Le musée du Jeu de Paume présente, jusqu'au 21 janvier 2018, à travers l'exposition "Les Choses", l'oeuvre monumentale du photographe allemand Albert Renger-Patzsch. Il a joué un rôle important dans l'histoire de la photographie. 40 ans de travail et d'observation sur de multiples thèmes et genres photographiques. Renger-Patzsch renouvelle le réalisme photographique et nous invite à réfléchir sur le potentiel artistique de la photographie. Visite.
Renger–Patzsch, ce nom ne vous dira peut-être rien, mais ce photographe a été déterminant dans l’affirmation du rôle de la photographie dans l’art moderne. Grâce à son œuvre, aussi simple que diverse, il a montré que la photographie des années 1920-30 était capable de proposer un nouveau type d’image, en accord avec le développement de l’industrialisation, qui a marqué cette époque. Le travail d’Albert Renger-Patzsch, très soucieux du moindre détail, a influencé de nombreux photographes et cela est encore vrai aujourd’hui. De plus, Renger- Patzsch, très connu en Allemagne, est l’auteur d’un livre, considéré comme une étape importante de l’histoire de la photographie : Die Welt ist schön (Le monde est beau). Pour toutes ces raisons, je file au Jeu de Paume, pour le vernissage presse de l’exposition consacrée à ce grand photographe : un événement.
Le spécialiste du gros plan
Comme toujours au musée du Jeu de Paume, de nombreux journalistes ont répondu présent et cela commence par un discours très officiel, un peu long. Bon, passons aux choses sérieuses… Renger-Patzsch est né le 22 juin 1897 en Bavière, son père tient un magasin de musique et d’art. En 1921, il interrompt des études de chimie, pour devenir photographe. Dans ses premiers clichés, l’artiste s’intéresse de très près à la nature. J’observe cette fleur, le style de Renger-Patzsch saute aux yeux tout de suite : réalité, clarté, précision. En réalité, le savoir-faire technique et poétique du photographe, incite le visiteur à intensifier son ressenti face à la réalité. L’artiste est tellement précis, qu’il bouleverse nos perceptions, sur des choses que nous connaissons tous. Il nous fait réellement, avec une grande sensualité, rentrer dans l’intimité de cette fleur, à tel point qu’on pourrait croire à une image scientifique. Pas étonnant, car Renger-Patzsch recherche une hyper-objectivité, une « réalité plus », un style documentaire parfaitement assumé. Je remarque aussi que, dès ses débuts, l’artiste privilégie ce qui deviendra sa marque de fabrique pendant longtemps : le gros plan.
Un souci de précision
Albert Renger-Patzsch ne se passionne pas seulement pour la nature, il regarde aussi ses semblables. En 1927, il photographie de nombreux portraits, activités quotidiennes et paysages d’îles situées sur la côte nord de l’Allemagne. Il montre les métiers traditionnels, face à la modernisation grandissante. Je regarde ce tirage. Il prouve le souci de précision dans la composition. L’oblique du filet rompt avec la ligne de l’horizon et la femme opère une légère torsion du corps, qui ôte toute rigidité à la photo. Cette femme de dos, qui sera bientôt prise dans les filets du monde moderne, est aussi digne qu’une statue antique, sa fierté est évidente, et belle.
Nature et industrie
Cette photo, que je trouve très étonnante pour l’époque, est publiée dans son livre le plus important : « Le monde est beau », en 1928. Cette œuvre est assez révélatrice des obsessions de l’artiste : se servir de la photographie pour créer une nouvelle image et surtout essayer de montrer l’essence des objets. Mais ce cliché souligne également son souci de dresser un pont entre nature et société, il veut absolument faire un lien entre le monde naturel et la galaxie de l’industrie moderne. Ici, ces truelles, objets manufacturés, se dressent comme les sapins d'une forêt.
Zone oubliée
En 1929, Renger-Patzsch, s’installe dans la Ruhr, une région très industrielle. Désormais le photographe s’intéresse aux zones industrielles, situées à proximité des villes. Le style du créateur change complètement, le cadrage s’élargit. Ce travail dans la Ruhr, il le poursuit jusqu’en 1935. Ici, les petits personnages qui marchent se marient parfaitement avec les poteaux blancs. Je remarque qu’il s’agit probablement d’un territoire situé entre ruralité et urbanisme, une sorte de no man's land moderne, ce qui n’exclut pas un certain mystère.
