La galerie parisienne Da-End, présente jusqu'au 24 juin 2017 deux artistes, une sculptrice sur verre et un photographe, tous deux utilisent des techniques singulères et se passionnent pour la recherche scientifique. Les deux créateurs proposent des oeuvres à la fois intimes et universelles. Visite.
Il faut monter trois petites marches, avant de pénétrer dans la galerie Da-End. Elle se situe rue Guénégaud, en face du Palais de la Monnaie. Je pousse la haute porte et découvre une galerie qui ne ressemble à aucune autre. Ici, pas de mur blancs, ni d’ambiance de bloc opératoire. Non, le sol est un parquet noir, les murs sont marrons et les portes rouges. Au premier regard, je trouve que cela oscille entre un lieu de recueillement et une boîte de nuit. Je suis accueilli par un large sourire, de la galeriste, petite femme sympathique d’origine asiatique. Mais tout de suite, mon regard est attiré par les œuvres fragiles et spectaculaires de Kim KototamaLune.
La découverte du verre
Deux minutes d’attente et l’artiste arrive, souriante, timide, mais heureuse de pouvoir évoquer son savoir-faire et sa démarche artistique. D’origine vietnamienne, cette artiste plasticienne qui a fait l’Ecole des Arts Appliqués de Paris, catégorie textile, a aussi travaillé le modélisme, la peinture et la sculpture. Mais c’est avec le verre, découvert grâce à son beau-père, bijoutier-joaillier, qu’elle découvre son matériau de prédilection.
Liquide, solide
« Le verre est un liquide qui a oublié qui il était », me dit-elle. Jolie formule pour m’indiquer que dans son travail, elle solidifie ce qui est, au départ, un liquide. Ce verre, à la fois transparent et fragile, devient sous ses doigts, un tissu aux mailles complexes, une dentelle mystérieuse, une nouvelle peau capable de jouer avec la lumière, une belle évocation de la Vie, à la fois forte et fragile...
Le monde du silence
Kim KototamaLune, née en 1976 à Hô-Chi-Minh-Ville (Vietnam), s’intéresse au monde sous-marin, et ça se voit. Devant cette sculpture magnifique, je pense au ballet des méduses au fond de l’océan. Je demande à la créatrice de me décrire sa technique. Elle m’explique qu’elle utilise un chalumeau pour filer des baguettes de verres de différentes tailles. Elle doit faire vite pour créer un maillage large. Ensuite, elle le « remplit », là où elle le souhaite. Il faut qu’elle se méfie des chocs thermiques, ils peuvent provoquer des catastrophes... Si, au départ, elle une idée générale de sa sculpture, elle se laisse souvent guider par la matière, par les différentes connexions possibles (ce mot est important pour cette exposition, j’y reviendrai)... J’admire ces fils de verre, ils sont comme les notes de musique d’un opéra imaginaire.
Le choc japonais
En 2005 et 2014, Kototamalune voyage au Japon. Ce pays a beaucoup d’importance pour l’artiste, et influence son œuvre. Elle est frappée par la capacité des japonais à marier modernité, respect de la nature, culte des espaces aquatiques et silence, sans oublier bien sûr, l’art de la méditation. Tout cela est extrêmement présent dans les œuvres de Kim KototamaLune. En réalité, je crois qu’elle dresse des ponts entre la nature réelle et des mondes imaginaires silencieux, teintés de spiritualité. Le visiteur, moi compris, ressent cela au premier regard.
Voilage
Je grimpe quelques marches et découvre une étrange installation. Derrière un voilage blanc, j’aperçois ce qui ressemble à un fœtus ? Un poisson à tête humaine ? Un serpent de verre ? Quoiqu’il en soit, c’est très étrange...
A la recherche de l’essentiel
L’artiste me précise qu’il s’agit, pour elle, de la période intra-utérine, de la quête d’un retour à l’Essentiel, « de la question des possibles humains », traduisez : les premiers moments de la Vie, les premières connexions (Encore ce mot... j’y reviendrai... mais si ...). Comme la grande majorité des artistes asiatiques, KototamaLune se passionne pour le jeu du plein et du vide, dans lequel le vide a autant d’importance que le plein. Il ne faut pas oublier cela quand on regarde les œuvres de cette créatrice. Là encore, je suis face à une dentelle de verre, qui semble respirer, tellement vivante...
Neurosciences
Kim KototamaLune s’intéresse aussi aux neurosciences. En 1897, un physiologiste britannique (Sir Charles Scott Sherrington), introduit dans le vocabulaire médical, le terme de « synapse ». Ce mot vient du grec et signifie : toucher, saisir, au sens de connexion. En fait, la synapse désigne le point de jonction entre deux cellules nerveuses, assurant la transmission des informations de l’une à l’autre. C’est en faisant référence à ces connexions neuronales que le titre de l’exposition s’est imposé : « Synapsis ». Le travail de KototamaLune ressemble effectivement à un cerveau, c'est une suite de liens, de réseaux. De plus, elle établit sans cesse une connexion entre monde visible et invisible. Le titre de l’exposition est donc bien choisi.
Lumières
La galeriste, Diem Quynh, ne s’est pas arrêtée là. Elle expose également un autre artiste, qui lui aussi établit des passerelles et jongle avec la réalité et le fantomatique. J’observe donc les photos de Satoki Nagata. Ce japonais est un ancien neuroscientifique (tiens... tiens...), passionné de photographie. Plus je regarde ses photos, plus je comprends qu’il arrive à relier ces deux univers : la neurologie et la technique photographique. Afin d’arriver à cette performance, il utilise une technique bien particulière. Il se balade la nuit à travers Chicago, ville où il réside. Il photographie les passants. Il pratique une vitesse d'obturation particulièrement lente, tout en utilisant un flash, qui éclaire le personnage par l'arrière. A l’arrivée, il obtient des clichés, dans lesquels le piéton se fond d’une manière étonnante au paysage urbain. J'ai même l'impression que le sujet s'est fondu dans le décor. Les lignes et points de lumières, visibles sur ce tirage, me rappellent les fils de verre filés de Kim KototamaLune.
Interconnexions
Dans cette autre cliché, Nagata entoure son personnage d’une toile d’araignée de lumière. Je vois un être humain ou un fantôme ? En réalité, le photographe essaye de mettre en image le vieux principe bouddhiste, assurant que la vie humaine se résume à une suite de relations, de partages et d’interconnexions. Je suis frappé par cette lumière qui irradie cette photographie.
Je suis ravi d’avoir découvert ces deux artistes. Quelle belle idée de les avoir réunis. Ils sont très complémentaires. Ces deux créateurs nous guident bien au-delà des réalités quotidiennes. Ils sont tous les deux des passeurs et des constructeurs de rêves. Leurs œuvres sont pleines de poésie et d’hommage à la recherche scientifique. Ils font appel à notre intelligence et à nos sens. Les fils de verre de Kim Kototamalune, transforment le visiteur en funambule... Avant de partir, je jette un œil sur le livre d’or et je lis : « Une voie vers l’imaginaire... du rêve... trop beau ».
Galerie Da-End : 17 rue Guénégaud, 75006 Paris
Du mardi au jeudi : 14h - 19h
Vendredi et samedi : 11h à 19h