La Fiac 2016 présente jusqu'au 23 octobre 2016, 186 galeries, treize de plus que l'année dernière, dont 28 % de françaises. Cette année, la foire internationale étend sa surface d'exposition autour du Grand Palais et propose une véritable balade artistique. Plus resserrée, plus internationale, plus dynamique, la Fiac a toujours l'envie d'étonner le monde entier. Visite.
Cette Fiac ne ressemble pas aux précédentes, car elle gagne en cohérence. L'an dernier, il fallait courir aux Docks-Cité de la Mode, du coté de la gare d'Austerlitz, pour découvrir les galeries émergentes, sous l'appellation "Officiel". Aujourd'hui, rien de tout cela, les galeries débutantes sont au premier étage du Grand Palais. La directrice Jennifer Flay est une femme pugnace, qui veut toujours agrandir son territoire. Cette année, la Fiac s'empare d'un nouveau salon qui appartient au Palais de la Découverte (Salon Jean Perrin). Mais ce n'est pas tout : le Petit Palais entre dans la danse et présente de nombreuses œuvres. Sur le papier, tout cela est bien aguichant, mais qu'est-ce que ça donne en réalité ? Je vais voir ça.
L'esplanade Winston Churchill
En sortant du métro, j'ai une première surprise : l'avenue Winston Churchill, entre le Grand et le Petit palais est piétonnière. Les automobilistes apprécieront... On a installé deux terrasses de café, entourées de plantes et quelques installations, dont la plus part sont au sol. L' artiste Jacques Villeglé, célèbre déchireur d'affiches à inscrit cette phrase magnifique d'Henri Michaux : "L'art est ce qui aide à tirer de l'inertie". Cela pourrait servir de slogan à la Fiac. Mais mise à part deux voitures, phares allumés, qui se font face, l'avenue Winston Churchill paraît un peu vide et le lièvre de Barry Flanagan, installé du côté du Petit Palais semble s'ennuyer un peu...
Cette avenue, transformée en esplanade, aurait méritée une œuvre grand format que l'on aurait pu voir de loin : dommage. Mais ça me fait quand même drôle de me balader entre les deux Palais et de retrouver le lien architectural, qui unissait les deux bâtiment lors de l'Exposition Universelle de 1900. Aujourd'hui, on retrouve la même configuration.
Bâtiment de tissu
Je décide de commencer ma visite par le Petit Palais. Après avoir passé un portique de sécurité, je me retrouve face à un écran géant, diffusant des images de moto- cross et de parachutistes... Ouais... Quelques pas plus loin, je découvre cet appartement de tissu du coréen Do Ho Suh. Né en Corée en 1962, il vit et travaille à New York. L'artiste s'interroge sur un thème d'actualité : la maison, le refuge, le territoire, le chez-soi. Cette structure fragile, en plein drame migratoire, prend donc une forte signification.
Homo complexus
Mon œil est attiré par une immense statue, au fond du grand hall central. C’est une des rares œuvres qui semble être à la bonne échelle, vu la hauteur des murs. Je décide d'aller voir ça de plus près. Je me retrouve face à un gigantesque personnage, du jeune artiste canadien David Altmejd. Cette sculpture monumentale nous montre l'intérieur et l'extérieur de l'être représenté. L'artiste fait un clin d'œil aux surréalistes, en installant de nombreuses têtes dans le corps de l'individu. La marque de fabrique de David Altmejd est de multiplier, dans ses œuvres, les fissures, les orifices, et d'intégrer des cristaux dedans. En regardant ce travail, je pense aux planches anatomiques du XVIIIe et du XIXe siècle. Je remarque, sur l'épaule droite, une main tenant un crayon. C'est un hommage discret aux scientifiques, aux anthropologues, aux biologistes, aux chercheurs. Nombreux sont les artistes actuels à faire un clin d'œil respectueux du côté des encyclopédistes d'autrefois et des scientifiques d'aujourd'hui. Le miroir cassé, au centre, symbolise ce qui est impénétrable. Cette sculpture étonnante illustre la mutiplicité et la complexité de l'Homme. Je remarque une astuce: le socle en miroirs. Le visiteur qui se place juste en face, a l'impression de faire partie de l'œuvre et d'être, lui aussi, une planche anatomique. C'est une œuvre très intelligente, très intéressante. Je reste longtemps devant et je ne suis pas le seul.
