Paris et sa banlieue (Sèvres, Pantin), accueille jusqu'au 14 mai le festival de design D'Days : de nombreux parcours et expositions pour découvrir l'excellence du travail des jeunes designers français et étrangers. La thématique de l'année est particulièrement séduisante : le jeu. Qu'est-ce qui se cache exactement derrière ce terme ? Visites.
Dès que le muguet est éclos, D’Days, festival de design de Paris et de sa banlieue, montre son nez. Manifestation annuelle et gratuite, cet événement réunit tous les acteurs du design et essaye de le promouvoir auprès d’un large public. On l’oublie souvent, mais le design est partout : dans les couverts avec lesquelles on mange, dans la forme du téléphone mobile que l’on regarde si souvent, et même dans le graphisme de notre carte d’électeur. En ces temps politiques, les organisateurs ont donc choisis un thème volontairement ludique : le jeu. Chic, je vais m’amuser, du moins je l’espère... En fait, il n’est pas uniquement question de divertissement, D’Days 2017 veut surtout souligner la capacité des designers à réinventer les règles en matière de création, à rebattre les cartes, grâce à l’évolution des technologies. C’est vrai que les règles du jeu changent un peu, car il y a de plus en plus d’acteurs qui entrent en scène lors de la création d’un produit. Quant aux technologies, elles jouent un rôle capital, mais se font de plus en plus discrètes. Pas sûr que cela soit aussi désopilant que je l'envisageais... Enfin, je verrais bien... Le Musée des Arts Décoratifs, un jour avant le Grand Palais et son salon Révélations, ouvre cette grande fête du design, en accueillant les premières expositions. Pas question que je rate ça. Je vais peut-être découvrir à quoi ressemblera le bureau de demain, qui sait ?
Parcours
J’arrive pour le vernissage presse. Il y a déjà du monde, plutôt des jeunes. Je remarque tout de suite la signalétique amusante de l’agence Gorki ! Elle reprend l’idée d’un parcours de golf, chaque exposition de design correspondant à un trou. Pour que ce soit encore plus attractif, Johan Brunel, Bonnefrite et NicoNico (Gorki !), ont cédé à la mode du fluo. Au centre de la grande nef du musée, ils présentent quelques unes de leurs créations, rigolotes et efficaces.
Papiers magiques
Ma visite se déroule donc en allant d’un drapeau à un autre, plus question de se perdre comme l’an dernier : un sacré progrès. Je continue avec la découverte du travail ludique de Marion Pinaffo et Raphaël Pluvinage, prix Audi talents awards 2016. Cette année, ils présentent un ensemble de jeux sonores très séduisants. Ces deux créateurs ont une réelle fascination pour tout ce qui peut déclencher un son, à partir d’un papier et d’une pile bouton par exemple. Ils s'amusent aussi avec tout ce qui peut être conducteur d'électricité. J’aperçois un circuit en papier, qui ressemble à un circuit 24 de petites voitures pour les enfants. Le designer jette des confettis dessus et cela déclenche une musique. Plus vous versez de confettis noirs sur la structure, plus il émet de sons.
A côté, je découvre une cible sonore. Chaque petite bille, envoyée par une sarbacane, provoque un son lorsqu’elle se fixe sur les cercles. Tous ces prototypes pourraient être développés pour des jeux pour enfants, des centres commerciaux, des collectivités locales, des entreprises ou des événements culturels. «Papier machine», c’est le nom de ces travaux, a un bel avenir devant lui. Le duo Pinaffo & Pluvinage, 30 et 28 ans, forme l'alliance parfaite entre création et technique, sans oublier l’esprit du jeu.
Le roi bambou
Allez hop, je continue mon vrai faux parcours de golf. Au drapeau suivant, je tombe nez à nez avec un petit bureau très élégant. Il est le fruit d’une collaboration entre des artisans taïwanais et le jeune designer Dimitry Hlinka. Il est en bambou cintré, avec un plan de travail en ardoise : original, discret et beau. Aujourd’hui, le bambou redevient très tendance.
Sous- marin
La marque d’horlogerie Officine Panerai rassemble plusieurs designers passionnés par la mer. J’aperçois des photos de... oh non, ce ne sont pas des clichés grand format, mais des tapisseries, de Grethe Sorensen : étonnant. Elles sont magnifiques, on pourrait s’y tromper. Je vois également cette table du célèbre créateur Mathieu Lehanneur, bien connu dans le milieu. Le plateau est en marbre taillé et j’ai l’impression de vaguelettes devant moi. C’est une bonne façon d’avoir la mer chez soi, à condition d’avoir la place...
Petit bateau
Un petit coup de cœur pour ce tabouret Toul de Joran Briand, tout droit sorti d’un bateau. Il est en fibre de jute et résine. Il est coquet et fonctionnel : une belle réussite.
Du côté des méduses
J’avance de quelques mètres et découvre une méduse, ou plutôt cette lampe Kurage, de Luca Nichetto et Nendo, un studio japonais. La partie haute est constituée d’un papier japonais épais, le socle se résume à quatre fines baguettes de bois. Je remarque qu’une fois allumée, l’empiétement de la lampe ne provoque aucune ombre, ce qui est assez surprenant. Plus je la regarde, plus j’ai l’impression d’être sous l’eau, un objet très reposant. Au départ, elle a été conçue pour ressembler à une crème glacée.
