Cette année encore, la Fiac s'empare de Paris jusqu'au 22 octobre 2017 : Grand Palais, Petit Palais, Avenue Winston Churchill, Jardin des Tuileries, Place Vendôme, Musée Delacroix. La foire propose également un festival de performances et de danses contemporaines. Un vent de création souffle sur Paris. Une Fiac 2017, très éclectique et très internationale. Visites
Cette femme, de dos, à l’abondante chevelure rousse, dans son éternel manteau noir, qui se promène dans le jardin des Tuileries, est Jennifer Flay, la papesse de l’art contemporain, la reine de la Fiac. En quelques années, elle a fait de la Fiac une des grandes foires internationales artistiques, capable d’accueillir les plus belles galeries et les grands collectionneurs.
1 : Onde de choc
Ce jour-là, Jennifer Flay fait une dernière inspection de la Fiac-Hors les murs et elle jette un dernier coup d’œil aux nombreuses œuvres qui ont pris place dans le célèbre jardin, bien connu des parisiens. En ce qui me concerne, une fois n’est pas coutume, je décide de commencer ma visite de la Fiac 2017 par le jardin des tuileries, dont la visite a l’énorme avantage, pour le public, d‘être gratuite. Je passe devant deux grandes bâches, une rose et une grise, d’un peintre que j’adore : Claude Viallat, le champion du pochoir en forme de haricot. Mais je trouve ces deux œuvres, sur la rampe d’accès du Musée de l’Orangerie, un peu tristounettes. Je continue quelques mètres et découvre une onde choc métallique, réalisée par Florent Pügnaire, né en 198O, et David Raffini, né en 1982. Ces deux niçois ont posé 24 plaques de tôle sur des rails de chemin de fer. Chaque partie métallique a été courbée, progressivement, grâce à une presse hydraulique. Cette installation est aussi un hommage au cinéma et ses 24 images secondes. L’installation, à taille humaine, reflète le paysage et les promeneurs, elle jongle avec le soleil et dégage une belle impression de douceur. En réalité, c’est l’image d’une seconde, d'une déflagration progressive, d'une distorsion poétique. Plus je la regarde, plus je la trouve belle, généreuse et en plus je pense qu’elle a trouvé sa place. Je suis prêt à signer une pétition pour qu’elle reste sur place, après la Fiac.
Un peu plus loin, j’aperçois Jennifer Flay en compagnie du grand artiste américain Jim Dine, petit bonhomme barbu, de 82 ans, qui passerait totalement inaperçu dans le métro. Peintre et sculpteur, Jim Dine est internationalement connu pour ses toiles représentant des coeurs ultra colorés. Aujourd'hui, il présente son nouveau travail.
2 : Poterie et poésie
Pour cette Fiac, Jim Dine a conçu dix vases en argiles, surmontés d’outils en bronze. L’artiste est un grand collectionneur de céramiques et il a été influencé par les formes des vases africains et les poteries du village de Vallauris, dans le sud de la France. Je trouve que ces oeuvres ci-dessous, dégagent à la fois un sentiment de fragilité et une impression de force. Chacun d’eux pèse 250 kilos. A la manière d’un tag, l’artiste a écrit dessus un poème en hommage à Claude Levy-Strauss. Cette grande installation est le fruit d’un travail d’un an, en collaboration avec la manufacture de Sèvres. Elle est une réflexion sur le pouvoir des mots. Jim Dine est né en 1935 à Cincinnati, il vit et travaille à Paris et Walla Walla (Etat de Washington, USA). Je passe d’un vase à un autre, il est évident que ces objets sont aussi un exercice de mémoire et une belle preuve de multiculturalisme.
