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Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
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Monumenta 2016 : un serpent et des empereurs fragiles au Grand Palais

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Dans le cadre de Monumenta 2016, le Grand Palais accueille jusqu'au 18 juin, une colossale installation (Empires), de l'artiste d'origine chinoise Huang Jong Ping. 305 conteneurs métalliques, un chapeau et un serpent de 133 tonnes pour rappeller le cycle éternel de l'ascension et de la chute... En réalité, l'artiste décrit le paysage économique d'aujourd'hui. Découverte.

La mutation et le serpent

Après Christian Boltanski et Anish Kapoor, c'est donc à Huang Yong Ping, considéré comme un des pères fondateurs de l'art contemporain chinois, de se confronter au 13500 m² et au 35 mètres de hauteur de la nef du Grand Palais. Mais attention : Ping est un artiste à la fois occidental et asiatique. Il est totalement Janus. Il vit depuis vingt cinq ans en France. je l'ai rencontré il y a deux ans, à Nantes, pour l'exposition "Le voyage à Nantes". A l'époque, le clou de son exposition était un serpent qui faisait sa mue. En 2012, dans l'estuaire de Loire, à Saint- Brévin-les-Pins, il réalise le squelette d'un serpent qui disparait, un peu, à marée haute. Cette sculpture interpelle autant les parents que les enfants. Aujourd'hui, pour Monumenta, il reprend ce thème de la mutation et du cycle de la renaissance qui lui est cher. Il installe, au Grand Palais, un gigantesque squelette de serpent, de 254 m de long, qui enjambe huit montagnes de conteneurs métalliques, sans oublier un agrandissement du célèbre bicorne de Napoléon. Mais même si Huang Yong Ping adore le mouvement Dada, il y une raison à tout cela. En réalité, il propose un fable philosophico- économique et il se sert du symbole du serpent pour mettre en garde nos grands dirigeants : n'oubliez pas le cycle éternel de l'ascension et de la chute... Traduction :Tout royaume périt un jour... Et tous ceux qui dirigent des empires économiques pourraient bien, comme Napoléon, finir exilés. Plus d'un roi a basculé dans l'Histoire, l'oublier est une erreur... Voilà pour le discours de HYP (oui c'est comme ça qu'on le nomme dans le milieu), mais j'ai hâte de voir la bébête et l'ensemble de cette installation originale. Huang Yong Ping aurait rêvé depuis longtemps d'installer un gros serpent et des conteneurs dans la nef du Grand Palais, ce petit dessin le montre bien.  Aujourd'hui, son rêve est donc devenu réalité.

Huang Yong Ping : croquis, 2008. Huang Yong Ping

Huang Yong Ping : croquis, 2008. Huang Yong Ping

Falaise

Première surprise, l'accueil presse se résume au strict minimum. Mais un étonnement d'un tout autre genre m'attend. J'entre et je me retrouve face un mur de conteneurs de toutes les couleurs : un mur infranchissable qui m'évoque une toile abstraite. Il me rappelle aussi ces barrières que tentent de franchir les migrants. "Une gigantesque falaise pixélisée de 17 mètres de haut et 60 de long" précise le commissaire de l'exposition : Jean Loisy. Huang Yong Ping se serait inspiré du port du Havre, comme le prouve cette photo.

HYP visitant le port du Havre , 2014. Huang Yong Ping

HYP visitant le port du Havre , 2014. Huang Yong Ping

Paysage industriel

Huang Yong Ping transforme le Grand Palais en zone portuaire. On ne compte plus les grands caissons de fer, qui servent parfois de maisons, plus ou moins provisoires, aux grands oubliés de l'histoire économique contemporaine. Je contourne ce mur très impressionnant, pour découvrir le reste de l'installation. Je remarque qu'il n'y a aucun éclairage particulier, HYP a su éviter la facilité d'une mise en scène séduisante. Ici, tout est brut et froid comme le monde. A mon avis, c'est la raison pour laquelle ce travail est touchant. Mais Monumenta 2016 demande quelques explications car Ping joue avec une multitude de symboles, asiatiques ou occidentales.

