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Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
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Hassan Musa : jongleur d'images et chercheur d'identités

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La galerie Maïa Muller présente, jusqu'au 05 décembre 2015, la première exposition individuelle en France de Hasan Mussa, considéré comme une figure de l'art africain contemporain. Avec humour, cet artiste remet en cause les stéréotypes de la culture européenne, tout en gardant le savoir faire des artisans africains. Découverte d'un créateur qui ose.

La galerie Maïa Muller se niche dans une rue étroite du troisième arrondissement de Paris. Je suis reçu par la directrice, qui semble heureuse de me présenter le travail d'Hassan Musa (Exposition YO mama). Je regarde autour de moi : c'est un espace plutôt petit, aux murs blancs. Peintre, calligraphe, décorateur, journaliste, critique d'art, enseignant, le parcours professionnel de Musa est varié. Mais fort heureusement, c'est l'artiste a pris le dessus et s'est imposé en quelques années. Je me souviens de son œuvre qui, il y a quelques temps, a fait grand bruit : une représentation de Ben Laden cul nu, affalé sur un drapeau américain, à la façon de l'Odalisque du Louvre, peinte par François Boucher. Musa aime détourner les images, jouer avec elles et il n'a pas peur de s'en prendre aux puissants. En fait, il critique l'omniprésence des images et leur force surévaluée, en utilisant lui-même des images et en jonglant avec elles. Hassan Musa est donc un équilibriste de l'art, très engagé politiquement.

Fragile Obama

Face à moi : une toile illustrant l'homme le plus puissant du monde : Barak Obama. Mais pour le représenter, Musa utilise de nombreuses couches de tissus cousus entre elles. J'aperçois même certains textiles, qui semblent avoir la fragilité de la dentelle, un début d'impertinence à l'égard du président des Etats-Unis. Je remarque le vert sur la bouche et la calligraphie en bas du menton. Tout l'art de Musa est là : le non respect de l'image des puissants ou des traditions culturelles, l'utilisation pour créer, d'une simple machine à coudre et de peinture. En faisant cela, l'artiste opère une mise à distance surprenante.

Hassan Musa : Yo mama, encre sur textiles; 211,5 cm x 212. 2015. Courtesy de l'artiste et galerie Maïa Muller.

Hassan Musa : Yo mama, encre sur textiles; 211,5 cm x 212. 2015. Courtesy de l'artiste et galerie Maïa Muller.

Le cinéma et l'Afrique

Hassan Musa est né au Soudan en 1951.Tout jeune, il s'abreuve déjà d'images : celles du cinéma. Il regarde plusieurs fois "La vie passionnée de Van Gogh avec Kirk Douglas" ou L'Extase et l'agonie" avec Charlton Heston dans le rôle de Michel Ange. Il découvre la culture occidentale et il l'aime. Comme il est le dernier enfant de la famille, ses parents acceptent qu'il s'inscrive aux Beaux Arts de Khartoum. Dès les années 70, l'islamisme s'impose petit à petit au Soudan. L'absence de galerie et de marché de l'art, pousse Musa a devenir décorateur pour la télévision soudanaise, pendant deux ans. C'est là qu'il apprend à réaliser de grands formats. Il collabore à une maison d'édition et écrit dans un quotidien (Al-Ayyam), un bon moyen de se faire un carnet d'adresses et de s'ouvrir les portes du milieu culturel. Hassan Musa arrive en France en 1979, sans grands moyens, ce qui l'oblige à développer l'art de la récupération. Il épouse une française. En 1990, il acquiert la nationalité française. Il devient professeur d'arabe, puis d'art plastique. Il obtient un doctorat en Histoire de l'art. En 2004, il organise la présentation "Africa Remix" au Centre Pompidou. Il expose à Düsseldorf, Londres, Tokyo. Il participe à la Biennale de Venise. Depuis, Musa ne cesse de travailler, de coudre et d'étonner. Les collectionneurs du monde entier s'y intéressent.

La calligraphie et Poutine

J'aperçois un énorme portrait de Poutine avec une terrible insulte en arabe sur le front. Musa ose encore. Dommage que la tête de Poutine ne soit pas totalement réussie, le nez surtout.

Mixage Nord Sud

En fait, Musa mélange l'imagerie contemporaine, sortie des journaux télévisés, à des motifs imprimés d'animaux, de fleurs ou de légumes, sans oublier quelques dessins licencieux à la manière du XVIII siècle ou quelques références évidentes à des peintres très connus, toutes époques confondues. A travers tout cela, Musa propose une réflexion et un questionnement sur la culture occidentale et l'iconographie judéo-chrétienne. Mais il suggère aussi, par la même occasion, de revoir les rapports entre l'Afrique et l'Europe, entre le Nord et le Sud.

