Le Centre Pompidou propose jusqu'au 16 mai 2016, une grande exposition consacrée à Gérard Fromanger. Une cinquantaine de peintures, dessins, films et deux sculptures, pour découvrir ou redécouvir, un peintre qui se passionne pour la couleur et pour les mutations de la société. Un artiste engagé, spécialiste du photoréalisme.
Même si le Centre Beaubourg a déjà exposé Gérard Fromanger, en 1977, son œuvre est très mal connue du grand public. En ce qui me concerne, je l'ai toujours trouvé un peu trop décorative à mon goût, mais je peux me tromper. Ce peintre est souvent réduit à son côté soixante-huitard et à son appartenance au mouvement "Figuration narrative", mais tout cela est un peu réducteur. Quand j'apprends que le Centre Pompidou récidive avec une grande rétrospective Fromanger, je cours sur place. Quand j'arrive, la grande banderole, signalant l'exposition, n'est pas encore totalement accrochée.
Soleil rouge
Au quatrième étage, une des premières choses que je vois est une grande demi-sphère en plexiglas rouge. Derrière ce nouveau soleil, Paris change de visage. Une bonne idée du commissaire de l'exposition car c'est exactement ce que veut faire Fromanger : coloré le monde, lui redonner son goût pour l'utopie et le rêve, l'éloigner de la grisaille, dans tous les sens du terme...
Multiplication
A côté de l'astre rouge, j'aperçois un immense tableau représentant une succession de Gérard Philippe, donnant l'impression d'une foule. Cette œuvre appartient à une série de six " Prince de Hombourg, Gérard Philippe" : un rouge, un vert, un violet, un jaune, un orange et celui ci-dessous. Hélas, quatre ont été détruits dans l'incendie de l'atelier de l'artiste. Cette multiplication de l'acteur célébrissime, symboliserait la pétrification de la vie. En la regardant, j'ai bien l'impression d'une image arrêtée. C'est une de ses premières œuvres, mais ça commence plutôt mal, ni la fondation Maeght, ni le Salon de la Jeune Peinture, en 1965, n'exposeront cette création.
Attroupement
Ce thème de la foule, on le retrouve dans toute l'œuvre de Gérard Fromanger, il est essentiel. En voici un autre exemple :
Prévert, Godard et l'église d'Alésia
Gérard Fromanger naît en 1939, à Pontchartrain dans les Yvelines. De 1957 à 1963, il étudie la peinture et le dessin au célèbre atelier La Grande Chaumière. Il fait un passage éclair aux Beaux Arts de Paris, mais il préfère travailler dans l'atelier du sculpteur César, artiste un peu trop oublié à mon goût. En 1964, Fromanger remporte le premier prix de peinture du Festival d'Avignon et il entre à la Galerie Maeght. Il est fort possible qu'il le doive à une intervention du poète Jacques Prévert. En 1968, il montre, devant l'église d'Alesia à Paris, une série de neuf sculptures : "Souffles", qu'il qualifie d'objets "interdits de stationnement". C'est surtout le souffle de mai 68 que veut glorifier l'artiste. La police n'apprécie pas, elle détruit les œuvres. Fromanger et ses amis, Jean-Luc Godard et Pierre Clémenti, sont arrêtés. En Juin 1974, le peintre participe au deuxième voyage d'intellectuels et d'artistes français en Chine. L'année suivante, un musée hollandais présente sa première rétrospective. En 1977, il participe à l'exposition "Guillotine et Peinture : hommage à François Topino Lebrun" au Centre Pompidou. De 1983 à 1992, plusieurs grande villes l'exposent : Sienne, Tokyo, Dakar, Abidjan, Séville, etc. Dix ans plus tard, le musée de Guggenherim propose une grande exposition Fromanger. En 2009, une rétrospective est présentée à Brasilia et Rio de Janeiro. 2015 : le peintre participe à l'exposition "The Word Goes Pop", à la Tate Modern de Londres. Une vie artistique et intellectuelle très riche.
De l'importance de mai 68
La contestation sociale de Mai 68, la révolution en marche, ne laisse pas indifférent le créateur, loin de là... Il coréalise avec Jean Luc Godard un film de trois minutes : Film-tract 1968. Ce film est diffusé dans l'exposition du Centre Pompidou. Je vois une tâche rouge, elle grandit encore et encore... A la fin, je me rends compte qu'il s'agit du rouge du drapeau français. La couleur rouge empiète sur le blanc et le bleu. C’est à la fois un drapeau français en sang et l'esprit de mai 68, qui s'empare du pays. En face, une toile est constituée de 21 affiches et de personnages rouges. Outre le message politique, que l'on accepte ou pas, elle est très belle.
Quand Mai 68 clamait "l'énergie c'est nous, j'y trouvais une force pour peindre l'énergie du monde" souligne Fromanger. C’est aussi l'époque où l'artiste réalise la série "Boulevard des italiens". Il demande à un photographe de presse de prendre les vitrines du boulevard. A partir de ces clichés, il exécute des toiles dans lesquelles il inclue des silhouettes rouges. Ces œuvres illustrent bien la passion du peintre pour la ville et pour la politique.