Nu Wa et les montagnes

Le serpent a plutôt mauvaise presse en France. Il symbolise le mal. Mais en Chine et dans de nombreuses civilisations, il en est tout autrement. En Chine, Nu Wa, créatrice de l'humanité était une déesse mi femme, mi serpent. Après avoir vécu 1000 ans, le serpent se transforme en dragon. En étant capable de changer de peau et de continuer sa vie, le serpent est avant tout symbole de mutation et de régénération. Pour Huang Yong Ping, il symbolise à la fois le caractère éphémère du pouvoir et les mutations auxquelles notre monde est confronté. Je monte au premier étage. Une fois en haut, je remarque que les conteneurs sont parfois disposés comme des marches d'escalier. Pour le créateur, il symbolise aussi les montagnes omniprésentes dans l'histoire de la peinture chinoise. Je pense au peintre Dong Yuan.

Huang Yong PIng : similation du projet Monumenta 2016 par l'atelier Alain dewarte. Huang Yong Ping

Huang Yong PIng : similation du projet Monumenta 2016 par l'atelier Alain dewarte. Huang Yong Ping

Divinités

Je continue ma petite visite. Je remarque que de très nombreux visiteurs prennent des photos et semblent se régaler. C'est normal, les 316 vertèbres et 568 côtes en fonderie d'aluminium répondent à la perfection aux différentes courbes de la nef du Grand Palais. Visiblement HYP a parfaitement compris l'architecture du lieu, lui même symbole de la grande mutation de la révolution industrielle et de son architecture de fer. Cela n'a pas échappé à Ping et ses conteneurs sont tout à fait à leur place au Grand Palais. Ils symbolisent la révolution de la mondialisation économique actuelle. Pour renforcer encore cet aspect symbolique, l'artiste a installé un portique de levage. Cette grue capable de jongler avec les conteneurs est une sorte de nouvelle divinité. Elle est très importante. Elle est essentielle dans tous les grands ports du monde, à commencer par la Chine.

Huang Yong Ping : aquarelle du portique pour le projet Monumenta 2016. Huang Yong Ping

Huang Yong Ping : aquarelle du portique pour le projet Monumenta 2016. Huang Yong Ping

Napoléon

Le centre de l'installation est en faite un agrandissement du chapeau porté par Napoléon Bonaparte lors de la bataille d'Eylau en 1807. Le bicorne est installé en équilibre entre deux piles de conteneurs, comme si un géant l'avait posé là par inadvertance. Ping n'a jamais manqué d'humour. En Chine, Napoléon est plus connu que Louis XIV. Mais cela ne suffit pas expliquer la présence de ce couvre chef (c'est le cas de le dire) napoléonien. Dans l'esprit de Ping, ce bicorne vide symbolise l'empire, la convoitise du pouvoir poussée à l'extrême, jusqu'à Sainte- Hélène...

Nouveaux empereurs

Ping fait un parallèle entre l'empereur Napoléon et ceux qui dirigent aujourd'hui des sociétés internationales, que l'on qualifie souvent d'empires. L'artiste rappelle, à travers son travail, que l'empire de Napoléon, qui fait toujours rêver bien des hommes de pouvoir, a duré beaucoup moins longtemps que l'empire chinois ou les 1000 ans de l'empire byzantin. A bon entendeur... Les grands empereurs de la vie économique actuelle pourrait bien, eux aussi, finir dans un centre aéré façon Sainte-Hélène. Personne n'est à l'abris. Voilà en fait le vrai message de Huang Yong Ping, artiste impertinent engagé. A Saint Brevins, son serpent reste sur la plage, à Paris son serpent arrive en ville et grimpe jusqu'au sommet de la nef du Grand Palais, à 23 mètres de haut. Le symbole prend de la force.

Huang Yong Ping : simulation du projet Empires-Monumenta en 3D par l'atelier Alain Dewarte.

Huang Yong Ping : simulation du projet Empires-Monumenta en 3D par l'atelier Alain Dewarte.

