La galerie Laurent Godin 2, présente jusqu'au 23 décembre 2016 "La clinique du monde" de l'artiste engagé, d'origine chinoise, Wang Du. A la recherche de quelques remèdes artistiques pour un monde qui ne se porte pas très bien. Visite.
Wang Du ressemble aux indiens, que l'on voyait autrefois dans les westerns. Son regard est celui d'un sage, mais attention : c'est un guerrier, d'ailleurs il aurait été chef de gang... Né en Chine en 1956, il est installé à Paris depuis 1990. A cette époque, il est sans ressource et survit en réalisant des portraits de touristes à Notre-Dame et à la Tour Eiffel. Aujourd'hui, sa côte ne cesse de monter. En 1999, il participe à la Biennale de Venise, où il propose "Un marché aux puces", une mise en vente d'informations d'occasion... Je me souviens d'une exposition qui a fait du bruit, en 2004-2005, au Palais de Tokyo. Il avait exposé une forêt de jambes féminines et il avait obligé le public, à passer dans un grand tunnel de métal, dans lequel était diffusé les programmes de 64 chaînes, du monde entier. Le visiteur était plongé dans un brouhaha incompréhensible (Wang Du parade). Les images se télescopaient, elles perdaient tout sens. Depuis longtemps, Wang Du critique, œuvres d'art à l'appui, l'hégémonie des médias et leur complexe de supériorité. La presse qui préfère, parfois, le sensationnel à l'explication de fond, Du n'aime pas du tout. Aujourd'hui, à la galerie Laurent Godin 2, il crée un hôpital artistique, pour un monde qu'il estime bien malade. J'ai hâte de voir le diagnostique du docteur Du.
Austérité
Pour voir cette exposition, je dois me rendre du côté de la porte d'Ivry. L'immeuble qui accueille la galerie n'a aucun intérêt, et la porte m'évoque l'univers carcéral. Pourtant, c'est bien là que se cache "La clinique du monde", dans un immense hangar de 500 m².
Cantine
Je pousse la porte austère et découvre un labyrinthe de voilages blancs, qui dessinent, avec élégance, un hôpital. Des néons éclairent l'ensemble et font briller le sol de béton gris brut. C'est un peu inquiétant, un médecin va sortir et m'emporter vers un bloc opératoire ? Je pousse le rideau et découvre une pièce vide, excepté un immense tableau polisson aux couleurs criardes. C'est une allusion très claire aux cantines et salles de gardes, où les médecins se relâchent un peu, avant de retourner affronter les douleurs du monde. Quant à cette toile, elle mérite un examen approfondi...
Consultation
Je me retrouve dans un long couloir, je remarque quelques écriteaux, évoquant des spécialités médicales : ORL, Chirurgie, Urologie, Neurologie etc. J'ai de plus en plus l'impression d'être venu en consultation, impressionnant...
Journaux froissés
Pugnace, je décide de continuer. Je pénètre dans la salle ORL. Je me retrouve face à une des spécialités de Wang Du : les journaux froissés. J'observe plusieurs boules de papiers gigantesques en bronze. J'approche, je peux lire des calligraphies arabes sur l'une, du cyrillique issu du journal La Pravda sur une autre, et des articles économiques du New York Times sur une troisième. Dans cette œuvre, Du dénonce l'arrogance du monde de la finance. Ces papiers froissés deviennent des œuvres imposantes, monumentales. C'est l'art qui leur donne leur grandeur et non pas ce qui est écrit dessus... En regardant cette belle installation, je me dis que Wang Du est un spécialiste de la mise en matière d'une idée.
Grands corps malades
Mais Wang Du ne décoche pas ses flèches uniquement sur la presse internationale. Non, pour lui, le monde ressemble à un grand corps malade. "A mes yeux, le monde était une œuvre d'art, aujourd'hui je le vois davantage comme un patient... Ce monde apparaît torturé par une multitude de virus, d'épidémies, conséquences d'un état de crise permanent : guerres sans ennemis, luttes pour le contrôle des ressources énergétiques, compétition pour la colonisation de l'espace, extrême obsession quant à la sécurité nationale, menaces nucléaires, évolution toujours plus matérialiste et consumériste" précise l'artiste. La maladie étant grave, il faut bien construire une clinique pour dénoncer et soigner tous ces maux. Je poursuis ma visite. Comme tous les établissements hospitaliers, la clinique du docteur Du possède une morgue. Je me retrouve nez à nez avec deux gisants, plongés dans l'éternité, sous des draps de marbre. Mais la galeriste attire mon attention, sur le premier cercueil, je peux lire en transparence dans le marbre : OTAN... et sur le second : ONU...
Fable
Dans la salle Médecine Interne, un immense chat s'amuse, avec un certain sadisme, avec un rat. C’est une installation très surprenante et une nouvelle fable : les gros mangeront toujours les petits, qu'ils soient malades ou pas...
Nettoyage et effritement
Dans son bloc opératoire, le chirurgien nettoie les plaies. Du, avec humour, invente un autre style de nettoyage. La salle Chirurgie accueille 20 aspirateurs, dont le décor évoque toute les partie du monde. Un puzzle dur à rassembler et le symbole d'une monde divisé qui, pour l'artiste, s'effrite chaque jour un peu plus... Régulièrement, ces curieuses machines vont à la rencontre du visiteur.
Caboche
Bien sûr il y a une pièce consacrée à la Neurologie. J'observe une immense tête de mort dont la boîte crânienne ouverte est rempli de filasse. Je note que la tête semble sourire.
Tubes
J'ai une overdose de têtes de mort dans l'art contemporain, ça me rend malade. Trop de têtes de mort tue la tête de mort. Désormais, elles me laissent totalement indifférent. Je préfère passer à la salle suivante : l'Urologie. Un immense paravent en tubes de cuivre occupe l'espace. Décidément, Wang Du ne manque pas d'humour... Mais je remarque aussi la carte géographique en bois, au sol. La galeriste me précise que ce pourrait être celle du Proche Orient...
Photos
Au fond du couloir, je débouche dans une grande pièce décorée par une multitude de guirlandes : 999 photographies, en couleur, représentant les grands de ce monde, en train de grimacer pour la plupart. Ah oui, j'oubliais... Cette pièce porte bien sûr un nom : Psychiatrie et cardiologie...
Bric à brac
Avant de quitter ce dédale de voiles blancs, je me glisse dans la dernière pièce intitulée Médecine Chinoise, elle se résume à plusieurs casiers de bois contenant des savons, des petites Tours Eiffel, des pièces d'informatique, des capsules, des tournevis, tous ces petits rien dont on se sert parfois, sans se poser la question de leurs provenances ou des conditions de fabrication. Ces objets dérisoires, qui, comme nous, sont parfois oubliés, dans la grande roue de la mondialisation.
Selon l'artiste, le monde serait atteint d'une maladie pour laquelle il n'y a pas de remède. Chacune de ses œuvres représente un organe. J'ai aimé cette exposition, même si cette "clinique du monde" est sacrément perturbante. Elle est à la fois très drôle et lourde de sens. Comme un chirurgien habile, Wang Du dissèque notre société, alors bien sûr, ça saigne un peu... Que voulez vous, le docteur Du adore remuer le couteau dans la plaie...
Galerie Laurent Godin 2 : 36 bis rue Eugène Oudiné, 75013 Paris
Jeudi, vendredi, samedi de 11h à 19h