je retrouve la même verticalité, la même envie de suggérer la nature, la même douceur et la même sensibilité. Chez Louis, la toile se résume à des traits verticaux, très fin, et cela annonce les œuvres textiles de Sheila Hicks. Je suis assez admiratif du jeu de couleurs du tableau de Morris Louis, allant du vert au gris, en passant par le jaune, avec une extrême subtilité.

Vue générale de l'exposition Nymphéas. L'abstraction américaine et le dernier Monet. Photo Sophie Crépy Boegly / Adagp, Paris 2018

Désir de spiritualité 

Mais il y a un autre point commun entre Monet et les jeunes peintres américains. Si l’impressionniste français voulait avant tout mettre en image des effets optiques issus de la nature, il désirait aussi, à la fin de sa vie, donner à ses toiles une résonance plus spirituelle. C’est exactement ce que vont faire les « impressionnistes abstraits » américains. A ce stade, il faut donc parler « d’une abstraction lyrique ». Philip Guston est un proche de Pollock. Il voyage en Europe en 1948, il découvre les peintres français du XIXe siècle. Je retrouve dans cette toile la même luminosité brumeuse que chez Monet. La lumière semble venir du fond du tableau. Je trouve que cette œuvre, comme chez Rothko, incite à la méditation.

Philip Guston : Painting, 1954. Huile sur toile, 160,6 cm x 152,7. The Estate of Philip Guston, courtesy Hauser & Wirth

Une visite qui compte

Ellsworth Kelly s’installe en France après la Seconde Guerre Mondiale. Il n’hésite pas aller en Suisse, où les Nymphéas sont provisoirement exposées. Il écrit aux héritiers de Monet, qui l’invitent à Giverny, la maison de Monet. Après cette visite, Kelly réalise ce tableau vert, avec quelques traces de bleu. Comme chez Monet, j’ai l’impression d’un très léger mouvement, comme une danse d’herbes et de mousses au fond d’un étang. A propos de Monet, Kelly a écrit en 2001 : « Les derniers tableaux de Monet ont eu une grande influence sur moi et, quoique mon travail ne ressemble pas au sien, je crois que je veux que son esprit soit le même ». En regardant cette œuvre, cela me paraît être une évidence.

Ellsworth Kelly : Tableau vert, 1952. Huile sur bois, 74,3 cm x 99,7. Courtesy The Art Institute of Chicago Artwork. Ellsworth Kelly Foundation

Une soif de liberté

A titre personnel, j’aurais aimé voir plus de toiles abstraites américaines, pour que la démonstration soit indiscutable. Mais cette exposition a le mérite de mettre en avant l’abstraction lyrique aux U.S.A et de replacer Monet à sa juste place dans l’évolution de l’art américain. Oui, ce peintre français, presque aveugle à la fin de sa vie, a offert un souffle, une respiration, une envie de lumière et de spiritualité à la jeune garde américaine des années 50.

Avec ses formats gigantesques et l’audace de sa peinture, Monet a donné aux jeunes artistes américains, le goût de la liberté. En 1944, Barnett Newman (1905-1970), peintre new-yorkais, figure majeure du mouvement « expressionnisme abstrait », déclare : « Ce n’est pas Cézanne qui a déclenché la révolution dite de l’art moderne. L’honneur en revient aux impressionnistes. Ils ont libérés l’artiste de l’influence de la Renaissance et de ses séquelles académiques ». Et Barnett Newman pense avant tout à Monet. Après cette belle exposition, je me dis que ce n’est peut-être pas faux…

Musée de l'Orangerie : 1 place de la Concorde, 75001 Paris

De 9h à 18h tous les jours sauf le mardi

Entrée : 9 euros / TR : 6,5

 

 

 

 

 


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