Le palais Lumière d'Evian présente jusqu'au 01 octobre 2017, une exploration unique dans l'univers du peintre atypique et surréaliste, Paul Delvaux. Cette exposition intitulée "Paul Delvaux maître du rêve", est une bonne occasion pour se confronter à l'énigme Delvaux, créateur d'un monde parallèle sensuel et coloré. Décryptage.
Delvaux a toujours laissé parler son subconscient. Il est même sa source artistique, son inspiration principale, à tel point que la vie de Paul Delvaux pourrait se résumer à un grand plongeon dans un bain d’onirisme. Le rêve est devenu sa réalité et la morale n’y a pas sa place. Cet artiste est considéré comme un des plus importants peintres belges surréalistes du XXe siècle. Mais bizarrement, Paul Delvaux, depuis quelques années, est assez peu exposé. Est-ce parce qu’il est un surréaliste atypique, un héritier du symbolisme, avec son propre univers immédiatement identifiable ? C’est possible. Même dans la chapelle des surréalistes, Delvaux est un drôle de paroissien. Ses femmes silencieuses et nues ne séduisent pas tout le monde. L’art de Delvaux est un puzzle de fantasmes, de jeunes filles impassibles dans des gares désertées ou se croisent des couples assez ambigus. Mais le pas de côté érotique de Delvaux mérite notre attention et cette exposition est un véritable événement, d'autant qu'elle présente une sélection d’œuvres majeures, issues en grande partie d’une collection particulière belge et rarement montrée (collection Nicole et Pierre Ghêne). A Evian, Delvaux se révèle toile après toile, et le palais Lumière se transforme en une zone poétique insolite et doucement provocatrice... En 1945, René Gaffé écrit : « Il est le peintre du rêve », d’où le titre de cette exposition, au Palais Lumière d’Evian.
Sur scène
La réalité quotidienne n’intéresse pas du tout l’artiste, il préfère créer son propre monde. Il se passionne pour le surnaturel et l’absurde. Son œuvre est totalement intemporel. Sur la planète Delvaux il n’y a pas d’horloge mais beaucoup de théâtralité. Chacun de ses tableaux ressemble à un décor ou à une scène de théâtre. Les « comédiennes » qui jouent un rôle dans cet art-théâtre sont jeunes, apprêtées et souvent majestueuses. Elles se tiennent très droites et n’ont pas vraiment l’air de vouloir rire. On est ni au paradis, ni en enfer. Non, on est ailleurs. Quant aux architectures qui forment les décors, elles peuvent être de toutes époques et se mélanger. Dans cette œuvre, comme sur une scène de théâtre, je vois une méridienne au premier plan. Elle accueille une jeune femme élégante dans une pose très étudiée, très classique. Derrière, une femme de dos, aux cheveux longs comme une Vénus, montre son postérieur. A gauche, on voit à travers la porte fenêtre, une femme nue descendant un escalier et attendue par une autre. C’est un mixe de sensualité, un peu froide, et de forte cérébralité. Tout Delvaux est là.
Amour lesbien
Les femmes structurent toutes les compositions de Delvaux, c’est le leitmotiv du peintre. Mais il s’intéresse aussi aux petits jeux de séduction, aux premiers pas qui précèdent les grandes enjambées... Sans faire de la psychanalyse de bas étage, il faut tout de même remarquer, que Paul Delvaux a eu une éducation plutôt puritaine, et qu’il a du mal à communiquer avec le sexe opposé. Sa mère était assez autoritaire, un premier grand amour difficile, un mariage plutôt platonique... Ceci explique peut-être cela. Dès 1930, Delvaux visite une maison close, et qu’est-ce qu’il observe... Les relations homosexuelles entre femmes. Pourquoi cet intérêt pour les rapports amoureux lesbiens ? Il est possible que ce soir pour le peintre une manière d'exprimer sa difficulté à séduire et sa désillusion vis-à-vis des relations hétérosexuelles...
Femmes fatales
Delvaux est né en 1897, dès 1920, la femme devient son sujet de prédilection... Il peindrait donc pour dire avec des couleurs ce qu’il a bien du mal à exprimer avec des mots... Cela est très fréquent chez les peintres... Quand on regarde le travail de Delvaux, on remarque tout de suite que ses femmes ont toujours le même physique : minces mais avec des formes, et blondes. Elles ressemblent à des femmes fatales, à la Hitchcock, mais elles pourraient également être des divinités mythologiques, parfois des prostituées, voir des princesses rêvées, toujours inaccessibles...
L'homme lointain
La femme est un problème, une énigme, un objectif, un mystère pour le peintre. Et ce mystère envahie toute son œuvre... Sur une petite encre, deux femmes, au premier plan, apprennent à se connaître, au second plan, plus loin, un homme se tient debout, sous un arbre... Dans le catalogue de cette exposition, Laura Neve, spécialiste de l’art belge, précise : « L’histoire de sa vie et celle de son œuvre sont indéfectibles »... Sur ce tableau ci-dessous, une femme nue portant un étrange chapeau en regarde deux autres, dont l'une semble endormie. Le trait est à la fois sensuel et précis, mais comment comprendre ce tableau ? Personne ne le sait vraiment et c'est un des charmes de Delvaux : garder le mystère jusqu'au bout, et secouer les esprits.
