L'espace culturel parisien, le Maif Social Club, présente jusqu'au 02 août 2018 l'exposition collective : Attention Intelligences, une analyse de nos capacités à interagir avec le monde et les regards des artistes sur les machines qui, dit-on, seraient plus intelligentes que nous. Un voyage inattendu au pays des nouvelles technologies. Visite
Cela fait longtemps que je dois aller au Maif Social Club, un espace pluridisciplinaire crée en 2016. Ce lieu caché en plein cœur du Marais, à deux pas de la place des Vosges, a la bonne idée de vouloir marier art et nouvelles technologies. Son slogan est clair : « Là où le monde s’agite ». Pourtant, la petite cour qui abrite le Maif Social Club a l’air si calme, il me semble qu’elle n’a pas beaucoup bougé depuis le XIXe siècle.
Questionnement
J’entre et tout de suite, j’ai l’impression de pénétrer dans une start up ou une entreprise, plutôt que dans un lieu d’exposition.Trois personnes se précipitent vers moi avec un large sourire. Pas de doute, en matière de com, ils sont au point. Le titre de l’exposition est très important : Attention Intelligences, AI. Vous inversez et vous obtenez : IA, comme intelligence artificielle. A l’heure où le sujet passionne, fascine et inquiète, voilà une exposition qui tombe à pic. La vérité oblige à dire que l’homme ne fait plus le fier face à la machine et aux algorithmes : la machine va-t-elle nous broyer, être meilleure que nous, nous espionner totalement y compris dans nos émotions ? Pire, nous commençons à nous demander ce qui nous différencie de la machine. Pourtant, la réponse est simple : l’attention. Et c’est autour de ce mot, très important, que s’articule cette exposition. Oui, les artistes travaillent de plus en plus main dans la main avec les scientifiques et eux aussi s’intéressent de très près à l’Intelligence artificielle. Je jette un premier coup d’œil. La scénographie m’évoque un grand jeu, les couleurs dominantes sont le noir et le blanc, comme un damier.
Faut-il supprimer l'empathie ?
Soudain, on me propose de vivre une expérience originale, à savoir de simuler une rencontre avec un robot humanoïde. Je m’assois donc en face de la machine, qui ressemble tout de même beaucoup à un être humain, mais je joue le jeu. On me donne les éléments de langage pour communiquer avec le robot. Le but de cette étrange rencontre est de m’apprendre à avoir moins de spontanéité, moins d’empathie et plus de contrôle de moi-même. Ce curieux échange a aussi pour but de me faire réfléchir sur la notion de concentration et sur la rencontre avec l’autre. En vérité, il s’agit d’une nouvelle forme de théâtre qui prend en compte l’ère numérique. La troupe se nomme « GK collective ». Pour elle, numérique, capitalisme galopant et société de surconsommation égalent risque de prendre l’autre pour un objet et non pour un sujet. Voilà de quoi réfléchir. Dernière information : quoiqu’un peu froid, mon robot était très sympathique. "Je suis les liens que je tisse" disait Albert Jacquard.
Omniprésence
Je continue ma visite et je ne suis pas au bout de mes surprises. Lionel Palun présente une vidéo aux allures psychédéliques, avec un petit bonus : quand le visiteur se place devant les images, son visage entre dans la vidéo. « Je veux faire une peinture avec les objets d’aujourd’hui » affirme l’artiste. En réalité, il reprend le système policier de la reconnaissance faciale et l’applique à des fins artistiques. A travers ce procédé technique, il pose la question de notre rapport à l’ère numérique et de notre attention aux données que l’on accepte de rendre publiques ou non, un sujet d’actualité. L’observateur entre et participe à la vidéo, mais en réalité, qui regarde qui ?
Sensibilité et technologie
Un gros coup de cœur pour Yann Nguéma et ses deux œuvres présentées. Je suis face à une étrange vision : un masque de Geisha, d’une grande douceur, gravé sur trois blocs de verre, sur lesquels est diffusée une vidéo de tous les organes humains. L’ensemble compose un visage des plus fascinants et d’une grande beauté. La douceur du faciès évite le côté film de zombies et c’est une bonne idée. J’apprends que Yan Nguéma vient de l’univers de la musique, il est membre du groupe Ez3chiel, qui n’hésite pas à utiliser un grand ballon recouvert de capteurs lors de ses spectacles. Nguéma allie magie et technologie, la preuve :
Neurones
La deuxième œuvre de Nguéma est aussi belle que la première, c’est un cube de verre suspendu associé à une double projection de réseaux neuronaux. L’effet miroir est aussi surprenant que réussi.
