A l'occasion du dixième anniversaire de la disparition du sculpteur belge Pol Bury, l'Espace Fondation EDF lui consacre, jusqu'au 23 août 2015, une grande exposition intitulée : "Instants donnés". 80 oeuvres pour découvrir ou redécouvrir un artiste extrêmement inventif, soucieux de toujours surprendre et se renouveler. Retour vers les années 70.
Il faut la chercher la Fondation EDF. A deux pas des embouteillages du carrefour de Sèvre-Babylone, elle se love dans une impasse et ses belles verrières se cachent derrière de grandes plantes aux allures tropicales. C'est une belle bâtisse, construite en 1910 par l'architecte Paul Friesé. Elle affiche fièrement sa différence avec les immeubles cossus qui l'entourent...
Le bonheur dans la technique
Une exposition sur Pol Bury, c'est rarissime. Cet artiste est, aujourd'hui, complètement oublié. Mais il a eu une vraie heure de gloire dans les années 70. L'exposition, proposée par la Fondation EDF est donc un petit événement et un joli retour en arrière, vers les années où l'art cinétique était roi et où la croyance, dans les valeurs du progrès technique, étaient une certitude. Le premier choc pétrolier de 1974, freinera cet enthousiasme général.
Du coté de chez Pol
Pol Bury est né en Belgique, dans la province du Hainaut le 26 avril 1922. A 16 ans, il commence ses études artistiques à l'Académie des Beaux-arts de Mons. Le mouvement surréaliste étant très important en Belgique, il se rapproche, en tant que peintre, de cette mouvance. Il rencontre Magritte et participe à Bruxelles à l'exposition internationale du surréalisme en 1945. Il côtoit aussi le groupe Cobra, mais son envie de creuser son propre chemin artistique se précise au fil du temps. En 1947, sa peinture évolue radicalement vers l'abstraction. En 1950, il assiste à une exposition Calder et il est subjugué. La conséquence ne tarde pas. Dès 1953, il abandonne la peinture et crée ses premiers "plans mobiles". En 1961, il quitte la Belgique et devient parisien. Il est vite soutenu par l'importante galeriste Denise René et en 1967, il expose au MAMVP (Musée d'Art Moderne de la ville de Paris), aux côtés de Calder, Duchamp, Vasarely. L'art cinétique s'impose. Désormais, Bury invente des moteurs électriques, et par la suite, des moteurs hydrauliques, pour ses œuvres. Il utilise du bois, des boules, des cylindres, des tiges et beaucoup de métal. Sous son air sérieux et un poil désabusé, Pol Bury possède un humour malicieux et entretient un vraie passion pour l'écrivain Flaubert.
Un artiste-ingénieur et vice versa
Il représente la Belgique à la Biennale de Venise (1964) et il expose à New York où il connait un grand succès Il s'y installe, enseigne, et rencontre une New Yorkaise qui deviendra sa femme : Velma. Dès 1964, il conçoit sa première fontaine. Il en réalise plus de soixante dans le monde dont une pour les Jeux Olympiques de Seoul ou les deux fontaines à boules des jardins du Palais Royal à Paris, commandées par le ministre de la culture Jack Lang. Elles sont aujourd'hui en cours de restauration. En 1999, il construit une immense fontaine pour la Fiac. Il en réalise une autre pour le siège de l'entreprise l'Oréal et une pour les jardins de la Fondation Maeght, dont voici la maquette.
Bury n'arrête pas, il est demandé partout. Il est considéré comme le maître absolu du mouvement lent en sculpture. Mais il est aussi spécialiste de la distorsion d'images sur ordinateur, écrivain, critique d'art, poète et créateur de bijoux, toujours à l'affut d'une nouvelle connaissance technique à mettre au service de l'art. Il décède le 28 septembre 2005 à Paris.
Colonnes et plans mobiles
Dés que j'entre, j'aperçois en face de moi, une succession de colonnes surmontées de sphères, le tout en acier, en voici un petit exemple.
