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Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
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Le monde de Michel Houellebecq prend forme au Palais de Tokyo

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Le Palais de Tokyo présente jusqu'au 11 septembre 2016 plusieurs expositions dont les oeuvres de Michel Houellebecq, sous le titre "Rester vivant". L'occasion exceptionnelle  de découvrir, à travers de nombreuses photographies et une installation, toute la diversité de l'oeuvre de l'artiste. Houellebecq photographe : une découverte.  

Je m'y attendais, il y a un monde fou. Je l'ignore encore mais je ne suis pas au bout de mes peines. Pensez : une exposition de Houellebecq, voilà de quoi attirer les curieux et les médias. Mais si... L'écrivain qui déclenche une polémique à chaque parution, celui qui occupe les plateaux de télé pour dire trois phrases, celui qui observe la société de son œil fatigué, mais précis, le Balzac des temps modernes. Autant vous le dire tout de suite, je suis assez fan de cet homme de lettres, dandy étrange. Mais attention à l'image médiatique qu'il donne, la vraie profession de Houellebecq se résume en un seul mot : poète. En 2016, cela représente un certain courage : il veut de la poésie dans la vraie vie. Contrairement aux autres, il accepte de naviguer entre le néant et la précision, entre le léger et le grave. Il chasse des micro zones que tout le monde oublie, mais où la vie passe quand même : gares, autoroute, centres commerciaux, zones industrielles, immeubles tristes, hôtels miteux, tout cela le passionne. Encore une précision : Houellebecq est ingénieur agronome. C’est en fait un scientifique qui construit son œuvre, dans laquelle chaque poème, chaque roman, chaque déclaration s'emboîtent. Ah oui, j'oubliais : Houellebecq est dessinateur, performeur et surtout photographe de grand talent. Cette exposition, je l'attends depuis longtemps. Le titre "Rester vivant" s'explique : pour faire de la poésie, mieux vaut rester vivant... Ensuite, Johnny Hallyday a pris ce titre pour sa tournée. Houellebecq n'a pas apprécié. Il se l'est donc réapproprié...

Portrait de Michel Houellebecq. Photo Barbara d'Alessandri. Flammarion.

Portrait de Michel Houellebecq. Photo Barbara d'Alessandri. Flammarion.

Le sens du combat

Pardon monsieur, pardon madame. J'entre dans la première salle. Oh là, mais comment je vais faire moi pour prendre des notes ? Dans beaucoup de ses romans, Houellebecq parle des artistes et il une admiration sans borne pour le peintre Turner. Aujourd'hui, c’est lui qui entre au musée. Je suis interpellé par cette inscription sur la photo d'un paysage crépusculaire : "Il est temps de faire vos jeux" . Comprenez : se battre pour faire de la poésie, ou pas... Se prononcer pour le rejet d'un certain système, ou pas... Accepter de vivre à la frontière du vide, ou pas... Choisir entre la vie et la mort...

J'admire quelques très belles photos, des paysages thaïlandais très étouffants, dérangeants, comme si la nature était capable de dévorer l'homme. Je vois aussi ce tunnel qui ne mène plus nulle part. Sa faille centrale attire. Visiblement, l'homme a déserté le paysage et il est devenu très beau, mental, poétique, artistique. Pas de doute : Houellebecq à l'oeil et le sens du cadre. La pierre devient une sorte d'écriture.

Michel Houellebecq : Espagne #005. Tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta, contrecollé sur aluminium. 88,1 cm x 60. Courtesy de l'artiste et de Air Paris, Paris

Michel Houellebecq : Espagne #005. Tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta, contrecollé sur aluminium. 88,1 cm x 60. Courtesy de l'artiste et de Air Paris, Paris

Le choix de la vie

Un peu plus loin, j'observe un  paysage étrange, un péage d'autoroute. C'est banal, triste, mais c'est aussi un lieu de vie, semble nous dire l'artiste. La preuve : quelques arbres poussent devant.  Mais le photographe s'est placé loin, il regarde ça comme un spectacle, ou plutôt comme un anthropologue.

