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Rétrospective César au Centre Pompidou : un classique très moderne

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César est devenu célèbre dès l'âge de 35 ans. Le Centre Pompidou présente jusqu'au 26 mars 2018, 50 ans de travail acharné de cet artiste qui a toujours voulu innover et surprendre, sans jamais cesser de regarder du côté des grands classiques. Une exposition événement sur la dernière figure du Nouveau Réalisme, considéré comme un des plus grands sculpteurs de son temps.   

Dans les années 90, j’ai rencontré César à Jouy-en-Josas (ex fondation Cartier). Il travaillait devant une œuvre monumentale en fer. J’avais tout de suite été frappé par sa barbe frisée de dieu grec et son regard rieur, plein d’impertinence, de moquerie, mais aussi d’intelligence. J’avais remarqué son souci d’une extrême précision, tout en voulant garder un aspect inachevé à ses œuvres, comme le sont parfois les statuettes africaines des Arts Premiers. Depuis ce jour, je me suis un peu intéressé à son œuvre et j’ai toujours rêvé d’une grande exposition à Paris, pour cet immense artiste. Aujourd’hui, c’est chose faite. Le Centre Pompidou l’expose et revient sur tous les aspects de son parcours artistique. Il faut dire que Bernard Blistène, commissaire de cette exposition, directeur du musée national d’art moderne (Mnam) a déjà organisé une présentation César à Marseille en 2013, et qu’il a une grande tendresse pour l’œuvre et l’artiste. Je suis donc très curieux, vingt ans après sa mort, de découvrir cette grande rétrospective César, à Beaubourg. Quand j’arrive, je repère tout de suite le pouce de six mètres de haut. César en a fait beaucoup. Un de douze mètres de haut se dresse dans le quartier de la Défense. « Pouce ! C’est moi » semble dire cette sculpture de César, devant le célèbre musée parisien.

Photomontage anticipant l'installation du Pouce de 6 m devant le Centre Pompidou pour la rétrospective César. SBJ / Adagp, paris 2017 / Courtesy Luxembourg & Dayan. Photo danierl >Gonzales. Studio Piano & Rogers Centre pompidou / Georges Merguerditchian

Photomontage anticipant l'installation du Pouce de 6 m devant le Centre Pompidou pour la rétrospective César. SBJ / Adagp, paris 2017 / Courtesy Luxembourg & Dayan. Photo danierl >Gonzales. Studio Piano & Rogers Centre Pompidou / Georges Merguerditchian

Cohérence et complexité 

Le problème avec César, c’est qu’il y a une grande cohérence dans son œuvre, mais pas de passage chronologique d’un style à un autre. Il a souvent travaillé deux œuvres en même temps, avec deux styles et deux techniques complètement différentes. C’est peut-être pour cela qu’il en a agacé certains, toujours soucieux de logique et de cloisonnements, mais chez César, ça ne marche pas. Il est un peu comme sa toute première expansion : surprenant.

César : Expansion bouilloire, 1967. Mousse de polyuréthane, fer blanc. 41 cm x 39 x 22. SBJ / Adagp, paris 2017. Centre Pompidou, MNAM-CCI. Philippe Migeat / Dist RMN-GP

César : Expansion bouilloire, 1967. Mousse de polyuréthane, fer blanc. 41 cm x 39 x 22. SBJ / Adagp, paris 2017. Centre Pompidou, MNAM-CCI. Philippe Migeat / Dist RMN-GP

