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Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
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Ceramix : exposition réjouissante à Sèvres-Cité de la céramique et à La Maison Rouge

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La Cité de la céramique de la ville de Sèvres et La maison rouge à Paris collaborent et présentent ensemble l'exposition "Ceramix". 100 artistes issus de 25 nationalités pour mettre en lumière les relations entre art et céramique au XXe et XXIe siècle. Longtemps, le travail de la céramique a été considéré comme un art mineur, mais aujourd'hui ce n'est plus du tout le cas. Visites.

A force de visiter des expositions, je me suis rendu compte que le travail de la céramique intéresse de plus en plus d'artistes contemporains. C’est même cela qui donné l'envie à Camille Morineau, ancienne conservatrice au Centre Pompidou, de concevoir cette vaste exposition. Mais elle a voulu également retourner aux sources et préciser qui étaient les premiers créateurs, à essayer ce matériau. Camille Morineau estime que la céramique, dont on parle enfin aujourd'hui, a été pendant longtemps oubliée. Elle souligne que "c'est une histoire de l'art parallèle", mais qu'il y a une suite historique, ce n'est donc pas un phénomène de mode". Avant Paris, cette exposition a été présentée à Maastricht, ville qui possède une "Avenue Céramique" et qui est considérée comme le porte drapeau européen de cet art particulier. "Ceramix" propose des artistes, pas des designers, autrement dit des créateurs qui ne réalisent que des objets non fonctionnels. Réunir 250 œuvres afin de prouver au grand public et à la presse, la bonne santé de l'art de la céramique contemporaine est une sacrée bonne idée. De plus, ce matériau, très authentique, renvoie directement à la terre. Il ne faut pas oublier que la première forme sculpturale a été l'empreinte d'une main terreuse. Passez la terre au feu et vous obtenez la céramique : une vielle histoire donc...

Les pionniers

Le musée de la Céramique de Sèvres est un très beau bâtiment, un peu en retrait d'un carrefour assez moche. J'entre dans la première salle : moquette grise et murs blancs. Face à moi, dans une vitrine, un petit objet marron qui a une importance considérable. Si, à partir de 1879, Rodin a travaillé trois ans à la Manufacture de Sèvres, le premier artiste à avoir fait des essais de céramique en 1886, c'est... Paul Gauguin. Alors ça, je l'ignorais complètement. Je regarde donc avec attention sa petite jardinière et je dois dire qu'elle me laisse un peu perplexe, mais à l'époque Gauguin est un précurseur.

Paul Gaughin : Petite jardinière, 1886-1888, grès émaillé, 15 cm x 7 x 12. Sèvres-Cité de la céramique.

Paul Gaughin : Petite jardinière, 1886-1888, grès émaillé, 15 cm x 7 x 12. Sèvres-Cité de la céramique.

Une influence décisive

Deux ans plus tard, Jean-Joseph Carriès, né à Lyon en 1855, s'intéresse au grès émaillé. Très inspiré par les masques Nô japonais, il expose ses créations en 1888, le succès est immédiat. L'artiste installe son atelier à Saint-Amand en Puisaye, village connu pour ses potiers. Carriès travaille sur les effets couleurs. En 1889, le tout Paris se précipite à sa nouvelle exposition. L'art de la céramique acquiert ses lettres de noblesses et la future princesse Edmond de Polignac lui commande une porte monumentale. Elle pèse vingt deux tonnes. Jean-Joseph Carriès meurt d'une pleurésie en 1894. L'art de la céramique lui doit beaucoup.

Surprises

Les organisateurs de Ceramix ont osé le court circuit temporel, à côté des œuvres de Gauguin, j'aperçois plusieurs très belles céramiques de Léger et quelques personnages, sexy et rigolos, du peintre Miro. En face, je suis surpris par la beauté d'un immense vase bleu à décor d'oiseaux. J'approche et je lis sur le cartel le nom de... Vlamink. Décidément, cette présentation à Sèvres est bien surprenante.Tant mieux.

