La galerie Daniel templon présente jusqu'au 24 octobre 2015, les dernières oeuvres de Jitish kallat, à travers l'exposition intitulée : The Infinite Episode. Un voyage étrange où les galaxies et les nébuleuses sont remplacés par des aliments échographiés au rayon X. Focus sur le travail récent d'un artiste célèbre dans le monde entier.
Il y a deux ans, j'ai vu les travaux de Jitish Kallat à la galerie Templon, dont une installation qui a fait causer. Aujourd'hui, la même galerie expose les dernières œuvres de l'artiste indien. Je pousse la lourde porte du 30 rue Beaubourg, traverse la petite cour sans intérêt et arrive dans la galerie. Comme à chaque visite, je remarque le parquet impeccable, les murs blancs immaculés, la lumière crue et le silence, presque pesant. Dès mes premiers pas, j'aperçois de grands dessins qui retiennent mon attention.
Nature créatrice
J'avais peur que les derniers dessins de Kallat soient de petit format, mais heureusement : non. Ils sont même de grande taille et ils le méritent. J'observe longuement un papier de la série Wind Study. Ce titre s'explique par la technique employée. L'artiste trace d'abord un trait au crayon, puis il utilise de l'adhésif et un liquide inflammable auquel il met le feu. Comme il travaille à l'extérieur, le vent pousse les flammes et le graphite pour donner le dessin final. Est-ce une constellation ? Une carte au trésor ? Un parcours de vie à effectuer ? Tout cela à la fois.
Des chemins opposés
Il y a plusieurs dessins de ce type, tous très beaux. Je remarque celui-ci,au premier plan à droite, avec un jeu de triangles opposés, l'un affirmant une dynamique vers le haut, l'autre vers le bas. Je trouve qu'il y a une belle douceur dans cette série de dessins, que je ne connaissais pas. Mais attention, cette apparente "zénitude" semble fragile, comme nous, comme l'Inde, comme le peuple indien, comme tout...
Quelques obsessions
Un coup d'œil général à l'exposition me permet de retrouver les grands thèmes, les obsessions de Jitish Kallat : Le cosmos, la survie, la nourriture, le sommeil, le temps, le rapport entre création et forces naturelles.
Pulpe de vie
J'observe une série de photos, jouant sur l'infiniment grand ou l'infiniment petit. En fait ce sont des fruits vus de très près. Le fruit étant le symbole de la nourriture et de la vie. De plus, il pousse sur l'arbre, symbole incontournable du processus vital. Je remarque la douceur des couleurs : ces fruits ressemblent comme deux gouttes d'eau à une immense constellation, superbe.
La lune et le temps
Je retrouve le même phénomène dans une salle toute noire. Sur un mur entier, j'aperçois le cycle lunaire. J'approche et je remarque qu'il s'agit en fait de nans, petits pains indiens, grignotés à différents niveaux. Le pain devient lune. En Inde, il éclaire le quotidien en permettant la survie des pauvres, tout comme la lune éclaire le chemin la nuit et permet d'avancer. Cette œuvre est aussi une réflexion sur le temps : combien de petits pains mangés durant une vie ? A la mort de son père, Kallat avait fait ce calcul. La notion de cycles intéresse particulièrement Jitish Kallat. Je constate que si le pain devient lune, il finit en toutes petites poussières d'étoiles à peine visible...
Dortoir astral
Je poursuis ma visite et découvre une grande sculpture constituée d'une succession d'animaux, tous endormis et tous de la même taille. Un rat est aussi grand qu'un éléphant ou qu'un ours. Je remarque leur couleur jaunâtre, intemporelle. A travers cette œuvre, Kallat affirme, que tous les animaux sont égaux et inoffensifs dans le sommeil; à moins qu'il ne s'agisse de la mort... Et ce qui est vrai pour les bêtes, l'est aussi pour nous... A première vue, je crois que cette série de sculptures est en plâtre, mais l'attachée de presse de la galerie, m'explique qu'elles sont en plâtre dentaire, une matière beaucoup plus solide. C'est un drôle de matériau, mais Kallat adore innover et travailler les matières les plus inattendues. Il s'est fait connaître avec une moto en os et affirme haut et fort son côté petit chimiste. Ces animaux endormis, tous alignés comme une suite d'étoiles sont troublants. Kallat, lui, évoque "un dortoir astral".
Un expérimentateur reconnu
Jitish Kallat veut bousculer nos certitudes, il aime établir des associations d'idées et jouer avec des métaphores, sans perdre de vue le quotidien : la dure vie d'une grande partie des indiens. Kallat est né en 1974 à Bombay, où il vit et travaille. Peintures, collages, sculptures, installations, œuvres multimédias : il ose tout. Après son baccalauréat en beaux-arts à Mumbai (Bombay), il expose en solo. Dans son travail, il fait référence aux traditions artistiques de l'Europe ou de l'Asie, mais aussi à toute l'imagerie publicitaire qui envahit les rues des mégalopoles indiennes. L'Histoire, la politique, surtout celle de Gandhi, l'interpelle et l'inspire. Il est très sensible aux notions de "désobéissance civile" et de "non-violence absolue" du Mahatma Gandhi. Kallat est largement exposé dans de nombreuses institutions artistiques internationales : Palais des Beaux Arts de Bruxelles, Tate Modern de Londres, Mori Art Muséum de Tokyo, Centre Pompidou de Paris, Art Institute de Chicago etc. Aujourd'hui, il est considéré comme un des artistes les plus prometteurs de la scène artistique contemporaine.
Du côté de l'impasse
La galerie Templon se divise en deux espaces d'exposition. Je traverse donc la rue Beaubourg et me rends, en face, dans une impasse, pour la fin de l'exposition. Dans ce deuxième lieu, Kallat expose un immense réchaud géant couvert d'une quantité incroyable d'animaux. En Inde, cet objet culinaire est crucial pour le quotidien et la survie des gens. Là encore, l'artiste trompe son monde, la patine est si réussie que je le crois en bronze. En réalité, il est en résine. Je fais le tour car il mérite d'être regardé en détails. Sur un mur j'aperçois des dessins au graphite et liquide inflammable, comme dans la première partie de l'exposition, mais j'ai du mal à détourner les yeux de cette sculpture étrange : une sorte d'arche de Noé, version indienne.
Plein la tête
Dans la dernière salle, la galerie projete un film : "The Hour of the day of the month of the season". Au départ, quelques assiettes sur une table. Très vite, elles deviennent une espèce de constellation planétaire et le visiteur ne sait plus trop où il est. J'ai l'impression que des aliments m'arrivent en pleine figure. Six rôtis s’emparent de l'espace et meurent devant les yeux de l'observateur perplexe. Où suis-je, dans quel état. Réponse : tout simplement dans l'univers de Jitish Kallat.
Cette exposition est à la fois un parcours sensoriel et une remise en cause de nos échelles de mesure. C’est une nouvelle façon d'aborder l'infiniment grand et notre souci de survie, face à des éléments naturels qui nous dépassent, mais qui influent directement sur nos petites vies. La vision de Kallat, sur notre planète, mérite un petit détour vers la rue Beaubourg.
Galerie Daniel templon : 30 rue Beaubourg. 75003 Paris.
Du lundi au samedi de 10h à 19h.