La science dans le marbre
Le Petit Palais a eu la très bonne idée d'installer les artistes contemporains au sein même de ses collections. Cette sculpture du célèbre et controversé artiste anglais Damien Hirst, est aussi un hommage à la science. Elle est en marbre de Carrare et n'a rien à envier aux sculptures classiques du XIX siècle. Elle est exposé à côté d'une œuvre de Dalou et le rapprochement est plus qu'évident. Les deux créations se répondent à la perfection. Mais dans le travail de Damiens Hirst, on voit les viscères et un squelette métallique apparaît, au niveau de la cuisse droite. C’est donc une femme bionique, aussi séduisante qu'inquiétante. En plus, c'est vrai qu'elle a une drôle de tête...
Un jardin extraordinaire
Le clou du spectacle, au Petit Palais, est sans aucun doute les quelques œuvres qui ont pris place dans le jardin extraordinaire où poussent tranquillement palmiers et bananiers. Ce havre de paix est à découvrir d'urgence. C’est là que Not Vidal, artiste suisse né en 1948, a installé ces deux têtes. De taille moyenne, elles se résument à quelques lignes et s'intègre parfaitement dans le jardin. Not Vidal travaille souvent à Pékin et s'inspire de la l'apparente simplicité de l'art asiatique. Ces têtes en acier chromé reflètent la végétation aux alentours. Je trouve qu'elles ont une intense présence intense.
Pas de doute, le Petit Palais (surnommé "On Site" pour l'occasion... ), a parfaitement réussi sa première présentation à la Fiac, et ce rapprochement entre Grand et Petit Palais devrait être pérenne : tant mieux.
La ruche
Bon, c'est pas tout ça, mais il ne faut pas que j'oublie le Grand Palais tout de même... Je traverse donc l'avenue et pénètre dans la célèbre nef. Comme à chaque fois, j'ai l'impression d'une immense ruche. Je fais un rapide tour général, mis à part chez Xavier Hufkens, un nain de jardin rose, entouré de godemichés, je ne vois aucune œuvre provocatrice. La chasse au buzz semble être, cette année, un sport dépassé. Je remarque aussi que de nombreux artistes multiplient les supports et les matières. Chez 303 gallery (New York), l'artiste Nick Mauss peint sur des miroirs. Dessus, j'aperçois des traces de grillages : original... Nik Mauss laisse souvent des espaces vides dans ses oeuvres. Selon lui, cela permet à l'esprit du spectateur, de "voyager" plus facilement. Je note le dessin, en bas à droite, qui renforce le caractère énigmatique de ce travail abstrait.
Vitesse de la lumière
Ce tableau de James Rosenquist ne passe pas inaperçu. C’est encore un hommage à la science car il s'agit de la vitesse de la lumière. Les trois cercles centraux illustrent bien la notion de vitesse. Les couleurs vives et les quelques traits dans la partie supérieure me rappelle le Street Art.
Musique de lumière
La galerie Templon présente ce tambour surprenant d' Ivan Navarro. Dedans, un jeu de lumière hypnotique, dangereux ? Ivan Navarro est né en 1972 à Santiago du Chili... Depuis 1997, il vit et travaille à New York. Il aborde souvent la notion de manipulation, d'emprise, d'enfermement...
Paysages chinois
Ce n'est pas la première fois que la galerie Perrotin expose Bernard Frize, artiste connu pour ces tableaux colorés à la peinture résinée. Mais cette fois ci, la galerie a choisie une œuvre antérieure, en noir et blanc. C' est un tableau abstrait, qui m'évoque la grande peinture chinoise de paysage. Les lignes dressent des crêtes, semblables à des montagnes. La galeriste m'apprend que cette oeuvre est issu d'une série surnommée : " Les paysages chinois" et que Frize s'intéresse effectivement à l'art asiatique.Cette œuvre, datée de 1993, est superbe.
Liberté de la presse et petit plaisir
Un peu d'humour et de politique avec l'artiste Endre Tôt chez ABC gallery.... Il propose tout une série : "Je suis content si"... Ici, une réflexion sur la presse...
