Quantcast
Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
Viewing all articles
Browse latest Browse all 112

Deux géants et un découvreur : Giotto, Caravage, Longhi

$
0
0

Le musée Jacquemart - André expose jusqu'au 20 juillet 2015, les grands noms de la peinture italienne du XIVe au XVIIe siècle, redécouverts par une figure majeure de l'Histoire de l'Art : Roberto Longhi. Giotto, Masaccio, Ribera, Caravage : attention chefs- d'oeuvre. 

Un éclaireur passionné

 Deux hommes, deux experts, ont eu une autorité incontestée sur l'histoire de l'art italien de la première moitié du XXe siècle. L'un est américain, Bernard Berenson. L'autre est italien, Roberto Longhi (1889 - 1970) et c'est à ce dernier que le musée Jacquemart-André rend hommage aujourd'hui, à travers l'exposition : "De Giotto à Caravage, les passions de Roberto Longhi". Amoureux de peinture, Longhi a étudié et projeté en pleine lumière des peintres comme les primitifs bolonais, Piero della Francesca et surtout le Caravage. Avec son œil avisé, il découvre, identifie de nouveaux tableaux ou change leur attribution, n'hésitant pas ainsi à remodeler l'histoire de l'art. Roberto Longhi était aussi un personnage complexe, curieux de tout. Il est collectionneur, dessinateur, joueur, écrivain, professeur de 1934 à 1949 de la chair d'histoire de l'art de Bologne où il a eu un élève remarquable : Pasolini, dont il dirige la thèse sur l'histoire de l'art contemporain. En remerciement, le cinéaste dédicacera son deuxième film "Mamma Roma" à son professeur. Oui, Roberto Longhi, géant de l'Histoire de l'Art, éclaireur du Caravage méritait une exposition, c’est maintenant chose faite.

Portrait de Roberto Longhi. Studio Sebert Photographes.

Portrait de Roberto Longhi. Studio Sebert Photographes.

 Le palais et le lézard

 Venir au musée Jacquemart-André est toujours un plaisir. En plus, y venir pour un vernissage presse sur le Caravage que j'adore, on frôle l'extase ma bonne dame. Mais dès la première salle, je déchante, il y a un monde fou, je joue des coudes et j'ai même du mal à prendre des notes. La moquette au sol est beige, les murs sont gris. J'aperçois, entre deux épaules, un superbe Caravage : Garçon mordu par un lézard, une œuvre de jeunesse. Ce tableau, Longhi l'achète chez un antiquaire parisien en 1928. Dès 1911, Roberto Longhi soutien sa thèse sur le Caravage. Autant dire qu'il connaît le sujet. Ce garçon au lézard est une œuvre à part car il présente une lumière de jour alors que Caravage est surtout connu et reconnu par ces clairs obscurs très perceptibles. La transparence du verre et le reflet d'une fenêtre : superbe. Mais le fait que le garçon semble vraiment crier, et son côté un peu androgyne, a un peu choqué à l'époque. En fait, ce tableau serait la représentation de la jeunesse et de la mort.

Caravage : Garçon mordu par un lézard, 1594. Huile sur toile, 65,_ cm x 52,3. Studio Sébert Photographes.

Caravage : Garçon mordu par un lézard, 1594. Huile sur toile, 65,_ cm x 52,3. Studio Sébert Photographes.

 Souffrance populaire

 A côté, un autre tableau du Caravage : Le couronnement d'épines. Contrairement au précédent, celui-ci est un tableau nocturne, spécialité du peintre. Dans la partie haute, j'observe deux soldats avec des bonnes têtes de poivrots. Le fait de les placer au dessus souligne leur domination sur le Christ. Deux diagonales lumineuses, accentuées par la position des mains éclairent le visage et la poitrine de Jésus. Quant à la couronne d'épines, elle est carrément enfoncée sur le crâne. Longtemps, ce tableau a été considéré comme une copie, à cause de nombreux repeints en bas. Mais une restauration en 1974 a révélée le caractère autographe de l'œuvre, d'ailleurs on y trouve toutes les caractéristiques du Caravage : diagonales de lumières, clair obscur, austérité du fond, personnages qui ressemblent au peuple des rues, mains noueuses, délicatesse des détails et une composition très affirmée.

Caravage : Le couronnement d'épines, 1602-1603. Huile sur toile, 177 cm x 127. Collezione Banca popolare de Vicenza.

Caravage : Le couronnement d'épines, 1602-1603. Huile sur toile, 177 cm x 127. Collezione Banca popolare de Vicenza.

 Un révolutionnaire qui aime la bagarre

 Caravage a beaucoup choqué en prenant des prostituées pour modèles de saintes ou des ivrognes aux pieds sales pour figurer des saints. Ce n'est pas une évolution, c’est une vrai révolution : un virage dans l'histoire de l'art qui aura des répercutions jusqu'au XIXe siècle. Caravage doit son nom à la ville de Caravaggio d'où sont originaires ses parents. Des 1584, il se forme au réalisme lombard dans l'atelier du peintre Simone Peterzano. En 1592, il part pour Rome. Le cardinal del Monte devient son mécène. Fort de sa technique, Caravage s'oppose au maniérisme ambiant et impose un naturalisme lumineux et personnel. En 1606, lors d'une rixe, il tue son adversaire. Il doit quitter Rome et gagne Naples, avant d'embarquer pour Malte. Là, il est nommé chevalier de Malte et peintre officiel. Mais l'artiste a le sang chaud et cède à tous les plaisirs de la chair. Il fréquente les tavernes et les rues infréquentables pour la bonne société. Suite à une nouvelle altercation, il est emprisonné et s'évade. Il meurt en juillet 1610 à Porto Ercole.