Michel Houellebecq : France #012. Tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta contrecollé sur aluminium. 73,4 cm x 50. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris

Michel Houellebecq : France #012. Tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta contrecollé sur aluminium. 73,4 cm x 50. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris

Mais il ne faut pas non plus tomber dans le pathos, ou dans la tristesse cultivée sous serre littéraire. Houellebecq met les choses au point avec cette inscription :

Michel Houellebecq : Je n'avais. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris

Michel Houellebecq : Je n'avais. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris

Jeu de ballon

Je suis le groupe. Jean de  Loisy, directeur des lieux, fait, une fois de plus, la visite au pas de charge. C'en est presque comique, j'ai l'impression d'être dans un très vieux film... Houellebecq, auteur de la carte et le territoire, adore faire de la Montgolfière et prendre des photos du ciel. De là haut, les chemins se croisent et les paysages ressemblent à des toiles abstraites. On peu même monter au ciel sans y aller... A travers toutes ces photos, très cadrées, de paysages, le poète pose la question suivante : l'homme a-t-il sa place dans le paysage ? Le paysage ne serait-il pas mieux sans l'homme ?

Michel Houellebecq : Mission #001. Tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta contrecollé sur aluminium. 88,1 cm x 60. Courtesy de l'artiste et de Air Paris, Paris

Michel Houellebecq : Mission #001. Tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta contrecollé sur aluminium. 88,1 cm x 60. Courtesy de l'artiste et de Air Paris, Paris

Un avenir de supermarché

J'aperçois une grande photo intitulée "Europe", elle a été prise à Calais, quelques années avant le problème des migrants. C’est une simple inscription en béton du mot Europe sur fond de ciel gris et de lampadaires, dans le parking d'un centre commercial intitulé Europe et en grande partie vide. Mais Houellebecq joue un peu. A travers sa photographie il donne sa vision de l'Europe : triste et appelée à la dégradation comme une structure en béton trop vite faite... En photographie, Houellebecq a son style : très souvent, il superpose une photo sur une autre, mais l'ensemble reste toujours cohérent.

Un peu de science

J'observe dans une autre pièce, un grand cylindre transparent, avec un liquide très coloré. C’est un monde en train de naître, une grande machine à rêver. Nous sommes nombreux à rester devant, les yeux ailleurs. De plus, les couleurs sont magnifiques, cela me fait penser aux toiles de Zao Wou Ki.

Séjour-club

L'écrivain a un ennemi : le tourisme de masse. J'entre dans une immense salle et je m'aperçois que le sol est entièrement recouvert de sets de table en papier, comme ceux que l'on trouve dans les restaurants pour touristes. C’est très étonnant et très réussi, un peu désuet aussi. En baissant les yeux, je fais le tour du monde. Sur tous les murs de cette pièce, j'observe des photos de parcs à thème et de villages de vacances. Le photographe montre combien l'homme est capable, partout dans le monde, de détruire un paysage pour satisfaire au culte du tourisme, tendance beauf. Je regarde un toboggan sans enfant, un peu perdu au milieu de quelques villas cossues. Plus loin : la photo de ce bus qui en dit long sur l'endroit où l'on transporte les vacanciers, qui ont pris place à l'intérieur. Pour Houellebecq, derrière le sourire enjôleur de cette jeune fille, se cache une vraie menace pour la nature et une sorte d'obscénité. Tout en regardant toutes ces photos à l'humour grinçant, j'entends de nombreuses annonces sonores de villages de vacances : drôle d'ambiance...

Michel Houellebecq : Tourisme #001. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris.

Michel Houellebecq : Tourisme #001. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris.

Ruralité

Le poète aime la France, ses routes de campagnes étroites, ses panneaux de circulation et bien sûr... ses vaches. J'en observe une, charmante. C’est un agrandissement d'une star qui se trouve au musée du camembert. Je tourne la tête et je m'aperçois que la vache, en résine, regarde avec attention un film avec Arielle Dombasle, cinéphile la vache...

