Le Grand Palais accueille jusqu'au 17 septembre la Biennale Paris 2017 : une réunion de près d'une centaine d'antiquaires mondiaux. L'occasion de découvrir les plus beaux objets d'art, toutes cultures et tous siècles confondus. Décryptage et visite.
C’est l’endroit le plus chic de la capitale en ce moment : La Biennale Paris. Mais cette année, pour l’ex-Biennale des antiquaires, c’est un peu comme le Grand Prix de Monaco, il faut séduire les plus riches et négocier plusieurs virages serrés. Pour cela, la Biennale a un nouveau pilote (Mathias Ary Jan, président du Syndicat national des Antiquaires), une nouvelle équipe, bien décidée à éviter la sortie de route. Pourtant, il y a un risque car la concurrence des foires de Maastricht, New York et Londres est redoutable. Même pas peur, la Biennale Paris devient désormais annuelle, elle était jusqu’à présent biannuelle. C’est osé, car les marchands ne peuvent pas être présents à tous les grands salons. Ils vont donc faire des choix et Paris prend un gros risque, car c’est l’événement le plus cher : 1000 euros le mètre carré contre 550 à Maastricht. Mais la première manœuvre que doit effectuer le nouveau pilote de la Biennale, c’est de faire oublier celle de l’année précédente. Le parcours a été catastrophique : une sombre affaire de faux meubles XVIIIe, des marchands étrangers qui n’avaient pas voulus faire le déplacement et seulement 30 000 entrées au lieu des 75 000 de 2015, conséquence aussi de l’attentat de Nice. Mais cette année, on tourne la page. Chaque objet présenté a été inspecté par une commission d’acceptation des œuvres et aucun exposant ne peut faire partie de cette instance... Dans les couloirs le bruit court que ce comité de sélection s’est montré très tatillon... Mais il en va de la réputation de la Biennale, alors pas de blague... La Biennale a choisie un cheval pour son affiche, souhaitons qu'il ne se cabre pas trop...
Le mur et l'atout Forbes
Il reste un mur à franchir : le marché parisien est en baisse... La vérité oblige même à dire qu’il y a de moins en moins de riches acheteurs. De plus, le profil de l’amateur fortuné a évolué, il pratique désormais le zapping, il passe d’une époque à une autre et les collections sont de plus en plus éclectiques, voilà qui complique encore la fidélisation d’une clientèle, pour un marchand spécialisé. Pour contourner tous ces obstacles la Biennale Paris a deux bottes secrètes : proposer une exposition spéciale sur la collection familiale Barbier-Mueller (Suisse), 110 ans de passion artistique et des œuvres exceptionnelles. Enfin, la foire n’a pas choisie n’importe qui comme président. Non, c’est le collectionneur milliardaire Christopher Forbes, grand défenseur du Louvre, de l’amitié franco-américaine : un vrai passionné des belles choses, qui prend son rôle très au sérieux.
L'année de tous les dangers
Malgré ces deux atouts, le chemin que doit parcourir l’équipe de la Biennale en 2017 est considérable, d’autant qu’il y a aussi un trou dans les caisses de 2,3 millions d’euros... Mais la nouvelle équipe a confiance, alors tout est possible... Une chose est sûre : 2017 sera une année cruciale pour l’avenir de cette foire.
Jeux de miroirs et de végétaux
J’arrive devant le Grand Palais, toujours aussi beau et imposant. J’entre, le sol est recouvert d’une épaisse moquette grise, les stands sont gris plus foncé, éclairés par quelques néons discrets. Cette mise en scène sobre et élégante est signée Nathalie Crinière. Je remarque que sous la rotonde, en plein centre du bâtiment, un îlot accueille un bar orné d’une magnifique armure de samouraï (collection Barbier- Mueller). Sur les murs j’aperçois tantôt des miroirs, tantôt des surfaces verticales végétalisées. C’est très réussi.
Petit périmètre mais grande ambition
Mais le décor ne doit pas me faire oublier le plus important : les œuvres. Je fais un tour général. J’ai une curieuse impression, il n’y a rien au premier étage, avec 93 exposants (275 à la Tétaf de Maastricht), la Biennale Paris n’occupe que la nef du Grand Palais. Quelques ouvriers finissent de nettoyer ou de finaliser la fixation de la moquette. Il faut dire que je suis un des premiers visiteurs.
1- Le cri
Tout d’un coup, je la vois. Là, face à moi, une petite merveille d’audace et de finesse. C’est même, à mon avis la pièce phare de cette Biennale Paris 2017. Elle se trouve à l’entrée du stand de la galerie Kevorkian. C’est une petite statuette de 37 centimètres de haut, un guerrier iranien remontant à la fin du deuxième millénaire avant Jésus Christ. Elle a été découverte dans les années 60 et appartiendrait à un groupe de sculptures dont on ne connaît au monde que six autres exemplaires. Ce petit bonhomme de terre est donc très rare. Tout me séduit chez lui : sa bouche ouverte comme s’il était en train de crier, ses bras qui forment un cercle, le dynamisme de la pose, le poignard de travers, le sexe en forme de cloche, les pieds de canard avec, curieusement, six orteils, l’expression générale. J’en fais le tour, il faut toujours regarder les sculptures et les statuettes de tous les côtés. On peut avoir des surprises. Ce guerrier est beau de partout. J’apprends qu’il pourrait être, à cause de ses six orteils, un personnage surnaturel. Quoi qu’il en soit, il mérite vraiment le détour.