Confrontations

J'observe avec attention une magnifique toile : un cheval cabré à la Géricault. Il m'évoque aussi un tableau de Raphaël du Louvre. Autour de l'animal, Musa a dessiné, à l'encre, différents objets. Par endroits, l'artiste a repeint ou effacé. Jamais il ne cesse de croiser, de confronter, d'opposer, de jouer avec les images, de provoquer, de s'amuser, de bricoler. Cette toile en est un parfait exemple. Je la trouve absolument superbe. Le nez de clown du cavalier (Saint Georges), révèle l'humour et le combat de l'artiste contre l'hégémonie de la culture occidentale, sur le monde entier. Mais en réalité, Musa rêve de construire une passerelle entre la culture occidentale et la culture africaine, à égalité...

Hassan Musa : Saint Georges terrasant le dragon et la Bibliothèque Nationale. Encre sur textile, 22( cm x 220. Courtesy galerie Maïa Muller.

Hassan Musa : Saint Georges terrasant le dragon et la Bibliothèque Nationale. Encre sur textile, 22( cm x 220. Courtesy galerie Maïa Muller.

Et Van Gogh dans tout ça ?

Dans "La lutte de Jacob avec l'ange", allusion au célèbre tableau de Delacroix, Musa donne les traits de Vincent Van Gogh à Jacob, et l'entoure de petites poules, les têtes à l'envers. L'impression de rapiéçages s'oppose à l'hyper classicisme de l'œuvre et provoque un effet de surprise.

Hassan Musa : La lutte de Jacob avec l'ange. Encre sur textile, 188 cm x 191,5. Courtesy galerie Maïa Muller.

Hassan Musa : La lutte de Jacob avec l'ange. Encre sur textile, 188 cm x 191,5. Courtesy galerie Maïa Muller.

Chinoiseries

Une toile mélange Ben Laden, en haut à droite, à des motifs chinois. Quelle élégance dans l'agencement des tissus. Je remarque aussi la bordure qui évoque, un peu, le drapeau français.

Hassan Musa : Monkey Cena, encre sur textile. 178 cm x 187. Courtesy galerie Maïa Muller.

Hassan Musa : Monkey Cena, encre sur textile. 178 cm x 187. Courtesy galerie Maïa Muller.

Jeu de piste

Au milieu de ces fleurs très décoratives, je découvre un dessin érotique japonisant. Cherchez bien...

Hassan Musa : Annonciation, encre sur textile. 153 cm x 155,5. Courtesy galerie Maïa Muller.

Hassan Musa : Annonciation, encre sur textile. 153 cm x 155,5. Courtesy galerie Maïa Muller.

Le dieu dollar

Je vais pour sortir, mais la galeriste propose de me montrer une œuvre que je n'avais pas vu en entrant : un dollar un peu particulier. Le billet est envahi de petits dessins érotiques façon XVIIIe et de végétation. Tiens, attrape ça l'Amérique... Le "sale gosse" Musa s'amuse encore. Son humour acerbe fait des ravages. De plus, l'artiste- artisan couturier, bouscule nos certitudes et impose à notre esprit, de jouer un match qu'il n'avait pas prévu. Finalement, nous vivons tous dans le même monde, celui de l'argent et du sexe, semble nous dire, avec un sourire malicieux, le créateur.

Hassan Musa : Halal Flag, encre sur textile, 95 cm x 142,5. Courtesy de l'artiste et de la galerie Maïa Muller.

Hassan Musa : Halal Flag, encre sur textile, 95 cm x 142,5. Courtesy de l'artiste et de la galerie Maïa Muller.

Je suis ravi d'avoir vu ces oeuvres impertinentes. Il est évident, qu'à travers toutes ses créations, Hassan Musa nous questionne sur la vraie définition de l'identité africaine, dans un monde vivant sous le règne de la globalisation. Dès 1995, il écrit un article intitulé "Dix trucs pour ne pas devenir Artiste Africain", révélateur... Les artistes africains qui jouent aux africains pour satisfaire le puissant occidental, en manque d'exotisme, Musa, le provocateur, déteste ça. Pourquoi une culture vaudrait plus qu'une autre ? Voilà de quoi réfléchir...
Galerie Maïa Muller : 19 rue Chapon, 75003 Paris.

Du mardi au samedi de 11h à 19h.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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