L'Institut du Monde Arabe présente jusqu'au 2 juillet 2017, une centaine d'oeuvres issues de la collection Barjeel. Il est rare qu'une présentation artistique retrace l'histoire de la création arabe depuis la seconde moitié du XXe siècle. C'est la première fois que cette collection est montré en France. Visite.
Constituée en 2010, la collection du Sultan Al Quessemi réunit les grands noms de l’art moderne contemporain arabe. Ce rassemblement d’œuvres d’art est géré par la Fondation Barjeel, une fondation privée basée à Sharjah aux Emirats arabes unis. Elle a pour mission de contribuer à la protection, au développement et à la promotion de la scène artistique arabe. Jeune étudiant à Paris, le sultan Sooud Al Qassemi fréquentait les musées, il en a été profondément marqué. Ceci explique cela... Pour moi, cette présentation à l’IMA, est l’occasion de découvrir des artistes et de me rendre compte de la façon dont les créateurs arabes, voient le monde et leur entourage. Quand j’arrive pour le vernissage presse, le ciel est gris. Mes confrères sont déjà rentrés.
Carrefours lumineux
La première œuvre que j’aperçois est un tableau très coloré d’Ahmed Cherkaoui, il pourrait très bien servir de symbole à la situation du monde arabe actuel : au centre, un œil regarde le monde, de gros traits noirs font penser à des routes, des carrefours, et des couleurs vives, illuminent l’œuvre... Le monde arabe est à la croisée des chemins et reste fidèle à sa culture pleine de couleurs. Dans son style pictural, ce tableau m’évoque Rouault. La toile de jute très épaisse, qui sert de support, donne un aspect presque flou à l'oeuvre. C’est un beau tableau, très construit. Ahmed Cherkaoui (1934-1967), est considéré comme une figure majeure de l'art marocain contemporain. Dans les années 50-60, il a fréquenté le mouvement artistique Ecole de Paris.
Paix et spiritualité
Mais je suis tout de suite attiré par deux œuvres de Rachid Koraïchi. Elles mélangent calligraphie arabe et de drôles d'idéogrammes chinois, qui ressemblent beaucoup à des arbres. Enfant l'artiste se passionne pour la danse, je retrouve ce goût du mouvement dans ses œuvres. Son idéogramme central ressemble à un grand danseur, mais aussi à un végétal. Pour lui, l’arbre, surtout le cyprès, symbolise une ascension vers le spirituel. Elevé dans un milieu soufi cultivé, il s’intéresse aux lettres et à toutes formes d’écriture. Il se sert de son langage particulier, pour rendre hommage aux écrivains qu’il aime, arabes ou européens. Mais son travail va encore plus loin : il veut retrouver, à travers son tableau, l’esprit, l’âme de l’écrivain qu’il met en avant. Cet artiste, né en 1947 en Algérie, vit à Paris. Tout son travail témoigne d’une véritable ouverture d’esprit. Koraïchi se sert sans cesse de son art, afin de délivrer un message de paix et de tolérance. Je trouve cette oeuvre très intéressante.
Expression et malaise
Marwan Kassab, né en 1934 à Damas, est une star de l’art arabe contemporain. Il étudie la peinture à Berlin, où il découvre des œuvres expressionnistes : un choc. A partir de ce moment, il ne cessera de mélanger art occidental et inspirations orientales. Dans les années 60, il rejoint le mouvement Nouvelle Figuration, dont Georg Baselitz est membre. Les deux hommes se côtoient. La peinture de Kassab représente des personnages mélancoliques, à fortes personnalités. Ses toiles me rappellent celles d’Otto Dix ou Francis Bacon. Cet homme à trois bras, qui tient un bâton, au regard dur, symbolise le combat intérieur de l’artiste. Il est à la fois très dérangeant et extrêmement banal. Kassab a exposé à la Tate de Londres et au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. En 2014, le Centre Pompidou lui a acheté une œuvre, je comprends pourquoi. Il y a une vraie force dans son travail pictural.
Un SDF très connu
Bien sûr, beaucoup des œuvres exposées lors de cette présentation à, l’IMA, sont politiques. Le syrien Abdalla Omari représente Obama en SDF, une façon de dire que le rêve américain est désormais terminé...
La leçon du cactus
Je tombe nez à nez avec un grand tableau aussi sombre que beau, qui représente un cactus. Il est l’œuvre d’Asim Abu Shakra, né en 1961 dans les Territoires palestiniens. Il est le premier israélien d’origine palestinienne, à entrer dans une école d’art de Tel Aviv. J’observe avec attention son tableau, je vois un cactus, dans un pot, sur un bord de fenêtre. A l’arrière-plan, j’aperçois vaguement la ville de Jérusalem, où il a vécu. En réalité, ce cactus symbolise le peintre : un homme déraciné, qui vient du désert. Il est présent dans la ville et n’a pas l’intention de perdre ses épines...
