A travers l'exposition "Vermeer et les maîtres de la peinture de genre", le musée du Louvre, jusqu'au 22 05 2017, nous éclaire sur les méthodes de travail du maître hollandais et sur ses spécificités. Cette présentation va à l'encontre de la réputation de solitaire de Vermeer, elle permet de mieux comprendre ce génie de la peinture mondiale. Visite.
12 tableaux de Johannes Vermeer à Paris, c’est un événement, et je vous le recommande vivement. La dernière grande exposition Vermeer dans la capitale remonte à 1966. Comme nous aujourd'hui, Vermeer travaillait en réseau et cette présentation a pour but de le prouver. Déjà, au Met de New York, une récente exposition s'intitulait : "Vermeer et l'école de Delft", elle insistait sur les réseaux artistiques du peintre. Les spécialistes américains et les historiens de l'art du Louvre, ont donc décidé de s'attaquer à une vielle, mais fausse, réputation de Vermeer, qui lui a collée à la peau trop longtemps. Le fautif se nomme Théophile Thoré-Burger, redécouvreur de Vermeer à la fin du XIXe siècle. Selon lui, Vermeer était un génie solitaire, œuvrant en silence dans son atelier. Ce travail d'ermite colle parfaitement avec la lumière quasi mystique des toiles de Vermeer. Mais si l'histoire est belle, elle est fausse et cette exposition historique au Louvre envoie, dans les orties, cette vieille légende. De tout temps, les artistes se sont admirés, surveillés, influencés. C'est vrai de Picasso et de Braque, mais cela était déjà le cas au XVIIe siècle. En revanche, une chose est sûre : Vermeer travaillait lentement, deux à trois tableaux par an, trente six reconnus à ce jour. Voilà encore une preuve de l'importance de cette présentation, dans le plus beau musée de France : le Louvre.
Star le la pub
J'entre par la pyramide de verre, je passe un contrôle, puis un portique de sécurité. Le vernissage a lieu un mardi, jour de fermeture du musée, aucun touriste en vue. Mais Vermeer est bien là, sa fameuse laitière est omniprésente sur les colonnes qui annoncent les expositions.
La pesée
J'entre, je suis un des premiers, les murs sont de couleur prune. Au sol, le beau parquet du Louvre se marie à merveille avec les différentes peintures de genre que j'aperçois. Le premier tableau que j'admire est un Vermeer : Femme à la balance. C'est une petite toile, je remarque que la balance est à peine visible. La jeune femme pèse de l'argent, mais son geste semble arrêté. Comme toujours avec Vermeer, la lumière est à la fois tamisée et précise, quasi surnaturelle. C’est la spécificité, jamais égalée, du maître de Delft. Ici, elle frappe juste le visage, les manches du vêtement luxueux et le mur grisâtre du fond. A l'arrière plan, j'aperçois une toile, coupée dans sa partie supérieure : Le jugement dernier. Cette œuvre serait-donc une incitation à la vie vertueuse. En réalité, il s'agirait de la pesée des âmes... Vermeer est protestant, mais par conviction personnelle et afin de pouvoir épouser sa femme, fille d'une riche famille catholique, il se convertit au catholicisme.
Sans mystère
A travers cette exposition, les organisateurs ont une grosse envie : prouver que Vermeer a été influencé et a copié ses pairs. A coté du Vermeer, ils ont donc accrochés la peseuse d'or de Pieter Hooch : même femme de profil, même disposition de la table, mêmes habits. Je suis frappé par les similitudes. Mais chez Hooch, pas de tableau, une porte ouverte, le mur est orné d'un riche papier peint. La scène semble beaucoup plus profane que chez Vermeer. Le geste est arrêté, mais la femme semble beaucoup moins mystérieuse.
Apogée
Pour mieux affirmer sa démonstration, le Louvre a choisi un parcours thématique, une bonne idée. A l'entrée de l'exposition, une carte retrace l'influence, la richesse et l'importance commerciale de la République des Pays Bas, à l'époque. L'économie se porte bien, une élite naît et ces commerçants, ces bourgmestres, ces banquiers ont fortement envie de montrer l'éclat de leurs richesses. Pour ce faire, ils se servent des artistes, qui peignent leurs intérieurs décorés de tentures, de tapis de table, de chaises espagnoles à têtes de lion, de porcelaines chinoises. Bien sûr, les peintres de scènes de genre, n'oublient pas les femmes ou les filles des riches commerçants. Elles sont habillées d'étoffes luxueuses et de nombreux bijoux. Le faste de la République doit s'imposer, voir éclairer le monde. Vermeer est le fils d'un marchand d'étoffes, également marchand de tableaux. Le peintre est aussi un collectionneur et un expert en art. Comme beaucoup d'artistes de l'époque, il se passionne pour les recherches concernant l'optique. Dès qu'il peut insister sur la beauté d'un tissu, il le fait avec plaisir, cela lui rappelle son enfance.
