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Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
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Miguel Branco au Musée de la Chasse : la nature sous haute tension

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Le Musée de la Chasse et de la Nature présente jusqu'au 12 février 2017, de nombreuses oeuvres de Miguel Branco, à travers l'exposition : "Black Deer, résonances, enlèvements, interférences". Cet artiste revisite, à sa façon, des images puisées dans l'histoire de l'art. Visite d'une présentation énigmatique dans un lieu singulier.

Qu'on se rassure : pas la peine d'aimer la chasse pour se rendre au Musée de la Chasse et de la Nature. Bien sûr, vous y verrez quelques tableaux représentant des hommes avec leurs fusils, en train de régler leurs comptes à quelques bestioles poilues plutôt sympathiques. Mais ce lieu étonnant, où règne une étrange atmosphère, rend aussi hommage aux animaux (mais si...). En fait, il traite du rapport entre la bête et l'homme. La reine de cet hôtel particulier est la Nature. L'exposition de Miguel Branco y a toute sa place, car l'animal est son thème favori depuis plus de trente ans. De plus, son travail est fortement axé sur l'étrangeté, tout en utilisant un savoir faire qui rappelle les grandes œuvres classiques de l'Histoire de l'Art, notamment du XVIIe et XVIIIe siècle. Mais avec Branco, le classicisme est placé sous haute tension. Je file dans le quartier du Marais pour voir cette exposition avec un titre, un peu pompeux, "Black Deer : Résonances, Enlèvements, Interférences".

Un homme discret

Aujourd'hui, les peintres adorent réaliser des œuvres de très grand format, quatre mètres sur trois, cela ne leurs fait pas peur. D'autres partent à la chasse au buzz, en présentant l'installation la plus dérangeante qui soit. Miguel Branco est aux antipodes de cela, c'est un homme réservé, pour qui la discrétion est un véritable acte politique. Mais attention : être sobre, ne pas se faire remarquer, ne veut pas dire absence d'intensité. Miguel Branco arrive et sert la mains aux quelques journalistes présents, pour son vernissage. Vêtu d'une parka bleu marine, le cheveux sage, il a vraiment l'allure d'un cadre d'une grande société, échappé de son bureau. Quand je lui dis que j'ai déjà vu un de ses dessins au salon "Drawing now", son œil s'allume et un beau sourire éclaire son visage. Né au Portugal en 1963, il étudie à la faculté de Lisbonne. Depuis 1994, cet artiste dirige le Département de Dessin et Peinture de Ar.Co (Centre d'Art et de Communication Visuelle de Lisbonne). En 2015, le musée d'Innsbruck (Schloss Ambras) lui consacre une grande exposition.

Miguel Branco. Photo Carlotta Mantero.

Miguel Branco. Photo Carlotta Mantero.

Immobilité intranquille

Allez, c'est parti, je suis le groupe. Dans la cour du musée, Branco a installé la seule œuvre de grande dimension de toute l'exposition : un jeune cerf noir, en bronze. Je remarque que ses proportions s'intègrent, à la perfection, à la surface de la cour intérieure. Je suggère au directeur du musée de la garder, il semble de mon avis... A première vue, c'est une œuvre très classique, presque trop, mais la fierté de cet animal est digne de la statuaire égyptienne. Tranquillement assis, il regarde au loin. Il semble venir d'un lointain passé, d'une tradition de la sculpture. Il pourrait aussi rappeler un conte pour enfant. Ses contours sont extrêmement délicats et je note la patte droite, repliée. Il n'est donc pas si statique qu'il ne paraît. Il est même dans une immobilité intranquille, un arrêt provisoire sous haute tension. C'est justement le travail de Miguel Branco : placer l'art sous crispation, sous courts-circuits, une tension discrète mais très présente. Branco nous réapprend à voir ce que nous connaissons depuis longtemps. Je fais le tour de cette statue, elle est vraiment très belle.

Miguel Branco : Black Deer, 2016. Bronze, patine noire, 176 cm x 266 x 68. Photo Georges Poncet.

Miguel Branco : Black Deer, 2016. Bronze, patine noire, 176 cm x 266 x 68. Photo Georges Poncet.