2- Les pharaons et les collectionneurs
Un peu plus loin la galerie Sycomore, présente de nombreuses pièces de l’Egypte pharaonique de toute beauté, dont une petite statuette turquoise du dieu Thot (Ibis). Contrairement aux autres fois, je n’ai pas l’impression d’une ruche, mais d’un endroit plus calme, plus paisible. Je reste dans les arts premiers, très bien représenté cette année. Ils sont également présents dans la collection suisse Barbier-Mueller, je décide donc d’aller tout de suite voir cette exposition, joyau de la Biennale 2017. Je tombe nez à nez avec plusieurs très belles armures japonaises et ce petit masque. Il a appartenu au peintre André Derain. Il servait dans les danses masquées Kidumus et son rôle était, lors de cérémonies rituelles, de consolider la structure sociale et politique du groupe. La colonisation française a bien failli faire disparaître ce cadre cérémoniel, mais après l’indépendance du Congo, la tradition des rituels masqués a repris de la vigueur. Ce masque est un beau témoignage de ces cérémonies étranges, il est également, à mon sens, d’une incroyable modernité, il me rappelle un tableau de Paul Klee.
3- La belle Eve
Cette année, l’art déco perd du terrain et les tableaux anciens sont un peu moins nombreux que les années précédentes. Mais il y a encore largement de quoi satisfaire un amateur de peinture. Les peintures modernes sont bien représentées. A la galerie Tamenaga, je découvre ce pastel d’Odilon Redon, peintre symbolique qui brille par sa douceur et ses couleurs exceptionnelles. Dans cette Eve, le visage disparaît presque sous les traces de pastel bleu. Au milieu, d’un paysage cérébral, onirique, Eve, symbole de fécondité se tient debout, offrant ses hanches larges, aux regards du visiteur. A peine visible, le personnage tient d’une main un fil rouge. Quelle signification donner à cela ? L’Homme (ici, une femme), cherche le fil pour s’échapper du labyrinthe inutile que constitue la vie sur terre... Je note, en bas à gauche, un jeu subtil de plusieurs tonalités orange. Je suis frappé par la délicatesse de ce pastel.
4- Equilibre, déséquilibre
Le stand de la galerie Downtown oscille entre noirceur et couleurs vives, il présente une scénographie qui rend hommage à Le Corbusier. Une immense tapisserie couvre un mur entier. Mais je regarde surtout cette sculpture surprenante. Elle est bois polychrome et porte le nom du village d’Ozon, là où Le Corbusier s’est replié en 1940. Je suis surpris par toutes ces formes « tarabiscotées ». Je ne sais pas pourquoi, elles m’évoquent un dessin animé. Sur un socle très strict, une éclosion de couleurs et de formes prend place. Tout est fait pour évoquer un déséquilibre alors que la sculpture fait preuve de stabilité, là réside la prouesse artistique.
5- Le mystère Magritte
Je continue ma petite visite, les allées commencent à se remplir. A côté d'une petite toile de Max Ernst et en face d’un Gerhard Richter, je découvre un beau tableau de Magritte, peintre très simple dans la vie, mais roi du mystère surréaliste. Comme toujours, Magritte joue avec une succession de cadres et d’impressions, de quoi bouleverser les neurones du visiteur. La galerie Boon Art a choisi d’encadrer la toile par des petits miroirs, ce qui renforce l’impression kaléidoscopique de la composition. Accrocher cette magnifique œuvre du Magritte des années 30, à la veille de l’anniversaire des 50 ans de la mort du peintre, est une excellente idée...
6- Dugong et totems
Mais cette année, dans cette Biennale, mon cœur penche vers les arts premiers. Je m’arrête devant la galerie Anthony Meyer-Oceanic art. J’admire plusieurs totems, quelques masques et objets rares. Ce tissu vient des îles Salomon, en Mélanésie. Il était utilisé comme une forme de monnaie. Il est d’une incroyable finesse. Il pouvait également servir de vêtements lors de cérémonies bien précises. Le motif principal représente un dugong, grand et gros mammifère marin. En réalité, j’apprends qu’il ne s’agit pas, au sens commun, d’un textile mais d’un tissage d’écorces de plusieurs arbres océaniens. Il est magnifique et à lui tout seul symbolise le voyage.
7- Rêves de pierres
Après avoir été un peu boudé, le marché des meubles du XVIIIe siècle relève enfin la tête. Gilles Linossier, dont c’est la première participation, expose un bureau dos d’âne d’époque Lois XV. Il est signé Peridiez et celui qui voudra l’emporter devra sortir près de 60 000 euros de son portefeuille... Mais quand on aime... Enfin, c’est ce qu’on dit... Quant à la haute joaillerie, elle s’est enfuie depuis l’an dernier alors qu’elle était un des moteurs de l’ancienne Biennale des antiquaires. Mais quelques galeries sont tout de même là. L’indien Nirav Modi présente une parure de rubis d’une beauté étincelante qui devrait en faire rêver plus d’une. Le bijoutier anglais Mouassaieff expose ce collier qui ressemble à un serpent ou à une plume, mais dont le prix est assez lourd... C’est vrai qu’il est joli, non ?...
Cette Biennale resserrée, renouvelée, réussira-t-elle son pari ? Il y en a pour tous les goûts et les merveilles sont encore nombreuses. Le prix d’entrée non plus n’est pas donné : 35 euros... Cette Biennale 2017, qui ne compte qu’un tiers d’étrangers doit absolument être une réussite, elle est donc condamnée à un joli numéro d'équilibrisme...
La Biennale Paris : Grand Palais –Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Ouvert du lundi 11 au dimanche 17 septembre, de 11h à 21 h.
Nocturnes jusqu’à 23 heure mardi 12 et jeudi 14 septembre
Entrée plein tarif : 35 euros