Michel Houellebecq : France #001. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris

Michel Houellebecq : France #001. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris

L'amour du rock

Le peintre Combas adore les poèmes de Houellebecq (moi aussi). L'écrivain a donc demandé au peintre d'illustrer ses poèmes. Cela occupe tout une grande pièce. Plusieurs grandes toiles éclairent, de leur coups de pinceaux et de leurs couleurs vives, les textes du poète. Au centre de la salle, Houellebecq a sollicité Combas pour reconstruire sa "chambre secrète", une pièce où personne n'a le droit de rentrer, un laboratoire pour favoriser l'acte de création. En réalité, c'est une chambre de taille moyenne, encombrée de disques, d'instruments de musique, de magazines, y compris pornos, et de différents objets et bouteilles. Le tout est fermé par des sores vénitiens très fatigués. Pour Houellebecq, un certain désordre peut aider à la création, qui elle, doit être ordonnée, nuance... Sur un autre mur, Combas a créé une série de crucifix, réalisés à partir de ses pinceaux. Houellebecq aussi a son petit côté pieux. Il aime parfois fréquenté les églises et respecte profondément Bouddha. Mais Houellebecq et Combas étaient vraiment fait pour se rencontrer : les deux sont fans de rock.

Le problème du désir

J'en était sûr. Comme le désir, le sexe et la pornographie ont une place de choix dans l'œuvre de Michel Houellebecq, le Palais de Tokyo y consacre une grande pièce. Le sol et les murs sont décorés façon camouflage. Plusieurs photos, plus ou moins porno, de filles un peu paumées sont accrochées au murs. J'ai l'impression d'être dans une chambrée militaire et hop là : on se lâche un peu... En y réfléchissant, je me rends compte que ses filles dénudées sont les seuls êtres humain de toute l'exposition. Pour faire ces clichés, le photographe procure les vêtements (si l'on peut dire) aux modèles et attend la bonne pose.

Salle d'attente et fumoir

Je passe dans une curieuse salle d'attente. Cela ressemble au hall d'un hôtel de classe moyenne : des sièges des années 60 qui ont reçu trop de postérieurs, une commode oubliée au fond, une télé dans laquelle Bernard Pivot parle. C’est une constante de cette exposition : une multitude de chaises fonctionnelles, sur lesquelles les visiteurs hésitent à s'asseoir. Un peu plus loin, je découvre un bar sans âge, dans une salle où le visiteur peut véritablement fumer... Plus je regarde cette exposition, plus cela m'évoque le film "Lost in translation" de Sophia Coppola ou " Paris Texas" de Wim Wenders. Je visite une expo et je me retrouve dans un l'hôtel désuet : curieux.

Un bel amour

Après le sexe et la cigarette du solitaire, vient le temps de l'amour absolu. Pour Houellebecq, il a un nom : Clément, son chien. Cet amour, il le partage avec son ex femme. Une salle entière est consacré au chien. Le décor évoque un chalet de montagne. Une grande vitrine accueille les 31 jouets de Clément, "la machine à aimer", le réconfort de l'écrivain. Ah si tous les hommes pouvaient être des chiens... Mais il ne faut pas rêver... J'observe quelques petits et jolis pastels réalisés par le photographe. Ils sont plein de vie. Houellebecq, le poète rêve de son chien ou de paysages, mais pas d'êtres humains. Je regarde un dessin qui s'intitule : "Papier peint Clément", quatre fois la même représentation du chien... Mais c'est bien connu, quand on aime on ne compte pas...

Michel Houellebecq : Dans les bras (II). Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris

Michel Houellebecq : Dans les bras (II). Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris

Absence

J'empreinte un long couloir gris, au charme administratif, pour sortir. Face à moi, j’aperçois une dernière photo, un paysage désertique et rocailleux avec cette inscription : "Nous habitons l'absence".

Pour moi, l'artiste Michel Houellebecq a rempli son contrat. Mais je vous l'ai dit : je suis un peu fan... Un conseil : pour bien comprendre l'écrivain et percevoir son goût pour le funambulisme romantique entre la vie et la mort, entre le vide et le plein, entre l'absence et la présence, entre le désir d'effacer un monde et l'envie d'en construire un autre, il faut lire ses poèmes. Je vous conseille un petit livre : "Non réconcilié", anthologie personnelle 1991-2013, chez Poésie / Gallimard. Vous y lirez ces vers :

"Nous avons traversé

Des époques de haine

Des temps controversés

Sans dimension humaine

Et le monde a pris forme

Le monde est apparu

Dans sa présence nue,

Le Monde"

Le monde de Houellebecq prend forme au Palais de Tokyo : n'ayez pas peur, chez Houellebecq tout est faux et tout est vrai, mais finalement l'important c'est de rester vivant...
Palais de Tokyo 13 avenue du Président Wilson 75016 Paris

De midi à minuit tous les jours sauf le mardi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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