De la Belle-de-Mai à Beaubourg

César, fils d’immigrés italiens, est né à Marseille en 1921, dans le quartier populaire de la Belle-de-Mai. Comprenant l’intérêt de son fils pour le dessin et les arts, sa mère facilite son entrée aux Beaux -Arts de Paris en 1943. Il commence à travailler la sculpture dès 1947. César fréquente les galeries et les musées. Il est très curieux et il apprend vite. Il rencontre Giacometti et Germaine Richier. Il a peu d’argent, alors il travaille avec des bouts de ferraille récupérés et du plâtre. L’artiste a toujours été un bricoleur et il en est très fier. Il admire Picasso pour sa facilité à se saisir de tout ce qui lui tombe sous la main. Il le rencontre après une exposition au Grand Palais, consacrée au maître espagnol. César travaille pendant cinquante ans, dans son petit atelier, sans assistant, sans secrétaire. Trois choses sont essentielles pour lui : l’outil, le matériau dont il attend qu’il le surprenne, et la recherche d’une nouvelle technique inédite. Il est Italien, il a une grande vénération pour Michel Ange. Mais il admire aussi la force et l’importance de la matière chez Rodin. En réalité, César est un pont entre les deux : toujours classique, ou jamais loin du classicisme, mais sans arrêt novateur, toujours en prise avec son époque. Et oui, lui qui a sculpté de nombreuses poules est un drôle d’oiseau artistique. Je fais un tour général. L’espace est très ouvert, j’ai l’impression que les sculptures appartiennent à la ville que l’on aperçoit sans cesse à travers les grandes vitres du Centre Pompidou. Je repère huit œuvres qui retracent toute la carrière, riche et complexe, de César.

César à la Société des ferrailles de Gennevilliers. Début des années 60. Photo Giancarlo Botti

César à la Société des ferrailles de Gennevilliers. Début des années 60. Photo Giancarlo Botti

1 Un esturgeon

Grâce à ce poisson de métal, César s’est rapidement fait connaître, car il emprunte une technique à l’industrie : la soudure rapide, à l’arc. C’est aussi la preuve de l’intérêt de César pour les techniques de son époque. A ses débuts, César fait des petits personnages, qui font penser à Giacometti, en plus dynamique et plus joyeux. Il réalise aussi beaucoup d’animaux, dont ce poisson fait partie. Il lui rapporte le prix des Trois Arts, et un an plus tard il entre au Musée national d’art moderne. Je tourne autour, c’est une succession de tiges et de plaques de fer, souvent ajourées. Je trouve qu’il a fière allure.

César : Esturgeon, 1954. fer frogé et soudé. 81 cm x 340 x 58. MNAM / Centre Pompidou, Paris 2017. Centre Pompidou, MNAM-CCI. Georges Meguerditchian / Dist RMN-GP

César : Esturgeon, 1954. fer frogé et soudé. 81 cm x 340 x 58. MNAM / Centre Pompidou, Paris 2017. Centre Pompidou, MNAM-CCI. Georges Meguerditchian / Dist RMN-GP

2  Une déesse

César continue sa technique de soudure, mais sa deuxième séries des « fers soudés », présente des œuvres plus importantes et plus « ventrues » comme le dit Bernard Blistène. Ce sont souvent des corps de femmes, César en fait beaucoup, en terre, aux Beaux-Arts. C’est aussi une façon de renouer avec la grande sculpture classique, dont l’artiste ne s’est jamais vraiment éloigné, même s’il a eu sa façon à lui de se la réapproprier. J’observe ce buste sans tête. La surface est parfois polie, parfois en relief. César a fait un voyage à Pompéi qui le marquera. Cette œuvre est donc aussi une réflexion sur le temps. Le commissaire de l’exposition, Bernard Blistène souligne qu’elle est légèrement bancale, c’est aussi une façon de laisser une petite imperfection, ce que fait souvent César, comme si ce corps avait traversé de nombreuses années. Comme s’il avait été oublié et trouvé. Mais je ne suis pas sûr que ce soit vraiment le corps anatomique qui intéresse César, mais plutôt les formes géométriques, sculpturales, quasi abstraites. Par endroits, de petites plaques de fer surgissent, comme si l’œuvre, bien qu’en fer, était usée : encore une réflexion sur le temps. Cette femme présente un ventre arrondi, comme on peut le voir sur les sculptures féminines africaines : une déesse de la fécondité ? Probablement..