Recul et analyse

Dans une interview récente au magazine Paris Match, HYP déclare : " Pour moi, il s'agit de prendre du recul et de proposer une œuvre qui renvoie à toutes les réflexions sur l'organisation du monde actuel... " Tiens, quand on parle de l'artiste... Il arrive. Il n'a pas changé : petit, mince, vêtu de noir, son regard caché derrière des lunettes à fine monture. Il marche vite. Visiblement, il déteste toujours autant parler aux journalistes. Ping est un artiste-philosophe qui combat la folie économique avec des œuvres spectaculaires, mais pratique toujours le culte asiatique du silence et de la discrétion. Peu loquace, il affirme aujourd'hui : "Moi je crée un paysage industriel dans un endroit réservé habituellement aux expositions". Je retourne voir son serpent. Sa gueule ouverte menaçante fait face au symbole du pouvoir : le bicorne. Mais je remarque que sa tête engage un mouvement vers sa queue. Ping veut-il suggérer l'Ouroboros, le serpent qui se mort la queue et qui symbolise le changement, le renouveau, la fin d'un temps ? C’est fort possible. Quand je vous disais qu'avec Ping, tout était symbole... Et s'il a divisé son installation en huit îlots, c'est parce que cela signifie l'éternité en Chine.

Turbulences économiques

Avec son monstre de fer, Huang Yong Ping nous présente et enregistre les turbulences de la mondialisation, qui bousculent aussi les rapports entre Orient et Occident. Pour Huang Yong Ping, qui a grandi dans le port chinois de Xiamen et qui a vu, en Chine comme en France, les hommes et la nature changer à toute vitesse sous les coups de boutoirs de la mondialisation, c'est important. Mais le commissaire de l'exposition Jean Loisy tient à préciser : "Il ne met pas de morale, c'est l'illustration d'un monde qui vit des cycles de construction et de destruction; Un conteneur c'est un instrument de fortune pour un grand chef d'entreprise, et un abris d'infortune pour d'autres... " Merci, c'est encore plus clair.

HYP : aquerelle (serpent). Monumenta-Empires, 2016. Huang Yong Ping.

HYP : aquerelle (serpent). Monumenta-Empires, 2016. Huang Yong Ping.

Prouesse

"Monumenta 2016 raisonne très fort avec l'actualité immédiate. Je trouve que l'artiste, obsédé par les reptiles et observateur de tous les abus de pouvoir, a réussi une prouesse : donner envie, avec son serpent et son bicorne, d'observer les merveilleuses courbes audacieuses du Grand Palais. Je me place juste en dessous du chapeau de Napoléon, je découvre que son cercle répond à la perfection à un cercle de la verrière, situé quelques mètres plus loin. Le théâtre des tensions et des puissances de Huang Yong Ping est donc extrêmement précis. Il a fallu 11 jours et 11 nuits pour construire ces "Empires", mélange subtil de force et de fragilité.
Cette installation de Huang Yong Ping restera dans l'Histoire du Grand Palais. Ne vous attendez pas une mise scène séductrice, mais à une matière gigantesque et ludique, pour réfléchir sur le monde. Je sors, je pense à ce que disait le maréchal Ney de Napoléon après la victoire sanglante d'Eylau (25000 morts) : "Quel massacre ! Et tout cela pour rien ! "; pour Ney, Napoléon gagne et perd à la fois. Ne pourrait-on pas le dire aujourd'hui de certains de nos grands empereurs économiques ? HYP pose la question. Je fais quelques pas, j'observe la grande roue de la Concorde qui s'échappe derrière les arbres. J'ai l'impression qu'elle ressemble à un serpent. Oh là là, ça va pas moi, je vois des serpents partout. L’effet Huang Yong Ping peut-être...

Grande roue de la place de la Concrode à travers les arbres. Photo Thierry Hay

Grande roue de la place de la Concrode à travers les arbres. Photo Thierry Hay

 

Grand Palais

Tous les jours sauf mardi.

Dimanche, lundi et mercredi : de 10h à 19h.

Jeudi, vendredi et samedi : de 10h à 22H.

Entrée : 10 euros.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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