En l’honneur des ancêtres
La marque Kartell, a eu la bonne idée de faire appel à un sculpteur-designer néo-zélandais de culture maorie : Georges Nuku. C’est un homme très mince, plutôt grand, tatoué des pieds à la tête, et qui adore se mettre en scène. Vous voulez de l’exotisme, vous allez en avoir... En réalité, à partir de meubles en plastique transparent, l’artiste, très réputé dans son pays, fait un dessin, puis sculpte le meuble. Il reprend des thèmes maoris ancestraux, des divinités locales, le culte des ancêtres. Il ose même mélanger le style rococo et le style maori. Parmi un ensemble de ses réalisations, j’admire cette chaise, aussi élégante que surprenante.
Haut de gamme
Il y a de plus en de monde dans la grande nef et dans la majeure partie des expositions. Je sors prendre l’air dehors et découvre ce mobilier public haut de gamme, de Frank Magné. En inox poli et dépoli, il permet de jouer avec les reflets du soleil. Très gracieux, ce cendrier et cette poubelle devraient donner des idées à quelques centre commerciaux chics ou des villes soucieuses de leur image, voir à des architectes...
Pianographe
Bon... Je n’ai pas fini mon parcours de golf créatif, en 18 étapes. Je retourne à l’intérieur du musée, où je fais la connaissance d’un objet étrange et musical. Florent et Romain Bodart adorent Erik Satie et la musique en générale, mais leur spécialité est de placer la musique au cœur d’une véritable expérimentation. Ces deux jeunes créateurs ont inventé le Pianographe, l’harmonium contemporain. Chaque note déclenche une image. Je vois des formes géométriques ou poétiques, et même un cheval blanc qui passe. Cet instrument de musique novateur est très séduisant, il réunit le monde la musique et celui des images : bien joué...
Bestioles
Cette année, Les ateliers d’Aubusson, veulent libérer la tapisserie et moderniser leur image. Tout en respectant son savoir-faire historique, l'entreprise innove avec un bestiaire coloré, qui peut se glisser partout dans la maison. Cet oiseau exotique violet, ou ce paon, trouvent leurs places sur n’importe quel mur moderne.
Nouveauté
Toutes les expositions concernant les D’Days ne sont pas encore ouvertes. Cela se fait petit à petit. Les parcours Rive-Gauche, Marais -Bastille et Pantin n’accueillent le public qu’à partir du 9, 10 et 11 mai. Je décide donc de rester dans le quartier et de filer sous les colonnades du jardin du Palais Royal, pour voir une exposition à la galerie Valérie Traan. Dans ce lieu hors du temps, qui n’aurait pas déplu à Proust, je remarque ces petits vases ludiques de David Clarke. La cuillère sert de maintien à l’objet cylindrique : astucieux. Le designer offre une nouvelle vie à cette petite cuillère, il la pare d’une nouvelle beauté et même d’un nouveau sens.
Connexion
La galerie Joseph, dans le Marais, présentera du 11 au 14 mai, plusieurs meubles et jeux, dont cette table de Thierry Deleforge. Une table connectée (Table Tech). Inspirée des jeux vidéo et du cinéma, elle présente une puissance de calcul inédite, sans laisser dépasser un seul câble. Fini le nid de nouilles.
Sérieuse cuisine
Au même endroit, la célèbre créatrice Matali Crasset, adorée des bobos soucieux de leur confort, innove encore. Elle présente une cuisine d’un nouveau type. Aujourd’hui, où ne compte plus les émissions sur l'alimentation, se mettre aux fourneaux est devenu une activité à part entière, une passion pour certains. Matali Crasset situe la cuisine au cœur du foyer et crée une espèce de cage à oiseaux, pour y placer la cuisinière ou le cuisiner, avec tout sous la main. C’est une cuisine pour ceux qui sont « Serious about food »...
Rencontre
Toujours du côté du Marais et de la Bastille, un coup de cœur pour ce tapis de Calla Haynes designer spécialisé dans le textile. Ce projet, intitulé Boucharouite, est le fruit de la collaboration entre la créatrice et des femmes marocaines, au savoir-faire traditionnel. A ce travail de femmes artisans-tisseurs, Calla ajoute des tissus conçus pour la haute couture. Le tapis berbère est ainsi renouvelé, et l’ensemble est absolument sublime. C’est une très belle œuvre abstraite.
Chaque année, D ’Days commet l’erreur de ne pas choisir entre un événement culturel grand public et un super rendez-vous pour les professionnels, mais cette année, j’ai beaucoup moins ressenti cela. Je pense que le public y trouvera son compte, il sera surpris, séduit. «Jouer, c’est s’autoriser une liberté, c’est s’extraire volontairement du réel, c’est remettre en question les contraintes et s’imaginer un monde où évoluer». Cette phrase, issue du dossier du dossier de présentation, résume bien ce festival du design 2017. De plus, cette année en clôture du festival (du 11 au 13 mai), l’association française de lutte contre le sida AIDES lance la première grande braderie du design, aux Magasins Généraux de Pantin. Cette vente exceptionnelle est parrainée par le roi du design Philippe Stark. Est-ce la thématique de l’année qui a inspirée les organisateurs, mais cette année D’Days a rempli le contrat, une belle occasion de découvrir une multitude d’objets contemporains, ludiques, pratiques et audacieux. De plus, ils sont l’aboutissement d’une chaîne créative solidaire et féconde, preuve que le design est aussi, d’une certaine façon, une leçon de vie.