Solitude
Si Delvaux est le peintre du rêve, il est aussi l’illustrateur du silence pesant. Beaucoup de tableaux dégagent un sentiment de solitude. Cette femme de dos, devant sa fenêtre, regarde avec mélancolie le paysage, comme s’il allait disparaitre...
Train magique
Il n’y pas que les femmes qui font rêver Paul Delvaux, les trains aussi. Dès sa jeunesse il se passionne pour le chemin de fer. Plus tard, la gare de Bruxelles sera très présente dans ses tableaux, dans lesquelles elle symbolise la modernité. Dans les années 50, gares, trains, trams, envahissent de plus en plus son œuvre. Désormais, le train représente un lointain imaginaire, un voyage à faire. L’artiste en peint beaucoup, la preuve qu’il souhaite de plus en plus s’éloigner de la réalité, banale et décevante...
La solution
En 1934, à l’exposition surréaliste Minotaure, Delvaux découvre les tableaux de Giorgio de Chirico. Il est frappé par ses palais à arcades et par le mystère poétique et énigmatique qui se dégage de ses œuvres. Cela le conforte dans ses envies. Le mystère devient la clef de voûte de ses créations. Il doit habiter et envelopper êtres et architectures. L'énigme devient la solution et l’artiste n’hésite pas à la cultiver. Sous l’influence de Giorgio de Chirico, il découvre et intègre dans ses tableaux l’Antiquité gréco-romaine. Delvaux aura donc mis quinze ans à trouver son propre style : une ambiance poétique, étrange, mais aussi métaphysique.
Histoire d’os
Après les femmes, les trains, les architectures mystérieuses, un autre thème prend une place importante dans son œuvre : les squelettes. Son attirance pour ces os remonte à l’enfance. A l’école, il observait longuement le bonhomme en os accroché dans la salle de musique. C’est vrai qu’une tête de mort a largement de quoi impressionner un gamin. Or, en 1932, un squelette est présent dans une attraction foraine à la foire du Midi à Bruxelles. C’est le choc. Il faut aussi citer les œuvres de James Ensor, que Delvaux découvre dans les années 30. De 1934 à 1950, l’artiste peint de nombreux squelettes. Mais ils ont une particularité : ils sont très vivants... Delvaux va encore plus loin, il revisite des scènes religieuses (crucifixion, mise au tombeau etc..), en remplaçant les personnages par des squelettes. Evidemment, cela ne passe pas inaperçu... Ce tableau a été peint en 1944, la guerre a déjà fait bien des ravages et la mort fait désormais partie du quotidien, Delvaux ne l'ignore pas... Mais pour lui, surréaliste, le squelette est toujours vivant, il est même le vrai résumé d'un être humain : des os et, au début, un peu de viande autour... Le squelette est aussi celui qui incite à une certaine sagesse, il est donc extrêmement intéressant...
Tout feu, tout flamme
En 1935, le peintre réalise une œuvre curieuse : "L’incendie". Une femme de dos, à côté d’un rideau rouge théâtral, regarde des flammes dévorer un bâtiment.
En réalité l’œuvre est un diptyque, la deuxième partie, intitulée également "L'Incendie", représente une femme nue debout, de face et les bras en l’air. Elle est entourée de deux chaises rouges, exactement de la même couleur que la robe de la femme de dos ci-dessus.
Les deux volets de cette création, ont été présentés côte à côte pour la première fois en 2014, au musée d’Ixelles, à Bruxelles. A Evian, c’est donc la deuxième fois. En réalité, ces deux œuvres n’en feraient qu’une, Paul Delvaux l’aurait donc découpé en deux parties. Pourquoi ? La réunion de ces deux toiles, longtemps séparées, est donc une belle surprise.
Renoir et Modigliani
Deux peintres auraient influencés, dès ses débuts, Delvaux : Modigliani pour ses visages allongés, et Pierre Auguste Renoir qui aurait dirigé son attention vers la nature humaine. Mais je crois qu’il ne faut pas exagérer les influences extérieures sur le travail, si singulier, de Delvaux. Il a mis beaucoup de temps à se trouver. Il n’a pas hésité à détruire certaines de ses œuvres. Il est passé, peu de temps, par le fauvisme et l’impressionnisme, mais il a su s’en s’éloigner et se servir de sa vie pour construire une œuvre très personnelle, et très (trop ?) intellectuelle. Cette exposition le prouve : avec Paul Delvaux, la poésie est devenue peinture... Sur la route des vacances, si vous passez par Evian...Ça coule de source...
Palais Lumière : Quai Albert Besson, 74500 Evian
Tous les jours de 10h à 19h
Entrée : 10 euros