Rouge toujours
A partir de cette date, le rouge devient, pour l'artiste, le symbole des mouvements sociaux. J'aperçois une œuvre célèbre, une juxtaposition de nombreux drapeaux internationaux, recouverts de tâches et de coulures rouges... Michel Gauthier, commissaire de l'exposition précise : "Les tableaux de Fromanger politisent les couleurs, instrumentalisent les couleurs". "Faut-il peindre la révolution ou révolutionner la peinture ? Fromanger fait les deux" écrit Olivier Zahm. Le rouge est tellement important dans le travail de Fromanger, que les organisateurs lui consacrent une salle entière. J'observe une silhouette rouge descendant un escalier rouge, hommage évident à Marcel Duchamp. Je continue ma petite visite et découvre ce tableau : encore du rouge... Un rouge qui se veut le symbole du refus d'un monde marchand.
Code couleur
Mais il n'ya pas que le rouge qui intéresse l'artiste. A partir de 1967, il dispose, dans ses tableaux, des éléments chromatiques, sous formes de minuscules rectangles. En faisant cela, il dresse, tel un étendard, un code couleur afin de souligner l'importance de celle-ci dans son œuvre, mais aussi sa volonté farouche de s'affranchir de tout réalisme. Il prend donc l'habitude de peindre des échantillons de couleurs, en bas ou sur les côtés de ses toiles. C'est une sorte d'explication pédagogique en direction du visiteur.
Sous les pavés la couleur
Dans cette œuvre, les pavés sont ultra colorés, en opposition aux deux murs gris, sur les côtés. La femme est perdue dans ses pensées. Fromanger propose un tapis de rêve pour fuir la grisaille ambiante. Ici, La couleur représente l'acceptation de l'art, du rêve, de l'audace, du refus... A chacun d'organiser son chemin de vie semble nous dire l'artiste.
Foule sentimentale
Je remarque que les personnages de Fromanger sont toujours en mouvement : hommes, femmes, enfants. Ils constituent une foule. Elle symbolise l'Energie, la possibilité de s'échapper d'un monde entièrement dans les mains des marchés financiers. Ici, à droite, un rond jaune éclaire le peuple comme un soleil. L'art guidant le peule ? L'idée d'une masse populaire en mouvement, est peut-être le thème principale de l'œuvre de Fromanger. Un peuple qui sait s'émanciper et s'en donne les moyens. Mais l'art, lui, n'a de compte à rendre à aucune politique, à personne. Il existe et s'affirme par lui même.
Fuir la ville
Dans cette toile, la ville et ses commerces sont réduits à l'état de plan, et sur le côté quelques personnages, à droite, s'enfuient... C'est un peu ce que fera Fromanger en se retirant de plus en plus, solitaire, dans son atelier de Sienne. Je remarque que les silhouettes, le paysage, les rues sont traités uniquement sous formes de lignes colorées.
La guerre et les médias
Comme beaucoup, lors de la première guerre du Golfe, en 1990, Fromanger découvre qu'une bataille militaire peut, bizarrement, sembler esthétiquement belle : troublant, choquant. Il s'intéresse également à la façon dont la presse traite le conflit : très peu d'images du front en vérité. Mais Fromager va plus loin, il met en cause les médias, en peignant des journalistes au travail, en sombre, opposés à des grappes de couleurs... Deux mondes qui s'affrontent souvent et ne savent pas se côtoyer... Dans une grande salle, que je vous recommande, j'admire deux gigantesques toiles d'une grande beauté. L'une d'elle évoque la médiatisation de la guerre et l'avènement de la société de communication. Fromanger y a figuré le flux d'informations par des lignes colorées. Pas de doute, ce tableau, c'est son "Guernica".
Rhizomes
Fromanger est aussi dessinateur, mais il met au point une technique très personnelle. Il trace des lignes à partir du bord de la feuille et c'est l'incroyable enchevêtrement de courbes qui donnent naissance à un visage. L'artiste explique : " Un dessin qui se fait en se cherchant". Plus je regarde les œuvres présentées, plus j'ai l'impression que les traits colorés ne s'arrêtent jamais. Ces dessins sont aussi le témoignage des amitiés qui nourrissent sa vie d'homme et d'artiste : Jacques Prévert, Gille Deleuze (coauteur de La métaphore du rhizome en philosophie), Félix Guattari ou le cinéaste Jean Luc Godard. J'admire cet autoportrait, très rhizomatique...
Actualité
Avant de partir, j'aperçois une toile peinte en 2015, d'une effroyable actualité aujourd'hui : un groupe de personnages s'amasse dans un canot pneumatique. Au dessus, une foule avance, indifférente à l'embarcation. Je remarque que la mer est noire et qu'on retrouve, sous la forme de plusieurs cercles, le code couleur de l'artiste. C'est la dernière œuvre, peinte par Fromanger.
Après avoir vu cette présentation, j'ai un peu changé d'avis. Si je trouve cela toujours un peu "décoratif", je dois admettre que les travaux de Gérard Fromanger méritent attention et intérêt, malgré une certaine complexité. Cet artiste a su donner un bon coup de pieds au cul à beaucoup de codes artistiques et esthétiques. Mais je suis surtout frappé par son talent d'éditorialiste, de philosophe, pour décrire notre monde. Je suis aussi très étonné de la résonnance particulière de cette exposition. Elle évoque le rôle du passant et de l'individu dans une mégalopole, la montée d'une contestation sociale, le besoin de prendre ses distances avec la triste réalité, le rôle de l'art et sa place dans la ville, l'invasion des images dans la société et leurs significations exactes, le vivre ensemble, les migrants. Quoi de plus actuel ?
Centre Pompidou.
De 11h à 21h tous les jours, sauf le mardi.
Entrée : 14 euros.