3 : Un musée sans bâtiment
Comme l'an dernier, et c’est une très bonne idée, le Petit Palais participe pleinement à la Fiac et installe des œuvres contemporaines parmi ses collections et dans son magnifique Jardin. En reconstituant l’ensemble entre les deux palais et l’avenue Winston Churchill, la Fiac nous permet de retrouver la configuration de la Belle Epoque et l’atmosphère de l’Exposition Universelle. Quand j’arrive devant le Petit Palais, j’aperçois l'installation en cerceaux colorés de Yona Friedman, artiste hongrois né 1923. Aujourd’hui, il vit à Paris. Ce travail artistique peut se développer à l’infini, comme une chaîne sans fin. Le public est invité à participer, en accrochant sur la structure, la photo d’un œuvre d’art qu’il aime bien. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour faire venir les promeneurs à la Fiac… Yona Friedman plaide pour un musée sans bâtiment et il a édifié en 2016 une « Sumer Hause », aujourd’hui installée devant le château de Windsor. Il est le roi du hula hoop artistique et, devant le Grand Palais, cela ne passe pas inaperçu.
4 : L'oeuvre au noir
Je m’arrête un instant devant l’étonnant tapis d’Otobong Nkanga, artiste née au Nigéria en 1974. Sur une tapisserie, la créatrice a écrit un de ses poèmes, mais tout à coup, de l’encre vient envahir le tapis grâce à un processus de contamination chromatographique. Avec la poésie qui s’efface petit à petit, Otobong Nkanga nous met en garde contre son extrême fragilité dans un monde qui ne veut plus, ou ne sait plus, la regarder.
5 : Le temps transparent
Je découvre une très belle installation de Fabrice Samyn à la galerie belge Meessen de Clerq. Ce sont douze cônes de verre, pesant 25 kilos chacun. Ils forment un dégradé bleuté et joue avec la lumière du jour. Ils symbolisent les douze mois de l’année, le jour, la nuit, mais aussi la fertilité. Ils sont le fruit d’une longue recherche. Je ne me lasse pas de les regarder.
L’an dernier, j’avais été très enthousiasmé par l’exposition-Fiac du Petit Palais. En 2017, je suis beaucoup plus réservé. Les œuvres n’occupent pas assez le grand hall et la plupart d’entre elles ne déclenchent ni débat, ni séduction. Le plus intéressant, ce sont les magnifiques photos d’Andres Serrano, en plein milieu des collections du Petit Palais. Le mariage est aussi réussi que surprenant.
6 : Un vide bien plein
Parmi les 193 galeries installées sous la verrière, on compte un quart de marchands français. Les nord-américains représentent un fort contingent, mais cette année l’Amérique du sud est également présente (galerie Mendes Wood DM de Sao Polo ou Casas Riegner de Bogota). L’Egypte, les émirats et une grande partie de l’Asie sont bien représentés. Pour la première fois, une galerie tunisienne participe à la foire. Je décide donc de m’y rendre. Pour cela, je dois gagner le premier étage, c’est là que sont exposées les galeries émergentes, dans et autour du salon Jean Perrin, inauguré l’an dernier. J’y suis, le stand de la galerie Selma Feriani présente les dessins, plein de finesse et de malice de Massinissa Selmani. Dans les dessins de Selmani, que j'ai déjà eu l'occasion de voir, le mouvement et le vide sont toujours très importants. Ici, un homme politique parle dans un micro, il est en chaussettes alors que, derrière, quatre hommes portent religieusement une chaussette sur un plateau. Comprenne qui pourra. Selmani adore illustrer l'art de l'absurde et s'en servir pour critiquer, plus violemment qu'il n'y parait, notre société contemporaine.
7: L'art de l'araignée
Une surprise m’attend à la galerie berlinoise Esther Schipper. L’artiste Thomas Saraceno a fait travailler trois araignées dans une petite cage de verre. A l’arrivée, il a obtenu un nuage en suspension très étrange et très poétique, un bel hommage à la nature. Mais il a également transformé tout le stand de la galerie en une immense toile d‘araignée, formée d’un dessin, de miroirs et de nombreux câbles et filins : surprenant.