César : Torse, 1954. Fer soudé. 77,1 cm x 59,4 x 68,8. 2017, Digital image, The Museum of modern Art, New York / Scala, Florence

César : Torse, 1954. Fer soudé. 77,1 cm x 59,4 x 68,8. 2017, Digital image, The Museum of modern Art, New York / Scala, Florence

3 Une Dauphine

Pendant qu’il réalise ces corps, César invente la technique artistique des compressions. Il adore les brocantes et les casses automobiles. Dès 1958,  il rapporte de ses visites chez les ferrailleurs des plaques et des rubans de cuivres. Mais c’est une découverte à Gennevilliers qui va tout accélérer : la presse hydraulique américaine de la Société Française des Ferrailles, le choc. Il commence par réaliser des petites compressions. Il intervient encore pendant la compression en jetant des bouts de métal. Ces œuvres conservent encore un caractère anthropomorphe, puis il passe au stade au-dessus, en donnant beaucoup plus de pouvoir à la presse. Finalement, le matériau possède son propre langage, il suffit de l’observer et de l’écouter. Cette Dauphine raplatie, en forme de galette, en est un exemple. La presse a provoqué un écrasement des formes, la voiture est devenue sculpture.

César : Dauphine, 1959. Tôle automobile compressée et matériaux divers. 410 cm x 190 x 60. Ville de Nice / Muriel Anssens

César : Dauphine, 1959. Tôle automobile compressée et matériaux divers. 410 cm x 190 x 60. Ville de Nice / Muriel Anssens

4 Un véhicule ratatiné

Le succès est fulgurant. Au salon de mai, César fait scandale en présentant trois compressions de voitures, de 600 kilos chacune. Il dira " je vous en met pour trois tonnes ", manière de dire j'en fais des tonnes, mais je suis là"...Toujours l'ironie et l'humour du sculpteur. L'écrivaine Marie-Laure de Noailles, lui demande de compresser sa voiture russe : une Zyl, le véhicule des dignitaires communistes. Un jour, un homme d’affaire lui propose de compresser sa Rolls. César accepte mais… refuse de la signer… Le scandale sert souvent de tremplin aux artistes, mais César n’a jamais oublié d’où il venait. Il a toujours aimé faire des pieds de nez aux riches. Dans ses compressions de voitures, comme celle ci-dessous, il faut aussi y voir un frein à production à la chaîne. La voiture, symbole de la fierté capitaliste naissante, devient un assemblage de formes et de couleurs, rien de plus. Et puis César fait aussi un clin d’œil au cubisme, qui voulait voir les objets de tous les côtés, maintenant c’est fait.

César : Compression Yellow Buick, 1961. Tôle, automobile compressée. 151,1 cm x 77,7 x 63,5. 2017, Digital image, The Museum of Modern Art / Scala Florence

César : Compression Yellow Buick, 1961. Tôle, automobile compressée. 151,1 cm x 77,7 x 63,5. 2017, Digital image, The Museum of Modern Art / Scala Florence

5 Mousse créative

Les médias s’emparent de César. Mais lui, c’est le travail qui l’intéresse. Il met deux ans à maîtriser un nouveau matériau : la mousse expansive (polyuréthane). César réussit, dès 1969, de grandes expansions. Et un fois de plus, il fait un clin d’œil à l’art classique, car ces expansions ont l’aspect lisse d‘un marbre classique. Mais ces coulées de matières en laisseront plus d’un, perplexe.

