Le Centre Pompidou présente jusqu'au 15 février 2016, une rétrospective du peintre cubain Wifredo Lam, ami de Picasso et des surréalistes. 400 peintures, dessins, photographies, livres, pour découvrir une oeuvre singulière, personnelle, visant à l'universel.
Si Wifredo Lam est bien connu des amateurs d'art, il ne l'est pas du tout du grand public. En ce qui me concerne, j'ignore beaucoup de choses sur lui. Comme tout le monde, je sais qu'il a été influencé par Picasso, mais le réduire à cela serait une énorme erreur. L'exposition du Centre Beaubourg en est la preuve. Lam s'intéresse à l'art asiatique (son père est chinois) à la culture afro-cubaine et aux rituels religieux locaux (sa mère est d'origine africaine), à l'art européen (il a vécu en Espagne et en France), au grand nord (il a épousé une suédoise), au surréalisme (André Breton avait beaucoup d'estime pour lui), à l'œuvre de Picasso mais aussi à celle de Gauguin et de Matisse, à l'érotisme aussi, omniprésent dans son travail. Wifredo Lam est un être multiculturel et qui le revendique. Mais comment s'est-il approprié toutes ses rencontres et ses découvertes culturelles ? Il faut aller au Centre Pompidou pour avoir la réponse. Le dossier de presse qualifie l'exposition de : "regard renouvelé sur une œuvre conçue comme un manifeste poétique et engagé". En tout cas, c'est une exposition de grande envergure. Je m'y précipite.
Belle allure
Je grimpe au dernier étage. Une vitrine présente la famille de l'artiste et une immense photo le représente : un jeune homme qui a fier allure, sorte de dandy aux yeux en amande, légèrement exorbités. Il est mince et je comprends tout de suite que cet homme là a un certain charisme.
Construction artistique
Je jette un regard sur la première salle. Les œuvres des débuts montrent un jeune artiste en train de se construire. J'observe la toile ci dessous. Beaucoup d'éléments me rappellent Matisse : la table ronde au premier plan, la fenêtre ouverte, le balcon en fer forgé, le décor à motif : du pur Matisse.
Grands maîtres
Quelques mètres plus loin, je découvre ce tableau, beaucoup plus proche de Gauguin et de Picasso. Au contact des artistes qu'il découvre, Lam fait évoluer sa technique : plus d'aplats de couleurs. et les visages ressemblent de plus à des masques, qui m'évoquent un peu l'expressionisme allemand. Quant aux couleurs, elles ont déjà un aspect pastel, ce qui est une des spécificités de Wifredo Lam. En fait il dessine comme on peint et il peint comme on dessine, d'où son originalité.
Multiculturalisme
Wifredo Lam est né le 8 décembre 1902 à Sagua la Grande, à Cuba. Avec un père cantonais et une mère possédant une double ascendance africaine et espagnole, le jeune Wifredo est très vite conscient de la question raciale et de ses conséquences sociales. Dans sa famille, les cultes aux dieux africains coexistent avec la pratique du catholicisme, sans problème. Les frontières, chez les Lam, on ne connaît pas et cette ouverture d'esprit, l'artiste ne l'oubliera jamais.
Lignes
Jeune, il dessine, beaucoup. Il est vite remarqué et obtient une bourse. L'exposition présente plusieurs dessins dont celui-ci, au trait très sûr. Je remarque l'arc de la bouche et l'expression du regard.
La guerre et le deuil
Fin 1923, le boursier arrive en Espagne. Il visite les musées, admire Le Gréco et Goya. Il reste 15 ans en Espagne. En 1931, Wifredo Lam perd sa femme Eva et son fils, victimes de la Tuberculose. La douleur est extrême, il s'engage de plus en plus en politique. En 1936, la guerre civile éclate. Lam dessine des affiches antifranquistes. Après la victoire des armées franquistes, il part rapidement pour Paris.
Le bouillon de culture parisien et le soleil surréaliste de Marseille
Le 22 mai 1938, il rencontre Picasso dans son atelier. La séduction est réciproque.Très vite, ils deviennent amis. Picasso demande à Pierre Loeb, marchand de tableaux, de regarder les travaux de Wifredo Lam. En 1939, Lam expose aux côtés de Picasso à New York. Lam veut partir aux Etats-Unis. Il apprend qu'un américain, Vivian Fry, regroupent les artistes, qui fuient le nazisme, dans une villa à Marseille, en attendant un visa pour les Etats-Unis. Il s'y rend avec sa femme. Là, il côtoie André Breton, Max Ernst, Masson, René Char, Tristan Tzara, Oscar Dominguez et d'autres. Au contact des surréalistes, il libère encore plus son imagination et cela est très bénéfique pour son travail. J'observe ce petit dessin plein de joie et d'audace. Bien sûr, il y a du Picasso dans cette oeuvre...
Les secrets du serpent
Dans une vitrine j'aperçois un livre très rare : un poème (A la santé du serpent), manuscrit par René Char et illustré par Wiffredo Lam. Superbe et fragile.
La Martinique et Cuba
Dans l'attente d'un navire vers les Etats-Unis, Lam arrive aux Antilles. Il pense que c'est une première étape... Avec André Breton, il rencontre le poète Aimé Césaire, un moment important pour l'artiste cubain. Avec lui, il partage le combat contre toute discrimination raciale. Après dix huit années d'absence, Wifredo Lam retrouve Cuba. Il se lie d'amitiés avec Lydie Cabrera qui lui présente les adeptes de La Santeria, culte religieux local. Cela aura une certaine importance dans son art. En 1945, le peintre voyage à Haïti, autre pays des esprits...