 Amour crépusculaire

 Je poursuis ma visite et découvre une œuvre rarissime, un des derniers tableaux du maître : Amour endormi. J'observe ce corps d'enfant, baigné dans une lumière dorée. Un amour endormi, et même mort... Caravage est au crépuscule de sa vie et nous livre tout simplement son testament.

 Un homme d'influence

 Caravage est un solitaire, mais le nombre d'artistes à travers l'Europe qui suivront son style est absolument incroyable : Gentileschi, Velazquez, Zurbaran, La Tour, Rembrandt etc.

 La grande enquête

 J'entre dans une nouvelle salle aux murs gris. Il y a de plus en plus de monde. Les conditions de travail sont loin d'être optimales. Face à moi, deux œuvres magnifiques, du primitif Giotto. Longhi s'est intéressé aux primitifs italiens du XIVe siècle et XVe siècle, preuve de son esprit d'ouverture. En fait Nelly Jacquemart achète en 1911, 6 tableaux dont quatre faux... Il en reste donc deux que je vois avec grand plaisir. Quelle précision dans les gestes et quelle intensité dans le regard du saint : étonnant ! En vérité, c’est Longhi, encore lui, qui a identifié les deux tableaux originaux et les a relié à deux autres, conservés à la National Gallery de Wachington et au musée Horne de Florence. Il y a un petit côté détective chez Roberto Longhi que j'aime bien.Je regarde un panneau de bois représentant Saint Jean l'évangéliste, quelle précision dans cette barbe grisonnante et quelle force dans ce regard.

Giotto di Bondone : Saint jean l'évangéliste, vers 1320. Tempera or sur bois, 128 cm x 55,(. Studio Sébert Photographes.

Giotto di Bondone : Saint jean l'évangéliste, vers 1320. Tempera or sur bois, 128 cm x 55,(. Studio Sébert Photographes.

 Tendresse et précision

 En 1940, Longhi publie une longue étude sur Masolino et Masaccio. C’est la raison pour laquelle j'admire une œuvre de petit format absolument unique : La vierge à l'enfant de Masaccio. Mon attention est attirée par la relation entre la Vierge et l'enfant. Tout est dit, c’est une vraie merveille.

Masaccio : Vierge à l'enfant, vers 1426-1427. Tempera or sur bois, 24 ,5 cm x 18,2. Soprintendenza speciale per il patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico per il Polo Museale della Citta di Firenze. Gabinetto Fotographico.

Masaccio : Vierge à l'enfant, vers 1426-1427. Tempera or sur bois, 24 ,5 cm x 18,2. Soprintendenza speciale per il patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico per il Polo Museale della Citta di Firenze. Gabinetto Fotographico.

 De la mort à la vie

 Un peu plus loin, une toile de Pierro della Francesca : Saint Jerôme avec un saint et un homme en prière : le commanditaire. Le peintre ose donc le raccourci chronologique et place sur le même plan le saint et l'homme. En regardant de près, j'observe un crucifix dans un tronc à gauche et un arbuste à droite. Le commissaire de l'exposition, Nicolas Sainte Fare Carnot explique aux journalistes présents que c'est une façon de signifier une renaissance avec d'un côté la mort et de l'autre la vie. Eclairant...

 Lumières et humour

 J'aurais aimé plus de Caravage, mais là c’est le fan qui parle. J’aurais tort de bouder cette très belle exposition. Elle prouve que Le Caravage est un maître absolu de la peinture et un des pères de l'art moderne. Pasolini s'est largement inspiré des ragazzos (garçons) du Caravage, pour choisir ses jeunes gens dans ses films. Quant à la villa de Longhi, perchée sur les hauteurs de Florence, elle est devenue une fondation depuis 1971. Elle poursuit les travaux de Longhi sur la peinture du XVIIe. Elle conserve ses carnets et ses 70 000 photographies. Longhi le passionné, le chercheur sérieux ne manquait pas d'humour : en 1927 il s'amuse à contrefaire la signature de Berenson sur le livre d'or d'une exposition... Décidément, il m'est bien sympathique cet historien de l'art italien... Merci au musée Jacquemart-André de lui rendre les honneurs. Tout à une fin : l'exposition et la vie de Longhi. Le chercheur éclaireur de l'art du XVIIe, meurt le 3 juin 1970. Ses recherches inspirent toujours les différents universitaires et conservateurs de musée.

 Musée Jacquemart-André : 158 Bd Haussmann, 75008 Paris

Ouvert tous les jours de 10h à 18h. Nocturne chaque lundi jusqu'à 20H30

Entrée : 12 euros / TR : 10.

 

 

 

 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 112

Trending Articles