Pour ses dix ans, le centre d'art contemporain de l'abbaye d'Auberive propose jusqu'au 25 septembre 2016, une confrontation entre les paysages de Courbet et ceux des artistes du XXIe siècle. Courbet est-il encore source d'inspiration ? Réponse et décryptage.
Gustave Courbet est considéré comme le chef de file du courant réaliste. C’est vrai, mais ce n' est sans doute pas suffisant. Courbet est un rebelle, un romantique, un apprenti géologue et surtout un homme qui aime les innovations, pour choquer ses pairs et faire un peu le buzz : rien de nouveau sous le soleil. Si Courbet désire se rapprocher au maximum de la réalité, en opposition frontale avec la peinture d'histoire décorative de son époque, je crois qu'il va au-delà de la réalité, n'oubliant pas son ressenti ou son passé. On pourrait dire, d'une certaine façon, qu'il invente "l'outre-réalité", un réalisme + + qui en fait un peintre unique. Dans cette toile, la forêt touffue s'oppose à la blancheur de la craie. La source semble jaillir de la roche, l'ensemble est un mélange de réalité, de lyrisme et de mystère. La manière de faire de Courbet est aussi particulière : il enduisait ses toiles d'un fond très sombre et, petit à petit, il faisait revenir la clarté et tous les détails de son paysage. Cette méthode vient des peintre flamands. Alors oui, je confirme, Courbet est bien un peintre à part.
L'héritage de Courbet
Sa lumière sentimentale, son réalisme très précis, ses effets matière, son envie de bousculer son siècle : voilà de quoi intéresser les artistes contemporains. Cette confrontation entre Courbet et ses suiveurs, à travers le paysage, est une superbe idée. L'abbaye d'Auberive, fondée en 1135 par Saint Bernard de Claveaux, remaniée au XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle, est un superbe écrin pour accueillir cette comparaison, ou plutôt ce parallélisme, entre Courbet et les peintres d'aujourd'hui.
Homme politique et peintre réaliste
Courbet est né le 10 juin 1819 à Ornans, dans le Doubs. Il est issu d'une famille aisée. Il suit des études plutôt médiocres aux Beaux Arts de Besançon. Il part pour Paris en 1839. Parallèlement à des cours sur la peinture, il suit des études de droit. Il va souvent au Louvre, où il observe les tableaux de Zurbaran et Velasquez. Il copie également Géricault. Lors d'un voyage en Hollande, il découvre l'œuvre de Rembrandt. Influencé par l'écrivain Champfleury, il invente son propre style : le réalisme. Courbet peint ce qu'il voit et comme il n'a jamais vu de déesses, il n'en peint pas. C'est simple. L'enterrement à Ornans, un tableau de grande taille, qui ose reprendre le format d'une peinture d'histoire, pour un sujet très fréquent : la mort dans un petit village. La toile fait scandale. Le peintre provocateur s'intéresse à la politique. Il participe activement à la Commune. Cela lui vaut d'être emprisonné. Il est jugé comme responsable de la démolition de la colonne Vendôme. Il est condamné à payer la reconstruction, ce qu'il ne fera jamais. Il s'exile en Suisse en 1873, où il meurt le 31 décembre 1877.
Retour aux sources de son enfance
Après sa sortie de prison, il retourne chez lui et redécouvre les paysages de France Conté de son enfance, où il aimait se glisser dans les grottes, courir sur les plateaux et les vallées, boire aux sources. Il en peint beaucoup de ces paysages qu'il adore, ça tombe bien, il a de nombreuses commandes. "Pour peindre un paysage, il faut le connaître. Moi je connais mon pays, je le peins". L'attachement à sa région natale est réel. Il porte un grand intérêt aux pierres, aux fractures des paysages karstiques. De plus, un de ses amis d'enfance est le géologue Julien Marcou. Les deux ont du parler de stratifications et d'évolutions des sols pendant des heures. Dans cette toile, Courbet privilégie les pierres devant et relègue le grand pont spectaculaire, tout au fond. Il peint chaque strate de roche, mais surtout, il ose deux énormes innovations : par un système de zoom avant, il place le visiteur le nez dans le paysage. Celui qui regarde la toile est vraiment dans la nature. Quant au centre du tableau, c'est une rupture du sol, un banal trou. Il fallait oser. Cette œuvre est d'une modernité incroyable, elle prouve aussi combien Courbet s'intéressait aux avancées de la photographie, Auguste Belloc et d'autres.
Vertiges
Dans cet autre tableau, c'est encore un trou qui est le sujet principal. La source coule, elle pourrait tomber sur les pieds du visiteur tellement Courbet le place, une fois de plus, dans le paysage. J'ai l'impression, en regardant cette œuvre, que Courbet s'est placé comme si il avait la taille d'un enfant. Derrière le réalisme des pierres, Courbet glisse son ressenti issu de ses débuts dans la vie. Le réalisme, chez Courbet, est toujours aussi émotif que précis et c'est justement cela qui est unique. Il ne faut pas oublier que Courbet est, à sa façon, un aventurier, il aime grimper, trouver ou retrouver des endroits quasi inconnus et il adore les antres plein de mystère... Il y aurait largement de qui intéresser un psy... Et cette source, ne pourrait-elle pas être aussi le symbole du temps qui passe, qui polie tout, alors que l'état de santé, après son séjour à la prison de Sainte- Pélagie est loin d'être bon...