Missives
L'amour est un thème qui concerne tout le monde. Au XVIIe, il transparaît a travers un sujet repris par un grand nombre de peintres : la lettre. La missive amoureuse peut charmer ou tuer... J'observe ce tableau de Vermeer. A première lecture, une femme, baignée par la lumière rasante du soir, écrit. En réalité, c'est plus compliqué. La jeune fille, très concentrée, n'est pas à son bureau, elle s'est rapidement assise à cette table, recouverte d'une étoffe raffinée. Encore une fois, c'est un détail qui éclaire l'œuvre. Au premier plan, on aperçoit un papier froissé et surtout un cachet brisé. La femme a donc reçu une lettre, qui l'a perturbée, et elle y répond rapidement. Derrière, la servante est témoin de cette agitation et regarde, mélancoliquement, par la fenêtre. J'admire la lumière sur le voilage : magique.
Nous
Quelques années avant, Vermeer avait déjà traité ce thème, avec un tire très éclairant : "La lettre interrompue". Cette fois-ci, la femme a entendu un bruit ou elle est gênée par une visite. Et ce visiteur... C'est nous... En tout cas, c'est l'impression que j'ai.
Vanité
De nombreux peintres ont traité ce thème de la lettre, Vermeer a forcement vu une bonne partie ces œuvres... En 1662, Frans van Mieris peint cette femme à son miroir. Le visage, pas le plus avenant qu'il soit, est de profil. Une main touche le collier. La coiffure est ornée d'un petit ruban coloré.
Simplification et comparaison
Un an plus tard, Johannes Vermeer, s'intéresse au même sujet. J'observe de près cette toile : même femme de profil, une main touche le collier, même ruban pour tenir le petit chignon, même étoffe de luxe au premier plan, dans la lumière chez Mieris, dans l'ombre chez Vermeer. Mais le maître de Delft, a simplifié le décor : pas de servante africaine et un grand mur blanchâtre en pleine lumière. Contrairement à ses prédécesseurs, Vermeer procède par soustraction. Comme Picasso quand il dessine une chèvre ou un taureau, Vermeer élimine de plus en plus, pour ne garder que les détails essentiels : le personnage, le tissus illustrant la richesse et... la lumière. Mais on ne peut nier les nombreux points communs entre les deux toiles, il suffit de regarder.
Musique et sensualité
Je retrouve ce procédé dans un autre tableau, concernant un autre thème, très présent dans la peinture : la femme musicienne. Mieris peint une femme debout, jouant du virginal (clavecin). A ses côtés, un joueur de viole de gambe et un serviteur apporte à boire. Un lourd rideau souligne l'aspect théâtral, mais intime, de la scène.
L'absence
Quelques années plus tard, Vermeer reprend le sujet, sa joueuse de clavecin est assise, mais on retrouve le rideau au premier plan, de même que la tableau coupé à l'arrière plan. Une fois de plus, Vermeer a simplifié : pas d'autre joueur de musique, pas de serviteur qui tombe comme un cheveux sur une soupe, pas d'enfilade de couloirs. Mais Vermeer a très habilement, avec l'instrument de musique au premier plan, suggéré un départ, une absence, dont le regard, un peu triste, de la jeune fille nous rend témoin... A l'époque, les maîtres de musique, avaient la réputation, d'être un peu entreprenant...
Points communs
Les thèmes communs à tous les maîtres de la peinture de genre de genre, sont nombreux : la visite du prétendant, les aphrodisiaques (les huitres), la femme au perroquet, la nourrice etc.
Fertilité
Toutes ces représentations sont présentes dans cette formidable exposition. Je poursuis ma visite, et je découvre la star : la laitière. C'est une petite toile. Une femme, un peu forte, prépare un pain perdu. Pour le fond, Vermeer s'est contenté d'un mur nu, avec quelques clous, rien d'autre. Mais là encore, quelques détails, bien choisis, disent tout. Je remarque un carreau cassé, une façon de souligner que dans l'humanité rien ne peut être parfait, seul Dieu l'est. Mais c'est surtout la chaufferette, par terre à droite, qui est intéressante. Les femmes utilisaient cet instrument : elles le plaçaient sous leur robe, pour se réchauffer et se donner quelques sensations... Un autre détail est éclairant : un carreau de faïence représentant Cupidon, à côté de l'outil chauffant. Cette toile magnifique, qui présente de nombreuses craquelures, serait donc une allégorie de la plénitude, de la fertilité, de la bonne santé. Cette jeune fille, aux bras musclés, à la poitrine généreuse, qui tient un pot de lait, est le symbole de la femme nourricière. Les publicitaires ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils l'ont utilisé pour une marque de yaourt. Mais moi, ce qui me touche, ce sont les reliefs du pain, les tonalités des vêtements, le geste subitement arrêté, la concentration extrême du personnage, qui veille au bon dosage; sans oublier cette lumière, douce, diffuse, mystérieuse, intime... Une merveille.