Entre deux mondes
C’est encore plus vrai sur ce cliché, dans lequel deux réalités s’opposent. A gauche, la petite maison, très traditionnelle, à droite, les cheminées fumantes des usines. Le petite route, qui donne la profondeur de champs, conduit l’œil du visiteur d’un monde à l’autre. J’observe cette photo, c' est une sorte de collage d’éléments disparates et ce paysage, sous la neige et la brume, pourrait être l’illustration des années 30 : un monde qui s’endort dans l’indifférence générale et un autre qui se réveille avec fracas, entraînant avec lui le culte de l’argent. Mais l’artiste a une posture complexe, s’il respecte la vie traditionnelle, il n’est pas du tout opposé à l’industrialisation. Je reste longtemps devant ce cliché, il est plein de non-dits et de silence.
Une nouvelle vision des usines
Depuis les années 1920, Renger-Patsch répond à de nombreuses commandes pour des architectes ou des entreprises. Il est même considéré, aujourd’hui, comme un des pères de la photographie d'architecture industrielle, et certainement le plus important. Dans ces travaux, il montre son souci de méticulosité dans la composition. J’observe ces cheminées d'usine. Ces colonnes me font penser à la grande colonnade du temple de Karnak en Egypte. Elles en ont la beauté et la majesté. Avec Renger-Patzsch, l’usine devient un œuvre d’art, à part entière.
Le sens de la composition
Dans cette œuvre, il joue sur les lignes et les ombres avec une précision hallucinante. Les bâtiments se transforment en une formidable œuvre abstraite, avec un jeu de verticales et d’horizontales, que vient contrarier la diagonale de l’ombre : du grand art.
Découvrir la beauté des objets
Pour rendre hommage au monde moderne, l’artiste installe huit flacons sur une surface réfléchissante, en plaçant le point le plus net, sur le petit flacon au centre. Grâce à cette technique, l’observateur a l’impression que les objets flottent. Je note l’extrême douceur de la lumière. Cette image fait partie d’une commande pour une entreprise. En regardant cette photo, je comprends comment le photographe allemand a pu influencer le monde de la publicité. Avec ces flacons en verre, le créateur nous apprend à regarder les objets et à découvrir leur beauté.
Premier plan
Lors de la seconde guerre mondiale, toutes les archives de Renger-Patsch sont détruites. Renger-Patzsch et sa famille s’installent dans une zone rurale. L’artiste a une folle envie de calme et de nature. Cet arbre, ci-dessous, est au centre du tirage. Contrairement à ce qui se fait dans un paysage, l’élément le plus important est donc vertical, belle marque d'audace. Ce végétal sans feuille impose sa frêle silhouette. Derrière : un jeu de lignes courbes et droites, qui décrivent une nature à perte de vue.
Mélancolie naturelle
J’adore cette forêt, dont les arbres ont des allures d’arrêtes de poisson, ils s’opposent à la douceur de la neige. Une fois encore, c'est la confrontation entre deux univers… Ces arbres sont aussi le symbole d’une vie après la folie de la guerre... J’ai aussi l’impression que l’artiste a réussi à photographier le froid.
Le temps des pierres
A la fin de sa vie, le photographe s’intéresse de très près la géologie. Il voyage en France, en Norvège, en Irlande, en Italie, en Suède, en Allemagne, dans le seul but de rechercher des pierres à photographier. Sur ces photos, les roches deviennent, dans la partie basse des tourbillons, et dans la partie haute des architectures. Les écrivains Ernst Jünger et Heinrich Böll étaient particulièrement admiratifs des travaux artistiques géologiques d’Albert Renger-Patzsch. Je regarde ce cliché et une fois de plus j’ai l’impression que c’est l’âme de la pierre que vous nous montrer l’artiste. C'est donc aussi une belle réflexion sur le temps. J’ai le sentiment de regarder une gravure, sombre. Le 27 septembre 1966, après avoir reçu de nombreuses récompenses, Renger-Patzsch meurt à Wamel, aux Pays-Bas.
Jamais Renger-Patzsch n’a différencié l’accessoire de l’essentiel, et ce faisant, il est un formidable professeur pour nous apprendre à regarder la nature et les objets. Si vous aimez la photographie, courez-y.
Jeu de Paume : 1 place de la Concorde, 75008 Paris
Mardi (nocturne) : 11h à 21h
Mercredi à dimanche : 11h à 19h
Entrée : 7,50 euros