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Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
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Le souffle coloré de Zao Wou Ki au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris

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Le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris présente jusqu'au 06 janvier 2019 les grands formats abstraits du peintre Zao Wou Ki, des oeuvres réalisées entre 1949 et 2006. Découverte d'un monde mystérieux et très coloré, par un génie de la peinture. Un art sans frontière.Visite.   

Zao Wou Ki est double, un Janus autant français que chinois et vice versa. S’il est le plus occidentalisé des peintres asiatiques, il n’oublie pas une seconde la grande peinture de paysage chinoise, toute son œuvre le prouve. Cet hommage au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris est la première grande exposition consacrée à Zao Wou Ki depuis quinze ans. C’est donc un événement. Autant vous le dire tout de suite, j’adore ce peintre. Je reste pantois devant ces grandes écritures volantes qui se diluent dans la couleur et dégagent une immense poésie. J’admire ces mutations perpétuelles. Pas question de rater le vernissage presse. Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris indique « vouloir renouveler la lecture de l’œuvre du peintre et inviter le public à une réflexion sur le grand format », alors là je suis encore plus motivé. J’y vais.

Zao Wou Ki en quelques dates

Le petit Zao voit le jour à Pékin en 1920, dans une famille cultivée et lettrée, descendante de la dynastie Song. Le gamin ne perd pas de temps, dès l’âge de 14 ans il s’exerce aux techniques picturales traditionnelles chinoises. Mais cela ne lui suffit pas, il s’essaye aussi à la technique occidentale de la peintre à l’huile. Mais ça ne va toujours pas, il se tourne vers l’art moderne. En 1948, il arrive en France. La finesse de son trait et son style pattes de mouche lui vaut l’admiration d’Henri Michaux, peintre des signes. En 1951, lors d’un voyage en Suisse, il découvre l’œuvre de Paul Klee : un choc. Il se lance à cœur perdu dans l’abstraction. Un voyage aux Etats-Unis en 1957 le conforte dans cette idée. Il rencontre les artistes américains de l’Action Painting (Expressionnisme abstrait), mais l’art chinois tient toujours une place dans son esprit. Année après année, il peaufine son style, personnel, poétique, fluide, dramatique. Les expositions se multiplient, les honneurs et les soutiens aussi. Zao Wou Ki meurt en 2013. C’était un homme discret et élégant, comme sa peinture. Ici, les bleus se marient avec les roses avec une douceur infinie.

Zao Wou Ki : 03 12 74, 1974. Huile sur toile, 250 cm x 260. Adagp, Paris 2018. DR.

Un tableau important

Sans cette toile de 1968, cette exposition n’aurait peut-être pas eu lieu. En 1971, le conservateur en chef du musée, Jacques Lassaigne, demande à la Ville de Paris d'acheter cette toile. Elle rentre donc dans les collections du musée. Et c’est en la voyant régulièrement que l’actuel directeur a eu envie de monter une grande exposition sur Zao Wou Ki. J’observe ce tableau, c’est une spirale fantastique, un monde à part, mais si près du nôtre. Il y a toujours quelque chose d'organique qui renvoie au début du monde chez Wou Ki.

Zao Wou Ki : 06 01 68, 1968. Huile sur toile, 260 cm x 200. Adagp, paris 2018. Julien Vidal / Parisienne de Photographie

Quand la musique est bonne 

Zao Wou Ki peint toujours en musique, elle tient une grande place dans sa vie. Elle inspire le peintre et lui donne l’envie de rythmes et de mouvements, qui habitent chacun de ses tableaux. Dans cette toile, les petits traits noirs s’échappent comme des notes de musique et les mouvements picturaux se suivent comme les enchaînements d’une partition musicale.

Zao Wou KI : Traversées des apparences, 1956. Huile sur toile, 97 cm x195. Adagp, Paris 2018. Dennis Bouchard

Hommage à Edgar Varèse

Une autre toile, plus tardive, prouve cet amour de la musique : « Hommage à Edgar Varèse ». Né en 1883, ce compositeur français naturalisé américain est considéré comme un des pères de la musique électronique. Pour lui rendre hommage, Zao Wou Ki multiplie les ruptures et les surprises visuelles : un tourbillon de traits au centre, un aspect rocailleux dans la partie inférieure, laiteux et léger dans la partie supérieure. Comme dans toutes les œuvres de Zao Wou Ki, chaque zone du tableau, si petite soit-elle, est travaillée et a sa raison d’être. Wou Ki était un travailleur acharné.

Zao Wou Ki devant 29 09 64 et 21 09 67. 1967. Adagp, Paris 2018; David Stekert, Budd studio, 2018

Un voyageur qui a l’œil

Deux hommes sont très importants dans la carrière de Zao Wou Ki : Vadim Elisseeff et Henri Michaux. Vadim Elisseeff est historien de l’art, conservateur au musée Cernuschi et membre fondateur du Conseil International des musées. Lors d’un voyage en 1947, il découvre le travail de Zao Wou Ki et le révèle au monde entier. C’est le début du succès et d’une longue amitié avec Vadim Elisseeff.

Un poète efficace

Le deuxième homme essentiel dans la vie artistique de Zao Wou Ki est le poète et dessinateur de signes, Henri Michaux. Séduis par l’œuvre du peintre chinois, il écrit quelques textes sur Zao Wou Ki, mais ce n’est pas tout. Il demande au galeriste de Picasso et bien d’autres, Pierre Loeb, de visiter l’atelier de Wou Ki. Pierre Loeb y va et ne dit rien. Le peintre est déçu, mais quelques temps plus tard Loeb revient et propose au peintre d’exposer régulièrement ses travaux. Wou Ki va mieux.