Le geste et l'informel

La jeune artiste Katinka Bock expose une grande sculpture en terre découpée, dont les cotés sont repliés. Au centre, une minuscule petite plante essaye de sortir son nez végétal. Bock ne cherche pas à représenter un sujet, elle préfère, via ses œuvres, interroger sur le geste de l'artiste. Bon... Je continue. J'entre dans une salle qui porte le non de "L'informel". Ce nom a été employé en 1951 pour désigner des artistes qui utilisent à fond la liberté offerte par le matériau. J'ai la surprise de découvrir quelques œuvres totalement méconnues de Karel Appel : superbes. Ce sont quatre grandes plaques colorées. Devant : deux grandes réalisations, d'inspiration phallique, de l'artiste américaine Cameron Jamie, en grès émaillé et légèrement rougeâtre.

Rondeurs et littérature inaccessible

Je continue et dans la salle suivante, je reste bouche bée devant une paire de plaques circulaires du peintre Alechinsky, d'une rare beauté. Elles sont bleues, entre l'abstrait et le figuratif et je ne suis pas près de les oublier. A côté, dans une petite vitrine, quelques "Livres infeuilletables" d'Alechinsky. En face, une série d'œuvres d'Antoni Tapiès dont une magnifique jambe avec croix.

De la couleur des chiens

Dans un large passage, entre deux salles, j'admire trois chiens, un rose, un bleu, un blanc. Ils vous regardent passer et ils ont fière allure. Ils ont été réalisés par Thomas Schütte, un artiste important sur lequel je reviendrai.

Les secrets du Potiron et la révolution Sodeisha

Je décide d'avancer pour allez voir mes "chouchous" : les artistes japonais. Je suis souvent abasourdi par le savoir faire et la sobriété des créateurs contemporains asiatiques, et cela va se vérifier encore une fois. Chieko Katsumata expose une sculpture ronde, à connotation un peu sexuelle. L'artiste s'amuse en précisant que tous les occidentaux voient du sexe dans son œuvre, alors qu'il s'agit tout simplement d'un potiron. Elle désire évoquer la force de vie, ce qui sort de la terre, ce qui est primordial. En tout cas, ce gros légume là vaut le détour. En face, Osamu Susuki présente une belle "Image de nuage" en grès usiné et coloré. Quelques pas plus loin, je regarde cette oeuvre de Nagasawwa Setsuko : une belle rusticité. je remarque également cette couleur noir qui semble dégouliner lentement, comme l'ombre grignote la lumière à chaque fin du jour.

Nagasawa Setsuko : Ombre. Sèvres-Cité de la céramique / Nagasawa Setsuko.

Nagasawa Setsuko : Ombre. Sèvres-Cité de la céramique / Nagasawa Setsuko.

Mais au fait, Quelle est la place de l'art de la céramique dans l'art contemporain nippon ? Je me renseigne. En 1948, la scène artistique japonaise est chamboulée par la formation d'un groupe, Sodeisha, sous la direction de trois céramistes : Kazuo Yagi, Yamada Hikaru et Osamu Susuki. Ces révolutionnaires artistiques prônent une prise de distance avec la céramique traditionnelle japonaise. Leurs œuvres se caractérisent pas l'absence d'ouvertures, de cols, toujours présents dans la forme ancestrale du vase nippon. En fait, Sodeisha revendique haut et fort la non fonctionnalité des œuvres. Ce crâne qui m'évoque des algues ou une plante carnivore, de Katsuko Aoki, ne peut pas servir à grand chose, mais ce qu'il est beau. Je ne me lasse pas de regarder cette étrange dentelle de porcelaine.

Katsuko Aoki : Crâne. Porcelaine. Sèvres-Cité de la céramique / Katsuko Aoki.

Katsuko Aoki : Crâne. Porcelaine. Sèvres-Cité de la céramique / Katsuko Aoki.