Couture
Nicolas Maes peint cette dentellière en 1655. C’est un superbe tableau. Le carrelage conduit l'œil du visiteur jusqu'à la petite estrade où se tient la couturière. La lumière est d'une rare beauté. Tout paraît fragile et précis.
Haute couture
Quatre ans plus tard, Vermeer donne sa version de ce thème. On retrouve la même précision et la même concentration du personnage. Mais cette fois ci, Vermeer a resserré l'image, sa jeune fille figure en plan serré. Un simple mur grisâtre sert de fond.
L'art de la pantoufle
Au XVIIe siècle, en Hollande, une jeune femme glissant son pieds dans une pantoufle, est considéré comme le comble de l'érotisme. Les peintre de scènes de genre, spécialistes de la sensualité discrète, mais bien réelle, vont souvent représenter ce thème. Samuel Van Hoogstraten place deux pantoufles au centre de son curieux tableaux. Il s'agit d'une enfilade de pièce. Le carrelage au premier plan guide l'œil de l'observateur, mais l'espace visuel est réduit. Les pantoufles ont sans doute été enlevées rapidement... La femme et son compagnon doivent se trouver dans la pièce du fond, à droite ou à gauche, mais tout cela n'est pas montré, juste suggéré. C'est un beau tableau, très moderne dans sa composition.
Erudition
Vermeer a rarement peint des représentations masculines. Je tombe nez à nez devant cette toile : le géographe. Le compas tenu par le personnage, le globe sur l'armoire, le livre qu'il tient d'une main, soulignent que l'on est chez un érudit. Les vêtements de l'homme prouvent qu'il appartient à une élite. La lumière qui, une fois de plus, vient de la fenêtre à gauche, éclaire de façon intense le visage du savant. Avec cette façon de faire, Vermeer le projette hors du temps, car son visage, très blanc, ressemble à celui d'une poupée, difficile de lui donner un âge. En fait, il n'en a pas, il est l'incarnation de l'intelligence, du savoir et de l'érudition. Cette lumière, qui arrive juste sur l'arrête du nez, n'éclaire pas un visage, elle le magnifie.
Religion
L'exposition se termine par un tableau religieux, étonnant. Dans la République des Pays Bas où l'église réformée est reine, le catholicisme se pratique souvent dans des lieux cachés ou de simples appartements. Vermeer le suggère, je retrouve dans cette toile tous les ingrédients de la peinture de genre : le carrelage, les rideaux, les coussins, la chaise au premier plan, mais il s'agit bien d'un tableau religieux. La femme est en extase, elle a un pied posé sur un globe, elle regarde un crucifix, à droite. De plus, je note la présence d'un missel et d'un calice. En réalité, cette femme symbolise la Vertu dominant le monde. D'après certains experts, le lourd rideau serait une métaphore de la révélation religieuse chrétienne. Peut-être...
Fin
Vermeer, a été apprécié des collectionneurs de son temps. Mais en 1672, Louis XIV pulvérise la splendeur des Pays Bas. L'économie retombe, Vermeer est oublié pendant deux siècles. Vermeer, père de 11 enfants, artiste moderne avant l'heure, meurt à 43 ans. Il n' a été qu'un peintre parmi d'autres, mais quel talent !
Pour la première fois, en France, cette exposition révèle les méthodes et les zones d'influence de Vermeer. La preuve est désormais faite qu'il n'a pas hésité à copier ses prédécesseurs ou amis. Après cette visite, j'ai l'impression que Vermeer n'a plus de secret, sauf un : cette lumière hypnotique, mystique, qui le rend unique. Qu'est-ce que Vermeer, si précis et si lent dans son travail, a voulu dire exactement avec cette lumière venue d'ailleurs. Alors là, l'obscurité demeure...
PS : un conseil : les toiles étant de petite taille, évitez les heures d'affluence.
Musée du Louvre
De 9h à 18h sauf le mardi
Entrée : 15 euros