Dynamisme et force
Je me souviens d'une des toutes premières expositions de Ronan Barrot à Ivry, dans une ancienne usine. Je n'ai pas été le seul visiteur à remarquer sa peinture. J'ai même failli repartir avec un tableau qui représentait des escargots. Par la suite, j'ai revu ses tableaux à la Fiac et à la galerie Claude Bernard. La touche picturale de Barrot est classique, mais elle possède aussi un dynamisme très moderne. Une liberté d'exécution qui le rapproche de Courbet. Barrot est né en 1973, il vit et travaille à Paris. Sur cette toile, comme Courbet, il se passionne pour les enfouissements, les ensevelissements, les friches. Il place l'observateur, juste au dessous de l'arbre, un peu comme le maître d'Ornans. Barrot est aussi un excellent coloriste, la preuve :
Audace
Antoine Correia est un peintre autodidacte expressionniste. Né à paris en 1972, il vit à Nantes. Comme Courbet, il aime bousculer les critères de beauté et la société. Il adore peindre des bébés difformes ou des paysages calcinés. Dans la lignée de Gustave Courbet, il possède une vraie technique, visible à sa succession de glacis. Il fait attention aussi à ses effets matières et n'hésite pas à utiliser de la colle, de la filasse ou de la cendre. Ce paysage ci-dessous est pris dans un étrange souffle, qui donne toute sa force à l'oeuvre. Je remarque aussi la formidable luminosité des verts.
Reflets
Evi Keller est née en 1968 en Allemagne. Elle fait des études d'histoire de l'Art à Munich. Elle s'installe à Paris en 1994 comme photographe-graphiste. Elle nomme ses créations "Matière-Lumière". En 2015, la Maison Européenne de la photographie a présentée ses clichés et son œuvre audiovisuelle. Comme Courbet, elle s'intéresse à la lumière sur l'eau et aux rapports entre photographie, peinture et lumière. Cette photo me rappelle vraiment le tableau "Source dans le Jura" de Courbet, ci-dessous : comparez.
Simplicité et proximité
Malgorzata Paszko, d'origine polonaise, a été pensionnaire de la Villa Medicis en 1987. Elle dessine sur des papiers d'emballage au charbon ou à la craie, ou elle peint avec une peinture extrêmement liquide, sur des toiles non préparées. Comme Courbet, ses sujets sont simples, en apparence : une clairière, un chemin, quelques fleurs, un étang. Comme son illustre prédécesseur, elle a besoin d'une réelle proximité avec la nature.
Paysage- souris
En France, Jacques Perconte est un des pionniers de l'art sur internet. Cet artiste, né en 1974 à Grenoble, défriche le paysage et la couleur, à travers des supports numériques. En réalité, il a commencé, très classiquement, par le dessin et la peinture. Ses premiers films datent de 1995 et ses premières œuvres Internet de 1996. La Cinémathèque Française lui a déjà offert deux cartes blanches. Dans cette œuvre, il jette l'observateur dans un tourbillon de fleurs, Courbet aurait aimé. Comme le maître, il utilise souvent des tons rosés ou jaunâtres. Et une fois de plus, c'est un hommage à la Nature.
Matière à ressentir
En évoquant ces jeunes artistes, Alexia Volot, commissaire de cette exposition subtile, précise : "Comme Courbet, le paysage devient chez eux matière à ressentir et non seulement à voir". Un autre intérêt de cette présentation à l'abbaye d'Auberive est de présenter une salle consacrée à l'atelier de Courbet. Ce n'est plus un secret, Courbet, désireux de récolter de l'argent et croulant sous les demandes, a engagé de nombreux peintres pour préparer et commencer ses toiles. Il admirait ses peintres dont il se sentait proches : Cherubino Pata, peintre suisse, est le chef de la bande des "préparateurs". Comme Courbet, Marcel Ordinaire a abandonné le droit pour la peinture. C'est lui qui prépare l'exil au bord du lac Léman, de Courbet en juillet 1873. Il est proche du maître et adore les paysages de la vallée de la Loue. C’est une très bonne chose de sortir ces artistes de l'ombre.
Cette exposition, en collaboration avec l'Institut Courbet est un beau dialogue autour des paysages de Courbet et un bel hommage au célèbre peintre de "L'origine du monde". Le respect et l'amour de la nature font valser en éclats les barrières du temps et prouve combien l'esprit de Courbet est toujours présent.
Centre d'art contemporian de l'abbaye d'Auberive : 1 place de l'abbaye 52160 Auberive.
Le mardi de 14h à 18h30, du mercredi au dimanche de 10h à 12h30 et de 14h à 18h30
Entrée : 8 euros