8 : Pieta et portables
A la galerie Dvir (Israël), je passe devant un magnifique dessin représentant un homme qui marche, d’un artiste que j’aime beaucoup : Abdel Abdessemed. Voir les œuvres, parmi cette foule, devient assez compliqué mais je réussi à admirer cette étonnante piéta chez Air de Paris. J’approche et je vois qu’elle est constituée d’une multitude de dessins de portables. Alors là... Voici l'explication : lors d’un voyage en Italie, l’artiste Thomas Bayrle s’est rendu compte que les touristes ne regardaient les oeuvres d’art qu’à travers leurs portables, alors il a réalisé cette piéta de Michel Ange pour critiquer cette obsession de la photo. Thomas Bayrle est considéré comme le roi du Pop art allemand. Je trouve que cette toile est d’une incroyable modernité.
9 : Prendre le temps
Sur le stand de la galerie Fabienne Leclerc, je rencontre un jeune artiste de 31 ans : Vivien Roubaud, il fait exploser des grandes vitres sur lesquelles il a placé de l’encre. Ce jeune homme travaille aussi sur le temps long, en opposition à notre société du zapping. Il est proche d’un chimiste ou d’un physicien. Il crée des stalactites et observe leurs progressions. Son travail nous renvoie à nos racines, à la nature, à la vie dans les grottes, à la création du monde. Je regarde son oeuvre et j'attends la goutte d'eau.
1O : L'or du temps
A la célèbre galerie Thaddeus Ropac, je regarde longuement ce beau tableau de Robert Rauschenberg. C'est un jeu de matière et de métal terni : une belle allusion aux temps qui passe. La couleur or renvoie aux icônes et à la notion d'histoire. C'est curieux, mais cette oeuvre me fait aussi penser aux paravents et à la peinture chinoise classique. Quoiqu'il en soit, c'est une très belle oeuvre abstraite. Rauschenberg est considéré comme le plus grand peintre américain. Il a commencé par illustrer l'Enfer de Dante et par réaliser de nombreux collages.
11 : Le retour du design
Le design fait son retour à la Fiac avec cinq galeries françaises parmi les leaders de la profession. La Fiac a été la première foire au monde a créé un secteur design en 2004. Depuis de nombreuses foires internationales ont suivi cet exemple. Il était donc normal que la Fiac revienne au design. Chez Jousse entreprise je découvre ce bel ensemble de Jean Prouvé, célébrissime concepteur et constructeur de bâtiment, champion de la façade simple et légère, spécialiste du siège en tôle pliée. Roi de l'épuration.
13 : L'art olfactif
Face au Palais de Tokyo, une autre œuvre poétique attend le visiteur, la maison Cartier y dévoile son premier Osni (objet sentant non identifié). Une société allemande, Transolar, pionnière en ingénierie climatique, a réussi à mettre au point un système de contrôle de l’air qu’elle peut ensuite assembler en strates, afin d’obtenir un nuage en suspension. Et dans ce nuage, la créatrice de parfum Mathilde Laurent propose une expérience olfactive, teintée d’onirisme. Un escalier qui ne mène nulle part, dans une cage de verre, la tête dans les nuages et le nez tout excité, voilà ce qui attend le visiteur. En 2017, l’art de l’odeur est né. A suivre.
Contrairement aux années précédentes, il n’y a pas, dans cette Fiac 2017, de thème général, ça part vraiment dans tous les sens et toutes les techniques. L’art contemporain est donc à l’image de notre société : complexe et diverse. Cette Fiac, très internationale, offre un magnifique panorama de la création artistique mondiale. J’ai remarqué, lors de cette visite, que de plus en plus artistes utilisent la couleur or. Les créateurs veulent-ils s’approprier la couleur qui symbolise la réussite ? Ce serait une façon de nous rappeler que l’art est une vraie valeur et que la création artistique est une très grande richesse pour une société. Une fois encore, la Fiac a réussi son pari de tenir tête face à la concurrence de Bâle, Londres ou New York. Est-ce qu’on se rappellera longtemps cette édition 2017, ça c’est moins sûr…