Compote humaine et boudin traditionnel

Un peu plus loin, j'entre dans une autre salle, elle possède un titre surprenant : "Compote humaine". Cette section rassemble plusieurs œuvres qui revisitent avec humour les poncifs concernant la représentation du corps masculin. J'admire deux phallus, en pleine forme, de Gouéry. Ils ressemblent à des patères sur lesquels on a envie de poser son manteau. Gouéry ne manque pas d'humour...

Michel Gouéry : Ray Gun. 40 cm x 24 x 22. Sèvres-Cité de la céramique / Michel Gouéry.

Michel Gouéry : Ray Gun. 40 cm x 24 x 22. Sèvres-Cité de la céramique / Michel Gouéry.

Je vois une série d'objets d'Eric Dietman réalisée à partir d'un boudin, façon pâte à modeler traditionnelle, travail à la base de toutes ses sculptures. L'œuvre intitulée "La leçon d'anatomie", petit hommage discret à Rembrandt, se résume à un corps découpé en argile, recouvert de fleurs rouges plantées dans des petits vases. C’est donc un corps fertile... Cette étrange "autopsie" est née dans l'esprit d'un artiste des Pays Bas : Guido Geelen.

Suivez la flèche

Je descends le bel escalier en bois clair. Pour voir la suite de l'exposition Ceramix je dois traverser plusieurs salles du musée. Curieuse scénographie, mais après tout, pourquoi pas. Cela me permet de jeter un coup d'œil aux collections permanentes et d'admirer la couleur bleue canard des murs. Je trouve enfin la suite de la présentation. La dernière salle s'appelle : "Laisser tomber le vase, casser l'assiette", elle présente donc les artistes qui déconstruisent une forme et une fonction. Ce plat de Bertozzi & Casoni revisite la fonction de l'objet et n'aurait aucune place dans une cuisine...

Bertozzi & Casoni : Astratto, 2013. Céramique polychrome. H : 53 cm x 79 x 62. Sèvres-Cité de la céramique / Bertozzi & Casoni.

Bertozzi & Casoni : Astratto, 2013. Céramique polychrome. H : 53 cm x 79 x 62. Sèvres-Cité de la céramique / Bertozzi & Casoni.

Je vois également un immense vase bleuté de Norbert Pragenberg, par terre, sur le parquet. Tiens, une grande installation à base de vases en terre de Miquel Barcelo, artiste très en vogue aujourd'hui. Elle me semble très inspirée des vases grecs antiques.

Morceaux de vent

Pour la suite de l'exposition, il me faut traverser Paris et filer à La maison rouge, du côté de Bastille. Après quelques embouteillages, je pénètre dans ce haut lieu de l'art contemporain. L'artiste belge Piet Stockmans y expose, accrochée au mur, une grande œuvre pleine de finesse et de poésie. J'ai l'impression de voir des morceaux de vent. En réalité, c'est une multitude de petites plaques de porcelaine de formes différentes. L'effet est saisissant.

Evacuation

Quelques mètres plus loin, je ne peux m'empêcher de sourire face à l'inattendue fontaine, assez provocatrice, d'Elsa Sahal. Cette artiste veut interroger le visiteur sur la représentation du corps féminin et sur les clichés qui s'y rattachent. Elsa Sahal vit et travaille à Paris. Auour de moi, sa fontaine déclenchent quelques rires...

Elsa Sahal : Fontaine, céramique. Exposition Ceramix à La maison rouge, 2016. Marc Domage.

Elsa Sahal : Fontaine, céramique. Exposition Ceramix à La maison rouge, 2016. Marc Domage.

Masques

Ici aussi, les organisateurs ont voulu, dès le début, un court circuit temporel. J'aperçois une belle tête de Balzac par Rodin. A côté un visage très émouvant, un père âgé, de Paloma Varga Weisz. Ce faciès de grès émaillé raconte toute une vie : une belle prouesse. J'admire une" série de masques jaunes de Thomas Schütte. Ils sont très touchants, pleins de vie et même de colère. Thomas Schütte commence à utiliser la terre vers la fin des années 1980. Petit à petit, la céramique prend de plus en plus d'importance dans son travail.