Climatologie
Antoine Chapont et Nicolas Gourault proposent une étrange installation : des visages recouverts de téléphones mobiles sur lesquels passent des images de nuages. J’apprends qu’il s’agit de personnages historiques, qui tous, ont modifié le climat, en positif, comme en négatif. A travers cette œuvre, les deux artistes nous incitent à réfléchir sur notre envie de maîtriser le chaos, de tout contrôler par la technique et l’imagination programmatrice. Ici les nuages sont dans les visages, technique et rêve se marient avec surprise, et quelques fils un peu trop voyants à mon goût.
A propos de l'attention
Tiens, un étrange objet : une sorte de gros œuf coloré ou de méduse. Quand j’arrive devant elle, l'étrange bestiole réagit et émet de nombreux signaux lumineux colorés. Cette machine, grâce à une programmation informatique subtile, ressent des émotions. Le visiteur peut même vérifier, sur un écran, quel type d’émotion à un moment précis, s'échappe de cet objet au grand cœur. A travers cette réalisation étonnante, Fréderic Deslias pose la question de l’attention. Peut-on être attentif à quelqu’un sans être attentionné à son égard ? Si cela est vrai pour les humains, est-ce vrai pour les relations entre humains et machines ? Maintenant que nous vivons avec des machines, devons-nous faire plus attention à elles ? Et comment, demain, nous comporterons-nous face à des machines capables de ressentir des émotions ? Grrrrr, ça fait un peu peur, mais mieux vaut y réfléchir dès maintenant.
Analyses des données
Joris Mathieu est un metteur en scène de théâtre, il a travaillé avec un chercheur du CEA, pour mettre au point une étrange machine à images, très proche des hologrammes. J’observe un grand pied de bois avec au sommet une collerette de plastique rétro-réfléchissante. Grâce à six projecteurs et à un casque audio, j’entends et je vois défiler de nombreuses listes d’objets. Mon casque étant sans fil, je tourne autour de l’installation. L’objet m’apparaît sous différentes facettes. Les trois créateurs de cette installation posent une question simple : les algorithmes qui listent tout, qui compilent tout, nos objets et nos vies, représentent-ils une forme de danger ? Mais ce n’est pas tout, car à la fin la machine commence à s’intéresser à ce qu’elle a enregistré. Ce prototype, raconteur d’histoire, est assez fascinant.
Gros plan
Jean Fremiot est un photographe réputé, qui présente son premier film photographique. Il l’a tourné avec un appareil photo 5D, utilisé aujourd’hui par de nombreux cinéastes. Jean Fremiot, qui vit depuis quelques années dans le Berry, montre les machines agricoles de très près. Je regarde ces images, les gros plans se succèdent, parfois en rafales, et les tracteurs apparaissent comme des monstres de fer ou des armes de guerre. La bande-son est de la vielle à roue, surprenant. Jean Fremiot veut attirer notre attention sur une agriculture intensive, distributrice de pesticides et qui assèche les sols de plus en plus. Encore une fois, il s’agit de l’attention que l’on porte à ce que l’on voit, c’est le leitmotiv de toute cette exposition.
La pensée décortiquée
Je termine ma visite par une séance de réalité virtuelle. Je suis dans l’eau, face à deux palmiers et une voix off m’incite à faire attention (tiens tiens…) à un tas de comportements et d’éventualités. Avec cette expérience numérique, Lucie Conjard, David Alexandre Chanel et Frédéric Raventin veulent nos donner l’occasion de repenser la pensée : vaste programme…
Je suis ravi d’avoir vu cette exposition, preuve que l’art et les nouvelles technologies peuvent très bien se marier et avoir de beaux enfants surprenants. Toutes les machines que nous fabriquons tissent des liens avec nos neurones. Elles nous aident et nous menacent, les fantasmes vont bon train. Cette présentation a le mérite de nous pousser à plus de concentration et d’attention vis-à-vis des machines. Et si vous avez besoin d’être rassuré, retenez cette phrase de Frédéric Ravatin, le scénographe de cette exposition : « Le drame de l’intelligence artificielle, c’est qu’elle n’a pas de liberté ». Alors, on a moins peur ? Cette présentation « Attention intelligences » est un régal pour l’esprit et les yeux. De plus, elle vous pousse à créer des liens avec vous-même. Pour comprendre comment se comporter avec les robots, il vaut mieux par commencer par savoir comment ça se passe dans nos têtes… Ne ratez pas cette exposition, et jouez le jeu…
Maif Social Club : 37 rue de Turenne, 75003 Paris