Elles reflètent les premières œuvres très colorées qui les entourent. Je me rapproche. J'admire ce plan mobile des débuts. Il prouve bien l'amour de l'artiste pour la géométrie, avec, déjà, le souci de briser très discrètement un ordre qui paraît établi. En effet, chaque morceau tourne et le public choisit sa composition.
Moteur et couleur
Je continue ma visite. J'admire cette création toute en couleurs. Celle-ci a droit à un moteur. C'est une succession de lamelles métalliques qui tournent légèrement, un peu comme des fleurs dans le vent. Comme toujours chez Bury, la technique est très présente mais attention : imperceptible. C’est la spécificité de cet artiste...
Le piège du mouvement lent
Et voici une harpe à la façon Bury : du bois, quelques cordes, très peu de mouvement et beaucoup de poésie.
Craquements et mouvements
J'aperçois un grand cercle de bois dans lequel de nombreux points blancs bougent avec une extrême lenteur. En fait, Bury prend toujours un malin plaisir à troubler, à piéger le visiteur. Comme les autres observateurs, je me dis : "Il me semble que ça a bougé, mais où ? Un mouvement ou pas de mouvement ? Si, là". Dans un premier temps, Pol Bury impose une surprise à celui qui regarde et dans un deuxième temps, il l'oblige à prendre tout son temps... Ce rapport au temps est omniprésent dans l'œuvre de Bury. Est-ce pour cela s'il est très admiré par les Japonais, c’est probable. Avec le travail de Bury, c'est la zénitude obligatoire.
Petits papiers
Une petite salle accueille une série de papiers collés. Ce sont des petits bouts de papier blanc sur fond blanc. J'en observe un de près : au départ ça commence comme un escalier et après ça se complique un peu : toujours cette rupture dans un ordre apparent...
T'as de beaux œufs, tu sais
Je reste bouche bée devant une très belle œuvre en laiton poli : juste quelques œufs dorés qui se meuvent, en toute quiétude, sur un plateau : superbe. C 'est le mariage entre la modernité de la technique et l'intemporalité du symbole de l'oeuf.
Féminité
Plusieurs vitrines circulaires propose les bijoux crées par Bury. Ils sont d'une modernité incroyable et n'ont rien à envier aux créations des joailliers contemporains.
Réflexion
Face à moi : plusieurs rectangles de métal. Sous différents angles, ils forment un miroir. Mais est-ce vraiment un miroir ? Cet objet-sculpture bouleverse les apparences et pourrait à lui seul résumer toute l'œuvre de Pol Bury. A mon sens, ce créateur est toujours un architecte et un jongleur de minuscules troubles mentaux, un casseur en douceur, de certitudes. En fait, toute son œuvre est une grande et profonde réflexion sur le rapport entre l'œuvre et celui qui la regarde.
Le mystère du temps
A l'époque où nous avons tous bien du mal à gérer notre temps, voir cette exposition ne peut pas faire de mal, loin de là. Cette présentation rend hommage à un des pères de l'art cinétique, en présentant ses nombreuses expérimentations poétiques. Je regrette, dans cette exposition, l'absence de grandes fontaines, mais il faut savoir qu'elles pèsent plusieurs tonnes, alors... La dernière rétrospective de Bury, à Paris, remonte à 1982.
Je quitte la fondation, la lenteur c'est finie, je cours dans le métro. Finalement, j'ai vu beaucoup d'œuvres et je ne sais toujours pas comment fonctionne, en détail, le fameux petit mouvement. Bury est tellement discret, à travers ses travaux, qu'il est impossible de la savoir... En 1963, le critique Roger Bordier prononce cette belle formule pour qualifier l'art de Pol Bury : "L'illusion de la fixité". C'est exactement ce que j'ai ressenti.
Espace Fondation EDF 6 rue Récamier, 75007 Paris
Du mardi au dimanche de 12 à 19h.
Entrée libre