Enfance
Yoshitomo Nara est un artiste japonais, né en 1959. Après ses études, il part étudier en Allemagne, à Düsseldorf. Il réalise des têtes d'enfants qu'il présente à la galerie Blum & Poe. Il crée ses œuvres à partir de modèles en argile qu'il réalise de ses propre mains, c'est la raison pour laquelle ses œuvres ont souvent l'apparence d'être mal dégrossies. Mais si Yoshitomo Nara sculpte des tête d'enfants, il y une raison bien précise : il rend hommage aux enfants disparus dans un important tremblement de terre au Japon, survenu dans les années 2000. Cet enfant aux yeux fermé, esquisse un sourire éternel, aussi énigmatique que celui de la Joconde. Je trouve cette tête, légèrement naïve, particulièrement touchante.
Fantômes et souvenirs
S'il y a un stand à ne pas rater, c'est bien celui de la galerie Applicat Prazan. Elle a l'excellente idée de mettre en avant un peintre un peu oublié : Zoran Music, ami et peintre préféré de François Mitterrand. L' œuvre de Music s'explique par sa vie. Elève de l'Ecole des beaux-arts de Zagreb, il commence sa carrière en peignant des paysages bucoliques et colorés de Dalmatie. Mais en 1944, il est accusé de faire partie de la résistance. Il est arrêté à Venise par la Gestapo. Il est envoyé à Dachau. Là, chaque jour, sans arrêt, sur de minuscules bouts de papiers, il dessinent les morts-vivants qui l'entourent. Il veut à tout prix témoigner. Et toute sa vie, Music peint, sur des toiles de lin non préparées et dans des couleurs de terre, des hommes cherchant à attraper encore un peu d'air, avant de mourir. La peinture de Music illustre le moment ou la vie cède à la mort. "Les morts de Music sont modestes. Ils ne hurlent ni ne se contorsionnent en effets criards et c'est en quoi ils nous bouleversent" écrit le romancier et philosophe Pascal Bruckner, qui a connu le peintre, aujourd’hui décédé. Je regarde ce tableau, quelques lignes, quelques touches de couleurs, avec une retenue incroyable, tout est dit. Cette oeuvre appartient à une série intitulée : "Nous ne sommes pas les derniers"...
Les têtards d'Abrakan
Je continue ma visite et passe devant un minuscule Max Ersnt réjouissant à la galerie Landau Fine Art. De nombreux spécialistes mettent en avant les conséquences et les adaptations nécessaires, face à une démographie galopante sur terre. Cela n'a pas échappé au duo de jeunes iraniens Peyback (Babak- Alebrahim Dekhordi et Peyman Barabadi). Il exposent à la galerie GP et N Vallois. Je contemple cette immense foule qui ressemble à des têtards et je pense à Jérôme Bosch. Mais Peyback insiste "Aucune référence". Il s'agit en fait de la construction d'un monde imaginaire : Abrakan. Ah bon...
Mini cabinet de curiosité
Cette petite boîte du Japonais Tetsumi Kudo , adepte du Néo- dadaïsme et d'une nouvelle écolologie irrévérencieuse, permet elle de prendre la température de la Fiac ? Je ne crois pas, mais je l'ai trouvé très surprenante. Kudo nous interroge sur le rapport entre l'homme et l'objet. Lequel, au final, mettra en boîte l'autre ? Le débat est ouvert...
Les arbres blancs
Allez hop , un petit saut du côté de la place Vendôme où Ugo Rondinone, artiste suisse, propose des oeuvres monumentales à l'échelle du site. Ce sont des oliviers en métal, peints en blanc. Cette installation, qui restera un peu sur place après la Fiac, est une réussite totale. Ces "arbres-fantômes" se marient très bien aux façades cossues des immeubles. Dernière information : ces végétaux de fer sont un symbole de paix...
Cette Fiac est éclectique? Excepté au Petit Palais, aucune œuvre contemporaine ne m'a réellement remué les sens ou bouleversé les neurones, trop sage ? Pas assez d'audace ? Peut-être... Quoiqu'il en soit, en étant plus resserrée, plus sérieuse et plus internationale, cette Fiac 2016 repositionne le France, au tout premier plan, sur la scène internationale et ça c'est très bien. La preuve : de très grands collectionneurs sont déjà passés... En parlant à quelques journalistes, dont j'ai fait parti, Jennifer Flay, la directrice de la Fiac, a évoquée, avec humour, la place de la Concorde... Mais ça, c'est encore une autre histoire... A suivre...
Fiac : Grand Palais / Petit Palais
Entrée : 35 euros.