Le LaM, musée d'art moderne d'art contemporain et d'art brut, de Villeneuve d'Ascq, propose jusqu'au 20 mai 2018, une grande exposition sur un artiste très novateur, mais totalement oublié : Nicolas Schöffer. De son vivant, les innovations de ce créateur, ont suscité des réactions enthousiastes. Ce sculpteur ne concevait pas une oeuvre sans un environnement de lumières et de sonorités. Aujourd'hui, Nicolas Schöffer est considéré comme un des pionniers de l'art numérique. Visite.
La dernière exposition de Nicolas Schöffer remonte à près de cinquante ans. Depuis, cet artiste est tombé dans l’oubli. Pourtant, ce créateur, innovateur et précurseur, né en 1912 en Hongrie, a profité d'un degré de notoriété, que peu d’artistes de sa génération ont connu. Il a même été soutenu par les plus hauts dirigeants du pays. En 1968, il reçoit le grand prix de sculpture de la 34e biennale de Venise. Il est alors considéré comme le symbole de l’homme qui croit au progrès, l’incarnation d’une époque que le futur fait encore rêver. Et pfuiiitttt... Plus rien, Nicolas Schöffer disparaît des écrans radars artistiques, jusqu’à ce jour, où le musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (LaM) de Villeneuve d’Ascq, a le culot de proposer une grande "rétroprospective" Schöffer. Le titre est bien choisi car Schöffer a toujours créé, en allant de l'avant. Je ne peux pas rater ça, je file sur place, d’autant que cet établissement possède une très belle collection d’art brut, que j’ai toujours beaucoup de plaisir à revoir.
Les débuts de Nicolas Schöffer
Nicolas Schöffer a un grand rêve : lier l’art à la vie. De la peinture aux sculptures animées, il explore tous les types d’art, tous les médiums, toutes les techniques les plus avancées pour y parvenir. A ses débuts dans les années 30, Nicolas Schöffer n’est pas encore un artiste-chercheur. Il commence le plus classiquement du monde, par la peinture. Cette toile est la première œuvre de l’artiste. Il la réalise quand il est encore élève aux Beaux-Arts de Budapest. Un homme vêtu de blanc parle à la foule. A cette époque, le jeune peintre est influencé par le style et l’univers religieux de Georges Rouault.
Les machines à peindre
En juillet 1947, l’artiste découvre l’exposition surréaliste de la galerie Maeght, organisée par André Breton et Marcel Duchamp. Sous l'influence du surréalisme, Schöffer se met à peindre des figures monstrueuses. Je regarde deux encres de Chine qui me font penser à Max Ernst, surtout au tableau "L'ange du foyer". Mais dans le même temps, et c’est plus surprenant, il peint également des toiles abstraites géométriques. Bref, il se cherche encore. Mais déjà, Schöffer montre son intérêt pour la technologie. Il met au point deux techniques pour peindre. Il utilise soit un pistolet à peindre, soit une boîte trouée au bout d’un balancier. Très vite, le créateur colle sur ses tableaux abstraits des éléments électriques, c’est le début d’un grand changement.
Une étrange horloge
Nicolas Schöffer est également très influencé par l’univers ferroviaire et sa signalétique. On le retrouve dans la majeure partie de son œuvre, à commencer par cette horloge, sa première sculpture. Il la réalise pour André Bloc, directeur de la revue « Aujourd’hui », spécialisée dans l'art et l'architecture. L’artiste lui donne un titre aussi étrange que scientifique : «Horloge spatiodynamique aux mouvements contrastés ». Le spatiodynamisme est né, c’est le rapport existant entre l’espace et l’œuvre et le dialogue entre les deux. En regardant cet œuvre, je me dis que, dès ses débuts en sculpture, Nicolas Schöffer est bien un artiste-architecte.
A la recherche d'une oeuvre théâtrale
Schöffer veut absolument que l’art s’intègre dans la l’architecture de la ville, et vice versa. Il pense à une ville spatiodynamique. Je regarde le dessin d’un théâtre en forme d’œuf, je suis frappé par la modernité de cette architecture. On n’est vraiment pas loin du récent bâtiment la scène musicale, qui a déclenché nombre de félicitations. Pour Nicolas Schöffer, la sculpture doit absolument être spectaculaire. En regardant toutes les sculptures qui m’entourent, je découvre que les ombres portées sont très importantes pour l’artiste. Selon lui, une œuvre doit être théâtrale, déclenchée un théâtre ombres, être accompagnée d’une musique (Pierre Henry). L’art-spectacle vient de voir le jour et Nicolas Schöffer en est son principal animateur.
Un robot-danseur
Mais Schöffer va encore plus loin. J’observe trois sculptures dont une qui tourne. En réalité ces œuvres servent à des mises en scène d’ombres et de lumières, sujet crucial pour Schöffer. L’artiste-metteur en scène-architecte, rêve de rajouter de vrais acteurs au sein de ses œuvres. Grâce au chorégraphe Maurice Béjart, cela devient réalité. Le célèbre danseur intègre un « robot danseur », de Nicolas Schöffer, dans un de ses ballets.