Cap au nord
A la suite d'un divorce difficile avec Helena Holzer en 1951, Lam retourne à Paris. A un vernissage, il rencontre une jeune artiste suédoise : Lou Laurin, qu'il épouse à Manhattan en 1960. La Suède et le grand nord : encore une nouvelle culture qu'il découvre et "digère". Il s'adonne aussi, à Milan, à la technique de la gravure, dans l'atelier d'un maître en la matière : Giorgio Upiglio.
Dernier voyage
Mais la santé de l'artiste cubain se dégrade : attaque de paralysie en 1978. Après de très nombreuses expositions et congrès culturels, Wifredo Lam s'éteint le 11 septembre 1982. Sa vie est comme son art, faite de rencontres, de voyages et de mouvements.
La jungle
C’est une œuvre très importante dans l'art de Wifredo Lam. Je regarde longtemps cette grande toile à la composition verticale et aux couleurs étranges. Dès qu'elle a été terminée, cette grande toile a été achetée par le MOMA de New York. J'observe de près les corps amaigris qui se perdent dans une végétation luxuriante. Le souvenir des esclaves qui fuyaient et se cachaient dans les champs de cannes à sucre ? C'est probable. Si Wifredo Lam s'inspire nettement des masques africains, il n'hésite pas à les recomposer à sa façon, pour créer son propre monde, unique. Mais le plus surprenant, pour moi, ce sont les couleurs : verts, bleu, rose. La commissaire de l'exposition, Catherine David, m'explique que cela pourrait faire penser aux vitraux Art Nouveau. Ah oui, c'est vrai, je ne l'avais pas vu, preuve une fois de plus que Wifredo Lam, artiste curieux et cultivé, s'intéresse à tout. Ce tableau étrange est souvent considéré comme l'emblème de la culture cubaine.
L'alchimie des énergies
Je continue ma petite visite passionnante et découvre une autre grande toile, superbe : "Chant d'osmoses". Quelle énergie, d'ailleurs c'est peut-être cela le vrai point commun entre Picasso et Lam : le goût pour un éternel recommencement et le sentiment qu'après toute mort, il y a une nouvelle vie.
Le culte du présent
Un autre tableau très grand format attire mon attention : "Le présent perpétuel" ; la commissaire de l'exposition m'indique que cette œuvre n'a pas été vue depuis 1968. Je suis frappé par la technique picturale utilisée : des couleurs très transparentes, fluides, un peu comme une aquarelle, sur une toile de jute très épaisse et très présente : surprenant. A gauche, le personnage aux fesses protubérantes et à la tête en forme de vagin, évoque une prostituée. Un souvenir de Cuba où la prostitution a toujours été très présente ? Là encore les corps et la végétation se confondent dans une atmosphère d'une grande sensualité, voir d'un érotisme certain.
La Santeria
L'autel pour Yemaya est une belle huile sur papier. Elle représente un autel du culte Santeria et cela prouve bien l'importance de cette croyance "vaudou" pour l'artiste, même s'il semble plus intéressé par la forme que par le fond. La Santeria mêle rituels africains du Niger et croyances animistes. Lam, lui, est plutôt athée, mais il est sensible aux décorum de La Santeria. A Cuba cette religion est très importante.
Le goût des symboles
A la même période, Lam peint également ce grand tableau : Les noces, dans lequel croyances et symboles se multiplient et se croisent.
Signature
En 1948, l'artiste réalise une autre œuvre dans laquelle j'aperçois nettement sa marque de fabrique : un petit masque cornu et tout rond , au centre à gauche, dans ce tableau. Il est omniprésent dans l'oeuvre de Lam.
L'Italie et le travail de la terre
Lam s'installe à Albissola, en Italie en 1954. Il y séjournera régulièrement jusqu'à la fin de sa vie. Albissola est un important centre de céramique. Il est séduit par le travail de la terre cuite et joue avec les temps de cuisson. L'exposition présente plusieurs céramiques. A titre personnel, je ne suis pas du tout convaincu par ses travaux...
Epuration
Je fais un dernier tour pour revoir tous les tableaux et je remarque qu'à la fin de sa vie, Lam utilise des fonds marrons épurés. Les oeuvres paraissent moins chargées, il n'y a plus l'impression de foule. Désormais, peu de personnages habitent le tableau.
Complexité
Cette exposition montre bien, peut-être pour la première fois, la multiplicité des sources d'inspiration de Wifredo Lam. Si Picasso compte beaucoup, il est loin d'être le seul. Je crois que Lam est un beau symbole de mondialisation artistique. En fait, il est un passeur entre les avant-gardes artistiques de l'époque, entre l'Europe et les Amériques. Au fil des ans, il a construit un œuvre très personnelle, singulière, sensuelle, originale, raffinée, spirituelle, poétique, moderne. Je pense que cette exposition, qui n'oublie aucune nuance de l'œuvre tentaculaire de Lam, peut séduire un large public. Je l'espère. Je n'ai qu'un regret : la platitude la scénographie. Un artiste aussi inventif que Wifredo Lam aurait mérité mieux.
Mais je laisse la conclusion au poète Aimé Césaire : "Et c'est libre de tout scrupule esthétique, libre de tout réalisme, libre de tout souci documentaire, que Wifredo Lam tient, magnifique, le grand rendez-vous. Terrible : avec la forêt, le marais, le monstre, la nuit, les graines volantes, la pluie, la liane, l'épiphyte, le serpent, la peur le bond, la vie".
Centre Pomipidou : tous les jours sauf le mardi de 11h à 21h.
Entrée : 14 euros / TR : 11.