La porte-fenêtre 

Je continue ma visite, je suis aux anges malgré le monde qu’il y a. Je remarque une toile qui ne ressemble pas aux autres, elle est constituée de plusieurs bandes verticales colorées. En réalité, c’est un clin d’œil à une peintre que Zao Wou Ki admire profondément : Matisse. Cette composition reprend celle d’une toile de Matisse : «  La porte fenêtre à Collioure ». « Ce silence est noir » écrit Michaux dans son premier poème consacré à Zao Wou Ki.

Zao Wou KI : Hommage à Matisse, 02 02 861, 1986. Huile sur toile, 162 cm x 130. Adagp,Paris 2018. Dennis Bouchard

Nature

Je remarque que la plus part des toiles sont horizontales, comme des paysages, un mot qu’il ne fallait pas prononcer devant l’artiste, qui préférait le terme de « nature », une façon de dire qu’il ne peint pas des images inspirées d’un paysage, mais un chemin allant vers le cœur de la nature. C’est l’âme de la nature qui l’intéresse, pas sa représentation. « Chaque fois qu’on regarde une œuvre, on y voit une chose différente", dit une femme devant moi, pas faux.

L'expérience de l'immersion dans la peinture 

Un jour, Zao Wou Ki se rend au musée de l’Orangerie. Il découvre les Nymphéas de Monet, il est frappé par leur profondeur et leur beauté. Au centre de ces immenses toiles, il vit l’expérience de l’immersion dans la peinture. Et c’est justement ce qu’il propose au visiteur qui regarde ses tableaux. Il rend hommage à Claude Monet à travers cette immense toile, dans laquelle il reprend le principe d’un arbre au premier plan. Tout le reste est fluide et transparent, un silence heureux qui glisse doucement vers l’éternité, comme Monet.

Zao Wou KI : Hommage à laude Monet, février-juin 91. Triptyque, 1991. Huile sur toile, 194 cm x 483. Adagp, Paris 2018. Jean-Louis Losi

Grand Format

C’est à partir de 1980, que ses formats s’agrandissent considérablement. J’admire cette toile. Ici, le peintre s’intéresse à un thème qui me semble omniprésent dans toute son œuvre : le souffle du vent.

Zao Wou KI : Le vent pousse la mer, 2004. Huile sur toile, 194,5 cm x 390. Adagp, Paris 2018; Dennis BouchardFarandole

 Dans ce tableau lumineux, les couleurs se suivent comme une farandole. Comme souvent chez Zao Wou Ki, c’est au milieu du tableau qu’il se passe quelque chose. Le mouvement de la composition me rappelle celui du tableau « La danse » de Matisse et ce n’est peut-être pas un hasard. Ce tableau semble éclairé de l’intérieur, il est à la fois puissant et joyeux.

Zao Wou KI : Décembre 89-février 90. Quadrityque, 1989-1990. Huile sur toile, 162 cm x 400. Adagp, Paris 2018. Jean- Louis Losi

Quatre grandes encres

La dernière salle de l‘exposition présente quatre grandes encres de 2006, jamais montrées à Paris. Wou Ki les réalise dans le cadre d’un projet pour le rideau de scène de l’opéra de Pékin. Ces œuvres, qui semblent encore plus libres que les tableaux, montrent à quel point le peintre possède le sens de l’occupation de l’espace. Dans ses tableaux Wou Ki me rappelle souvent la grande peinture classique de paysage chinois. Elle est toujours restée dans son esprit et dans son œuvre. On retrouve chez Zao Wouy Ki des falaises impressionnantes mais fluides, des idéogrammes qui se cachent sous la couleur, tout cela est un hommage au grand art chinois. Et dans ses encres Wou Ki reprend le grand principe de tout l’art asiatique : le vide est aussi important que le plein.

zao Wou Ki : Sans titre, 2006. Encre de Chine sur papier, 97 cm x 180. Adagp, Paris 2018. Naomi Wengner

Quand on regarde les œuvres de Zao Wou Ki, il faut savoir prendre son temps, c’est de l’abstraction mais c’est aussi bien plus que cela. Zao Wou Ki n’a jamais révélé ses secrets de fabrication, sa cuisine personnelle : dommage. Il semble qu’il commençait par le fond, puis rajoutait des traces plus sombres et de vrais faux idéogrammes. En ce qui me concerne, je ressens les tableaux de Zao Wou Ki comme des portes d’entrée vers un monde fait de tradition élégante et de vraie modernité, qui décrivent une nature inconnue dont seul Wou KI avait toutes les clefs. « On dirait qu’elles vivent » m’a dit un visiteur à propos des toiles de l’artiste, c’est vrai. On a l’impression que le vent s’y est engouffré et que la lumière y a fait son nid. Chacun verra ce qu’il veut dans les tableaux de Zao Wou Ki. Avant de partir, je remarque que, très souvent, il titre ses toiles par la date d’exécution, rien d’autre. Et si finalement le grand sujet de cet artiste, c’était tout simplement le temps qui passe… Je n’ai aucun doute : cette exposition fera date. Allez découvrir les grands formats de ce très grand peintre, un monument du XXe-XXIe siècle.

Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris : 12 avenue de New York, 75116 Paris

Mardi-dimanche de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h.

 

 

 

 

 

 

 

 


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