Chevaux symboliques
Un peu plus loin, je découvre cette œuvre figurative, des chevaux blancs de Kadhim Hayder. Cette œuvre s’intitule « L’épopée du Martyr, dix chevaux fatigués conversant avec rien ». Un peu interloqué, je me renseigne. Ces dix chevaux pleurent la mort d’Hussein ben Ali, petit-fils du prophète Mahomet. Mais ces équidés symboliseraient aussi les amis de l’artiste qui ont été exécutés. Les chevaux hurleurs, très stylisés, clament leur chagrin, alors qu’un soleil rouge, blessé, illumine la scène d’une pale lumière. C‘est un beau tableau, avec un fond brossé à grands coups de pinceaux.
Musique
Excepté une sculpture, trop classique à mon goût, représentant Zinedine Zidane donnant son fameux coup de tête, Adel Abdessemed est, pour moi, un artiste important de l’art contemporain. Je me souviens du choc que j’ai eu en découvrant à Venise, à la Fondation Pinault ses crucifixions en fil de fer barbelé (Décor). Il est né en 1971 à Constantine, élevé dans le respect des trois religions principales. Après la multiplication des tueries terroristes qui touche l’Algérie, notamment l’assassinat de son directeur d’école et de son fils, il s’enfuit et gagne la France. Il arrive à Lyon où il s’inscrit aux Beaux-Arts. Adel Abdessemed se sert de la violence actuelle, si visible dans les médias, pour la saisir et l’inscrire dans l’Histoire. Il n’hésite pas à choquer. Je me souviens d’une vidéo montrant des animaux en train de s’entretuer et intitulée : Usine. Ici, à l’IMA, il présente une œuvre en lien avec la musique, célèbre pour adoucir les mœurs... C’est une installation constituée de nombreux pupitres sur lesquels l’artiste a posé un dessin. Chaque œuvre représente un geste précis d’un chef d’orchestre, et il est relié à quelques notes de musique dessinées dans un coin du pupitre. Chaque visiteur devrait, selon l’artiste, se sentir un peu chef d’orchestre. Personnellement, je n’aurais pas choisi cette œuvre pour représenter Adel Abdessemed, il en fait de beaucoup plus forte. Mais bon...
La balade du squelette
Tiens, une autre œuvre d’Abdessemed, une photo sur laquelle je vois une jeune fille, de dos, se promenant sur un trottoir, en tenant par la taille un... squelette.
Tradition et modernité
Cette exposition à l’intelligence de mêler artistes très connus et beaucoup moins connus. Je regarde cette huile de Hayv Kahraman. Je suis frappé par le style très moderne lié à un aspect très traditionnel, dans la pose du personnage et dans le motif décoratif du fond, sans oublier la fine moustache, très dessinée. Cela me fait penser aux manuscrits turcs ottomans, du XVI siècle.
Solaire
Avant de partir, je jette un coup d’œil à cette belle aquarelle de Baya, artiste algérienne né en 1931. J'apprends qu'André Breton a été séduit par son travail délicat et poétique. En 1947, Aimé Maeght l'expose dans sa galerie de Paris. Je remarque la robe rose, elle m’évoque Matisse immédiatement. Le visage se noie dans un grand vide (Baya était orpheline...). Cette oeuvre est pleine de douceur et d’inventions. J’aime beaucoup cette petite aquarelle. Elle illustre le fait principale de cette présentation : l’influence de l’art occidental chez les artistes arabes. Baya a souvent représentée des femmes-fleurs énigmatiques.
Cette exposition m’a permis de mieux découvrir l’art moderne et contemporain arabe, trop rarement exposé. Pourtant ces créateurs regardent les évolutions de notre planète et ils ont des choses à nous dire. J’ai remarqué l’importance qu’ils accordent aux images médiatiques. Ce n'est certainement pas la présentation du siècle, mais elle est intéressante. Comme toutes les collections, elle témoigne aussi d’une subjectivité, celle d’un homme qui aime les artistes, figuratifs ou pas : le sultan Soooud Al Qassemi, lequel écrit régulièrement dans des publications telles que The Financial Times ou The Guardian. Voilà qui explique peut-être pourquoi cette exposition à l’Institut du Monde Arabe est un beau témoignage d’ouverture d’esprit. Ces tableaux et dessins, ont aussi pour but de changer, voir de pulvériser, la mauvaise image qui colle au Moyen Orient. Mais tout cela, ne doit pas nous faire oublier la complexité dans laquelle est le monde arabe aujourd’hui, et cela concoure à une grande fragilité du statut d’artiste dans cette région du monde. L’IMA a donc eu une très bonne idée, de placer sous les feux de la rampe, ces créateurs sensibles et curieux.
Institut du Monde Arabe : 1 rue des Fossés-Saint-Bernard, place Mohammed V, 75005 Paris
Du mardi au vendredi de 10h à 18h, samedi, dimanche et jours fériés jusqu'à 19h. Fermé le lundi.
Entrée : 10 euros