Chasse au trésor

A l'intérieur du musée, l'artiste a installé ses œuvres partout, au beau milieu de la collection permanente. L'exposition se présente comme une chasse au trésor, car les pièces de Branco sont de très petite taille. Parfois, elles sont presque invisibles. Mais à y regarder de près, elles se marient à la perfection avec ce qui les entoure. Branco aime ça : le décalage, l'inattendu. Dans la première salle, il introduit deux petits intrus dans une vitrine. Un peu plus loin, sur un haut socle, j'aperçois cette statuette, représentant une biche debout. Là encore, elle est très classique, mais Branco bouscule une fois de plus la tradition, en utilisant une matière bien connue des enfants : la pâte Fimo. L'artiste aime utiliser des matériaux non nobles. En regardant les pattes arrières, je vérifie qu'une fois de plus, il y a beaucoup de tension dans cette œuvre. Elle de petite taille, mais ressemble aux sculptures qu'on admire dans les squares. Branco fait donc un pied de nez à la statuaire classique.

Miguel Branco : sans titre ( biche debout), 2015. Pâte Fimo, bois et fil de fer, 14,5 cm x 15 x 2,8. Courtesy jeanne Bucher

Miguel Branco : sans titre ( biche debout), 2015. Pâte Fimo, bois et fil de fer, 14,5 cm x 15 x 2,8. Courtesy jeanne Bucher

Licorne et gros oiseau

J'admire une licorne blanche, fragile et forte à la fois. Un peu plus loin,  je vois ce gros oiseau. Je note le travail très précis au niveau des pattes et du cou.

Miguel Branco : sans titre (Dodo), 2007. Pâte Fimo, bois et fil de fer. 20,7 cm x 14,8 x 10,7. Courtesy jeanne Bucher

Miguel Branco : sans titre (Dodo), 2007. Pâte Fimo, bois et fil de fer. 20,7 cm x 14,8 x 10,7. Courtesy jeanne Bucher

Ces deux animaux, l'un fantaisiste et l'autre réel, évoquent les cabinets de curiosité des XVIIe e et XVIIIe siècles. Au Musée de la Chasse et de la Nature, qui comporte de nombreuses vitrines, ils semblent avoir trouvés leur place.

Technologie

Surprise : dans une vitrine, au milieu d'oiseaux empaillés, je découvre une minuscule peinture représentant un drone, nouvelle créature ailée, très à la mode. C’est aussi, en cas de conflit, l'arme préférée des militaires, pour traquer leurs proies, leurs ennemis. Branco mélange l'oiseau, intemporel, et le drone, très actuel. De plus, il veille à peindre cet objet récent, d'une manière très classique, une façon de bousculer le cerveau du visiteur.

Miguel Branco : sans titre (drone), 2016. Huile sur toile, 4 cm x 10,5. Courtesy Jeanne Bucher

Miguel Branco : sans titre (drone), 2016. Huile sur toile, 4 cm x 10,5. Courtesy Jeanne Bucher

Symboles

A côté, il récidive avec cette caméra de surveillance. Une fois de plus, il évoque le présent avec un savoir faire digne du passé. Ces caméras qui pullulent dans nos centres villes, petites boules noires, mini objectifs auxquelles nous ne faisons plus attention, nous surveillent sans cesse. Avec le drone, elles sont un symbole de notre société contemporaine. Mais ces deux appareils de prise de vues, posent aussi le problème de la frontière entre vie privée et publique. Comme un rapace, la caméra inspecte le paysage...

Miguel Branco : sans titre (caméra), 2016. Huile sur toile. 4,5 cm x 6,5. Courtesy jeanne Bucher

Miguel Branco : sans titre (caméra), 2016. Huile sur toile. 4,5 cm x 6,5. Courtesy jeanne Bucher

Silence

Cet oiseau étrange, à la gueule cassée, semble tout droit sortie de la mythologie, d'une histoire moyenâgeuse ou d'un roman de science-fiction. Mais il se nomme "Sphinx", encore une référence à l'Egypte. Je le regarde de près, rien à voir avec un animal de compagnie. Décidément, Branco  aime bien cultiver le mystère.

Miguel Branco : sans titre (sphinx), 2007-8. Pâte Fimo, bois et fil de fer. 12 cm x 14 x 12,3. Courtesy Jeanne Bucher.

Miguel Branco : sans titre (sphinx), 2007-8. Pâte Fimo, bois et fil de fer. 12 cm x 14 x 12,3. Courtesy Jeanne Bucher.

Présence lumineuse

J'entre la grande salle aux fusils, chaque arme est une antiquité. Au fond de cette pièce, sur un meuble, Branco a installé une biche assise, en bronze plaqué or, une façon de dire que c'est elle la plus précieuse... Cette matière lumineuse contraste avec l'atmosphère un peu sombre du salon. L'animal plus noble que le chasseur ? Branco intitule cette œuvre "Diane", la proie désirée, par l'homme au fusil, devient elle même chasseresse...