César : Expansion numéro 1, 1969. polyestetr armé de fibre de verre et laqué. 220 cm x 150 x 40. SBJ / Adagp Paris 2017. Photo André Morin

César : Expansion numéro 1, 1969. polyestetr armé de fibre de verre et laqué. 220 cm x 150 x 40. SBJ / Adagp Paris 2017. Photo André Morin

6  Pouce !

Avec un humour potache et un petit sens de la provocation, César moule son pouce. Pour procéder à l’agrandissement, il utilise l’outil des sculpteurs classiques : le pantographe, encore un hommage discret à la grande sculpture . Mais César ne s’arrête pas là. Il veut mouler les seins de Brigitte Bardot. L’actrice ne semble pas très enthousiaste, alors il se rabat sur ceux d’une danseuse du Crazy Horse. L’artiste a toujours beaucoup aimé le corps des femmes. Mais à travers cette œuvre, le sculpteur revient sur une notion essentielle de l’histoire de l’art : l’échelle.

César : Sein, 1967. résine de polyuréthane laqué. 82 cm x 266 x 193. Photo Lothaire Hucki. Villa Noailles, 2016

César : Sein, 1967. résine de polyuréthane laqué. 82 cm x 266 x 193. Photo Lothaire Hucki. Villa Noailles, 2016

 

7 Le moulin du temps

Le centre Pompidou présente l’ensemble de l’œuvre de César, dont une période très peu connue : les "enveloppages", néologisme inventé par l’artiste. Ce sont des œuvres chinées dans des brocantes, des téléphones, des moulins à café, des ventilateurs, que l’artiste enrobe dans une feuille de Plexiglas chauffée. La technique est risquée, souvent la feuille de Méthacrylate se casse au pliage, ou quelques temps après. C’est pourquoi il existe très peu d’œuvres comme celle-ci. Je regarde ce moulin à café et me dis qu’une fois encore César a dressé un pont entre passé et présent : un objet antique recouvert de la dernière technologie.

César : Enveloppage, 1971. Machine à écrire et Plexyglas. 40 cm x 40 x 50. SBJ / Adagp, Paris 2017. Centre Pompidou, MNAM-CCI. Philippe Migeat / Dist RMN-GP

César : Enveloppage, 1971. Machine à écrire et Plexyglas. 40 cm x 40 x 50. SBJ / Adagp, Paris 2017. Centre Pompidou, MNAM-CCI. Philippe Migeat / Dist RMN-GP

8 Le centaure et la poule

César reçoit une commande, un hommage à Picasso. Cela l’effraye un peu, comment être à la hauteur de Picasso et trouver une idée ? Il réalise le centaure, bien connu des Parisiens, car il trône au carrefour Croix Rouge . Au départ, l’artiste lui avait fait une tête, mais il change d’avis et opte pour un autoportrait. Dans le même esprit, j’observe cette œuvre, une poule sur patins à roulettes. C’est à mon avis une des réalisations les plus réussies de l’artiste. Les ailes sont constituées d’outils, si importants pour César. Ce sont des limes et plein d’autres structures métalliques dont des écrous crantés placés au bon endroit des articulations, suggérant ainsi une possible mobilité. Tout César est présent dans cette poule : l’archaïsme voulu, le classicisme, la notion d’inachevé, l’humour.

César : Fanny Fanny, 1990. Bronze soudé. 200 cm x 120 x 260. SBJ / Adagp, Paris 2017. DR

César : Fanny Fanny, 1990. Bronze soudé. 200 cm x 120 x 260. SBJ / Adagp, Paris 2017. DR

Je reste longtemps devant une œuvre inédite, une tête romaine donnée par le célèbre commisaire-priseur, maître Rheims.  César entoure le visage d’une structure en fer : magnifique, magique. Une œuvre qui reflète une grande mélancolie.

César obtient enfin, pour ses réalisations, l’écrin qu’il mérite : le Centre Pompidou. Cette exposition est unique car elle présente des œuvres inconnues venues de nombreux musées internationaux et de collectionneurs. L’énergie, l’audace et l’intelligence du sculpteur transparaissent dans chaque réalisation. Pas de doute : César mérite bien le César de la sculpture, de la fin du XXe siècle.

Centre Pompidou

De 11h à 21h tous les jours sauf le mardi

Entrée : 14 euros / TR : 11

 

 

 

 

 


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