Deux expositions saluent les travaux photographiques de l'agence allemande Ostkreuz. L'une au Goethe-Institut de Paris jusqu'au 18 décembre et l'autre à la galerie Passage Du Désir jusqu'au 29 novembre. Ces deux accrochages reflètent le développement de la photographie depuis plus de vingt ans et présentent un regard aigu sur l'histoire de Berlin-Est.
Au printemps 1990, sept photographes est-allemands sont attablés dans un bistrot parisien, du quartier des Halles. Quatre d'entres eux, Sibylle Bergemann, Harald Hauswald et Ute et Werner Mahler, ont déjà répondu, par le passé, à une invitation du président François Mitterrand, désireux de rencontrer les artistes les plus connus de la RDA, en vue d'une grande exposition. Mais ce jour là, ils goûtent au plaisir de la vie de la capitale. Ils boivent un verre et regardent autour d'eux. A cette époque, le mur vient de tomber (novembre 1989), mais l'Allemagne n'est pas encore réunifiée. L'air de Paris les inspirent, ils décident de créer leur propre agence : Ostkreuz, allusion à une station de métro à l'est de Berlin. 25 ans plus tard, cette agence est devenue une des plus reconnues d'Allemagne, mais chaque photographe a su garder son propre style et ces deux expositions le prouvent.
Souvenirs
Ostkreuz s'intéresse avant tout à sa ville, Berlin. Le collectif de photographes est désireux d'en saisir les évolutions, nombreuses. Il veut en montrer tous les aspects, les squats évacués manu militari après la chute du mur, les appartements cossus des quartiers ouest, mais ils témoignent également de la lourdeur de la vie quotidienne et de l'incroyable système de surveillance en Allemagne de l'Est. Avec leurs appareils, ils racontent la vie quotidienne à Berlin-Est. Ils recherchent les endroits où l'ambiance et l'esprit de la Stasi hantent l'espace. Ils n'ont pas beaucoup à chercher. Cette photo d'Harald Hauswald en dit long sur un peuple qui souffre et se résigne. De toute façon, il n'a pas le choix. Ces trois personnages l'illustrent à merveille. La peur de communiquer, la petitesse technocratique, le doute, les rêves éteints, la crainte de la Stasi : tout est dit. Deux sur trois s'accrochent à leurs cartables comme à une bouée de sauvetage. Cette photo résume à elle seule la vie en RDA, sous le joug communiste.
Silence
En 2007, Thomas Meyer photographie cette ex-salle d'interrogatoire de la Stasi, restée intacte. Elle a encore, largement, de quoi glacer. Elle est le symbole d'un régime totalitaire où tout se fait derrière des murs qui ont des oreilles mais pas d'âme. L'observateur comprend tout de suite que le téléphone au premier plan à gauche et le petit boîtier à droite, sont des armes terrifiantes. Et combien de dossiers a contenu cette armoire de fer, au second plan. Un silence menaçant circule dans ce cliché, en apparence banale.
Building
"Manhattan", c'est le nom que les habitants, avec un peu d'humour, donnent à un immeuble situé à une centaine de kilomètres à l'est de Berlin, à proximité de la frontière polonaise. "Manhattan" est un des deux édifices de quatre étages, considérés en RDA, comme des architectures de prestige. Après la chute du mur, ils tombent vite en déclin. Il ne reste plus, dans un immeuble, que 40 personnes sur 200. Stéphanie Steinkopf a suivi pendant trois ans les derniers habitants. Elle montre leurs vies qui se projettent vers l'avenir, mais elle suggère aussi le poids d'une forte impuissance, issue d'un passé récent. La photographe met en avant la pauvreté des occupants, mais elle souligne aussi la grande solidarité qui les rassemble. Ce petit garçon est bien songeur, à quoi rêve t-il ? Le tapis roulé à gauche et les cartons à droite suggèrent un déménagement passé ou à venir. Les jambes de l'enfant sont figées, comme s'il était encore dans l'impossibilité de taper dans le ballon. Je trouve qu'une grande nostalgie circule dans cette photo simple et touchante.
Repas
De plus en plus de musiciens tziganes jouent dans le métro de Berlin. Annette Hauschild s'intéresse à ce peuple, souvent stigmatisé pour cause de nomadisme. Certains, peu nombreux, se sédentarisent, mais l'insertion sociale reste difficile. Chez eux, la famille est un rempart contre l'adversité extérieure, un pilier, un ersatz de patrie aussi. La photographe saisit ce nid de tranquillité, mais elle suggère aussi les difficultés de cette famille nombreuse. la grande majorité des regards sont tournés, avec obsession, vers les assiettes...
Justice
En 2012, Frank Schinski photographie la Cour de Justice de Haye, tribunal international fondé en 2002. Il montre la tension des juges, la solennité des attitudes. Il souligne la gravité du moment. Il théâtralise l'action, les marches deviennent une sorte de scène, même si nous sommes coté coulisses.
Avenir
Entre 1992 et 2000, Jordis Antonia Schlösser se rend souvent à Cuba. La population hésite toujours entre espérance, nostalgie et crainte. A quoi rêve cette jeune mariée en contemplant les immeubles délabrés qui l'entourent et les ordures dans le caniveau ? Elle semble ressentir un sentiment d'enfermement. Si sa robe est de princesse, le reste de sa vie ne le saura pas et elle le sait. Je trouve cette photo superbe. En un cliché, Jordis Antonia Schlösser nous raconte toute la vie et la psychologie des Cubains.
Les photographies d'Ostkreuz ont été montrées dans le monde entier. Ces photographes de l'ex-Allemagne de l'Est se sont intéressé à tous les grands faits politiques mondiaux, avec autant de minutie que de poésie. Leurs petits témoignages appartiennent désormais à la grande Histoire.
Galerie Passage DU Désir 85-87 rue du Faubourg Saint Martin 75010 Paris
Goethe-Institut Paris 17 avenuer d'Iéna 75016 Paris
13h-20h tous les jours sauf mardi.