Thomas Schütte : Masques bâlois, céramique émaillée. Courtesy de l'artiste / Exposition Ceramix à La maison rouge, 2016. Marc Domage.

Thomas Schütte : Masques bâlois, céramique émaillée. Courtesy de l'artiste / Exposition Ceramix à La maison rouge, 2016. Marc Domage.

Figuration et détournement

Je passe devant quelques vases de Picasso et quelques maquettes en céramique de Dufy. Je découvre ensuite les œuvres de Robert Arnesson. Il se situe dans l'esprit du groupe "Funk art", crée en 1960, en Californie du Nord, en opposition totale avec l'expressionisme abstrait à la mode à l'époque. Il préconise un retour à la figuration mais il y rajoute un bon zest d'humour et d'ironie, sans oublier les sujets sociaux ou politiques. Arnesson veut montrer les banlieues américaines et l'imagerie de la société de consommation. Ces œuvres ci-dessous se situent bien dans cette lignée. J'aime bien cet homme qui nage au premier plan. Les vagues, elles, sont constituées par une multitudes de petites plaques de céramique.

Robert Arnesson : Vue gnérale de l'exposition Ceramix. La maison rouge, 2016. Marc Domage.

Robert Arnesson : Vue gnérale de l'exposition Ceramix. La maison rouge, 2016. Marc Domage.

Privation de liberté

Je contemple une oeuvre d'une jeune française vivant à Bruxelles, depuis cinq ans : Rachel Labestie. Elle expose, en porcelaine, plusieurs chaînes et entraves de pays et d'époques divers. Malgré son petit côté SM, cette œuvre veut surtout faire réfléchir sur la notion d'aliénation et d'enfermement, en général. C’est assez surprenant, ici, au premier plan à droite. Dernière information : Rachel Labestie va prochainement exposer à la galerie Odile Wizmann.

Rachel Labestie : Chaînes. Porcelaine et acier manufacturé (clous). 2008-2011. Exposition Ceramix à La maison rouge, 2016. Marc Domage.

Rachel Labestie : Chaînes. Porcelaine et acier manufacturé (clous). 2008-2011. Exposition Ceramix à La maison rouge, 2016. Marc Domage.

Le sexe drôle

Tiens, encore quelques petites réalisations d'Elsa Sahal : sexe, humour, originalité, charme. La preuve :

Elsa Sahal : vue gnérale de ses oeuvres lors de l'exposition Ceramix à La maison rouge, 2016. Marc domage.

Elsa Sahal : vue gnérale de ses oeuvres lors de l'exposition Ceramix à La maison rouge, 2016. Marc domage.

Je ne sais pas si cela vient du fait de toucher et de travailler la terre (devrais-je dire la chair terrestre ?) avec ses mains, mais j'ai remarqué que de nombreuses œuvres étaient fortement sexuées. Voilà donc une exposition plutôt revigorante... J'ai juste regretté la petitesse des cartels et l'absence de fil rouge, de pédagogie claire, à Sèvres. Mais Ceramix est, à mon avis, l'exposition à voir en ce moment. Elle prouve l'immense originalité et la grande vitalité des artistes contemporains. Cette présentation fera date et j'attends déjà "Ceramix 2 ". La commissaire Camille Morineau y pense aussi, wait and see... Le travail de la terre renvoie à nos racines et permet une liberté totale, c’est pourquoi beaucoup de jeunes artistes, aujourd'hui, reviennent à la sculpture, en passant par ce médium. Mais attention : ne soyez pas paresseux, il faut voir les deux sites. Oui je sais, c'est pas la porte à côté...

Sèvres-Cité de la céramique : 2 place de la Manufacture. 92310 Sèvres.

Tous les jours de 10h à 17h.

Entrée : 8 euros.

La maison rouge (Fondation Antoine de Galbert). 10 bd de la Bastille, 75012 Paris.

tous les jours de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h.

Entrée : 10 euros.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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