Rassemblement des arts
L'artiste travaille également avec Carolyn Carlson. C’est l'époque des trente glorieuses, tout ce qui symbolise un progrès technique et annonce un futur radieux est plutôt bien vu. J'observe un robot danseur. Il a une particularité : il avance dans tous les sens quand on claque des mains. Nous sommes plusieurs visiteurs à tenter l’expérience. Mais n’allez pas croire que le dispositif technique de ces sculptures animées, est très compliqué. Parfois, cela relève un peu du bricolage. Le musée a dû en réparer un grand nombre, un véritable défi technologique. Sur cette photo, Maurice Béjart danse dans une sculpture de Nicolas Schöffer. Comme l'ombre, le danseur fait partie intégrante de l'oeuvre. Le sculpteur a réussi son pari.
Un amoureux des dernières technologies
Les sculptures de Nicolas Schöffer flirtent avec tous les arts et sont des machines à rêve. C 'est un cinéma sans caméra, ou la technique, même simple, a toute sa place. L'artiste est ami avec un autre sculpteur, qui lui aussi utilise des petits moteurs : Jean Tinguely. Mais autant Tinguely se classe du côté des artisans et se moque ouvertement de la technologie, autant Schöffer serait plutôt du côté des ingénieurs, amoureux de toutes les dernières technologies et cherchant sans cesse à les mettre à l'honneur dans ses créations. Cette photo prise dans l'atelier du créateur le prouve.
Une nouvelle Tour Eiffel
Dès 1955, Schöffer érige une tour spatiodynamique dans le parc de Saint -Coud. Elle fait cinquante mètres de hauteur. Elle est recouverte de capteurs et toutes les informations sont traitées par un cerveau électronique. Il en construit une autre à Liège, à Bonn,et dans la banlieue de Budapest. Soutenu par André Malraux et par le président Georges Pompidou, Schöffer met au point une Tour Lumière Cybernétique (TLC), une Tour Eiffel de l’ère électronique, de plus de 307 m de haut. Elle doit rassembler et symboliser toutes les énergies présentes dans la capitale française. Un immense signal, illuminant tout Paris, en aurait été l’incarnation. Le lieu d’implantation est même choisi : le quartier de la Défense, dont la première phase de construction s’achève. Mais la crise pétrolière pointe son nez, le projet est abandonné. Avec tous ses capteurs et projecteurs, il est jugé trop énergivore. Schöffer est déçu.
Hypnose à domicile
Le créateur continue ses recherches artistico-scientifiques. Dès 1958 et 1963, il fait breveter deux appareils : le Luminoscope et le Téléminoscope. Grâce à ces nouveaux outils électroniques, il réalise la dernière séquence abstraite du film de Claude Lelouch « Le propre de l’homme » (1960). Avec le Luminoscope, l’idée de l'artiste est de diffuser sur un écran, des images abstraites très douces et très lentes, capables de mettre le téléspectateur dans une sorte d’hypnose. C’est le rêve à domicile, le Lumino avant de faire dodo.
Voom Voom
Ce qu’il a fait lentement, il le fait rapidement. Il réalise les « Microtemps », des accélérateurs visuels qui vont jusqu’à toucher le système nerveux. Ces petites machines, déclenchent un prisme de lumières stroboscopiques. En 1966, il crée pour une boîte de nuit de Saint Tropez, le Voom Voom, un gigantesque Microtemps : gros succès. « Attention les secousses… ». La célèbre émission de télévision Dim Dam Dom se déplace pour rendre compte de l'événement. Pour définir cet effet lumineux, le commissaire de l'exposition, Arnauld Pierre a un joli mot : "Vitrail mouvant".
D'une seule main
A la fin des années 80, Nicolas Schöffer fait une hémiplégie. Il perd l’usage de la main droite. Il possède un des premiers micro-ordinateurs personnels. De sa main valide, il manie la souris pour créer des dessins : des ordigraphics. Une fois la feuille sortie de l’imprimante, l’artiste colorie encore certaines zones. Fait rare, le musée en présente une grande série. Ils sont réalisés avec des couleurs primaires et me rappelle les papiers découpés de la fin de vie de Matisse. Ils sont la preuve, que jusqu’au bout, Nicolas Schöffer sera resté fidèle au culte des nouvelles technologies. L’artiste meurt le 8 janvier 1992, à Paris.
Je suis ravi d’avoir vu cette rétrospective sur cet artiste, qui a toujours jonglé d'un projet à un autre, en regardant devant lui. Cette présentation est aussi un beau témoignage d’une époque révolue, mais proche. Je trouve que l’œuvre de Nicolas Schöffer résonne particulièrement aujourd'hui, à l’heure où beaucoup de jeunes artistes se passionnent pour les sciences et où robots et algorithmes jouent un rôle de plus en plus important dans la création artistique.
LaM : Villeneuve d'Ascq
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Entrée : 10 euros. TR : 7