Destin et dessin

Branco est aussi un dessinateur. La galerie Jeanne Bucher-Jaeger, coorganisatrice de cette exposition, propose jusqu'au 21 janvier, une multitude de petites peintures de Miguel Branco. Mais lors d'un récent salon du Dessin, elle avait présentée cette oeuvre : des singes se sont installés dans une bibliothèque, symbole du monde cultivé et civilisé, temple du langage... Et ces nouveaux intrus ne semblent pas très sympathiques.

Miguel Branco : sans titre (La bibliothèque), 2015. Fusain, graphite, gesso, Scoth, craie noire et blanche sur papier Waterford. 62,5 cm x 57. Courtesy Jeanne Bucher.

Miguel Branco : sans titre (La bibliothèque), 2015. Fusain, graphite, gesso, Scoth, craie noire et blanche sur papier Waterford. 62,5 cm x 57. Courtesy Jeanne Bucher.

Petits mais intenses

Je remarque deux minuscules toiles, l'une représente une poule et l'autre un petit singe blanc, un animal si proche de nous ... La bestiole est toute petite, au centre du tableau, elle semble un peu perdue. Le fond de la toile, avec sa lumière pâle et mystérieuse, m'évoque les peintres romantiques allemands, dont Gaspard-David Friedrich. J'apprends que Branco aime bien cet artiste. Il s'inspire également du peintre britanique, spécialiste des chevaux, Georges Stubbs. Au milieu de quelques grands tableaux de chasse et de natures mortes, les minuscules œuvres de Branco dénotent un peu.

Scribe fantomatique

J'admire un grand scribe blanc, qui me rappelle la célèbre statuette du musée du Louvre. Mais celui de Miguel Banco possède un visage étrange, fantomatique, preuve qu'il vient de la nuit des temps. En face, une grande vitrine avec de nombreux petits objets en pâte Fimo, dont un cheval sans tête.

Métamorphose

Dans le grand escalier central, les organisateurs ont accroché deux grands papillons, réalisés avec la technique de l'infographie. Là encore, Branco joue avec les échelles de grandeurs, les codes, les traditions et les neurones de celui qui observe. Ces deux papillons, dont celui ci-dessous, sont monocolores, plutôt rare pour un papillon. Ce volatile est aussi le symbole de la métamorphose, un sujet qui passionne Branco. En raison de leur taille immense, ils font, d'une certaine manière, écho au grand cerf noir de la cour extérieure.

Miguel Branco : sans titre (désert), #6, 2011. Image numérique, impression jet d'encre sur papier coton Digital image. 112 cm x 181 / 127 cm x 196 x 4,5. Courtsy Jeanne Bucher-Jaeger

Miguel Branco : sans titre (désert), #6, 2011. Image numérique, impression jet d'encre sur papier coton Digital image. 112 cm x 181 / 127 cm x 196 x 4,5. Courtsy Jeanne Bucher-Jaeger

Nouveau regard et poids de la tradition

A travers cette exposition pleine d'harmonie, Miguel Branco nous invite à poser un nouveau regard sur la nature.Il inscrit également son travail dans un temps imaginé, car ses oeuvres, récentes, semblent déjà appartenir à un passé que nous connaissons tous. C'est extrêmement curieux. L'artiste pose ainsi la question de la signification exacte d'une image, d'une représentation artistique. Si Branco refuse le grandiloquent, je suis frappé par son rapport permanent à la tradition. Alors, je lui pose la question, voici sa réponse : "La tradition est la constituante de mon travail".

Cette exposition, quasi invisible, étrange, conçue comme un puzzle, mélange nature, culture et technologie. Elle ne manque pas de charme. Après cette visite, je comprends mieux le titre : "Résonances, Enlévements, Interférences". Finalement, cet homme discret est beaucoup plus impertinent que je ne l'aurais pensé. En sortant de l'exposition, j'admire les plafonds, les sols, les rampes d'escalier, les luminaires, tout est énigmatique et beau dans ce musée, comme les œuvres de Branco.

 

Musée de la Chasse et de la Nature : 62 rue des Archives, 75003 Paris

Du mardi au dimanche de 11h à 18h, nocturnes les mercredis jusqu'à 21h30

Entrée : 8,00 euros

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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