Le Palais de Tokyo donne carte blanche, jusqu'au 07 janvier 2018, à la jeune artiste Camille Henrot. L'occasion de découvrir ses oeuvres éclectiques et très originales. Cette créatrice s'intéresse particulièrement à notre rapport à la dépendance, quelque soit sa source. Visite
Lors de la dernière Fiac, j’ai remarqué que plusieurs galeries présentaient le travail de Camille Henrot. Elle est même représentée par la célébrissime galerie Kamel Mennour, c’est dire si elle est tendance. Son parcours artistique est désormais connu dans le monde entier, d’autant qu’elle vit à New York. En 2013, elle remporte le Lion d’argent de la 55e biennale de Venise, temple de l’art contemporain d’avant-garde. Depuis dix ans, le Palais de Tokyo soutient ses créations. Aujourd’hui elle présente son exposition « Days are dogs » (journées de chien). En anglais, cette expression désigne les jours de fatigue. La présentation au Palais de Tokyo se déroule en sept parties, chacune désignant un jour de la semaine. Mais Camille Henrot se réfère à la mythologie : la Lune pour lundi, Mars pour mardi, Mercure pour mercredi, Jupiter pour jeudi etc. « J’explore le concept de la semaine en tant qu’invention humaine… La semaine nous rassure en ce qu’elle a de prévisible et nous inquiète en ce qu’elle crée un certain nombre d’obligations » tient à préciser Camille Henrot. L’artiste analyse surtout nos dépendances quotidiennes, nos frustrations, nos obsessions, nos petites victoires, notre routine, nos soumissions, y compris sexuelles. Et oui, le sado-maso, Camille adore… Ce qui passionne Camille Henrot, ce sont les rapports sociaux et politiques qui se cachent derrière « des vies de chien ». Le chien étant un être qui subit, ou fait semblant. Tout cela a l’air bien intriguant, alors je décide d’y aller faire un tour, d'autant que le Palais de Tokyo est toujours un lieu étonnant.
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Palais de Tokyo, vue de l'entrée. Ariane Salasa communication
Une journée de spleen
Le lundi, c’est bien connu, c’est un peu difficile pour tout le monde. Il faut à nouveau épouser le système et son mode d’emploi. La phase de liberté du week-end est terminée. Camille Henrot illustre ce jour, si particulier, en créant un studio d’artiste maniaco-dépressif : chevalets et sculptures jonchent le sol. Pas de doute, lundi c’est spleen, et l’angoisse existentielle occupe l’espace et l’esprit. Mais c’est l’occasion, pour moi, de mieux découvrir les sculptures de Camille Henrot. Là, j’ai un choc, je les trouve aussi réussies qu’originales. C’est un univers très personnel et un savoir-faire technique, très intéressant. Pas de doute, Henrot est bien celle qui secoue le gros cocotier, en or, de l'art contemporain. La sculpture au premier plan me rappelle une œuvre de Miro, vue à la Fondation Maeght. Je les trouve toutes particulièrement séduisantes et sensuelles, sans oublier une bonne dose de dérision et de nostalgie.
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Camille Henrot : Vue de l'exposition Monday, Fondazione Memmo, Rome 2016. Photo Daniele Molajoli. Courtesie de l'artiste / Adagp, Paris 2017
Dépression
Ce corps, à moitié homme, à moitié animal, allongé sur le sol dans un geste de tristesse est on ne peut plus expressif. C’est aussi, pour Camille Henrot, une manière de rappeler que de nombreux artistes ont travaillé dans leur lit : James Joyce, Proust, Henri Matisse, Frida Khalo etc. En réalité, le lundi serait lié au sentiment artistique et à la peur de l’échec, une obsession chez les artistes. Je remarque la petite roue, qui tombe là comme un cheveu sur la soupe, mais apporte une note de fantaisie bienvenue.
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Camille Henrot : Derelitta, 2016. Bronze, aluminium, fer. 60 cm x 250 x 121. Photo Daniele Molajoli. Courtesie de l'artiste / Adagp, Paris 2017
Le temps des pleurs
Je fais quelques pas et découvre cette fresque. Décidément, le lundi, ce n’est pas drôle. Je retrouve le style Camille Henrot : une ligne très simple pour une œuvre très dépouillée, mais forte. Beaucoup de collectionneurs apprécient.
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Camille Henrot : A Long Face (détail), 2016. Fresque, 423 cm x 400. Photo Daniele Molajoli / Courtesie de l'artiste / Adagp, Paris 2017
Au combat
Le mardi, on s’est remis du coup de mou du lundi et on est prêt à affronter le monde, y compris avec une certaine agressivité. C’était déjà vrai sous le règne d’Arès. Camille Henrot a donc installé, dans une pièce gigantesque, des tapis de sport de combat (Jiu Jitsu). Ils sont en mousse très épaisse et les visiteurs sont invités à se déchausser, pour marcher dessus. D’après l’artiste, le mardi est pour le couple le moment des tensions, de l’amour vache, y compris en passant par le sado-maso puisque c’est le truc qui passionne Camille Henrot. Son installation est donc à base de chaînes, rappelant le jeu du tir à la corde, illustration parfaite d’une tension. Ces chaînes torsadées expriment selon l’artiste : « Des corps enfermés l’un par l’autre ». L’ensemble de cette grande mise en scène, symbolise tous les types d’abus de pouvoir, il représenterait la chambre d’une jeune fille se faisant faire une tresse, c’est aussi un rappel de la douleur ressentie par les petites filles, quand leurs mères tirent leurs cheveux pour réaliser des tresses à l'africaine. Le plaisir et la douleur ne sont jamais loin.
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Camille Henrot : Tug of war, 2017. chaînes en métal et plastique, pneus en caoutchouc, cordes, structure métal et bois, matelas de Jiu Jitsu, 225 cm x 1800 x 300. Photo Jorit Aust / Courtesie de l'artiste / Adagp, Paris 2017
Réchauffement climatique
Mercredi est le jour de la transmission, mais aussi de la famille. Camille Henrot traite des non-dits et des zones d’ombres familiales en exposant plusieurs aquarelles sur papier, traitant du thème des abus de pouvoirs familiaux. Je regarde un ours qui mange son petit, œuvre réalisée à partir d’une photo trouvée sur Internet. C’est aussi pour l’artiste une façon d’aborder le thème du réchauffement climatique. En effet, l’ours dévore son petit parce qu’il ne trouve plus assez de poissons. De toute façon, chez Camille Henrot, il y en a toujours un qui mange l’autre...
Hyperconnexion et réaction
J’entre dans une grande salle remplie de feuilles de papier au sol. Ce sont des réponses à des mails ou à des spams, envoyés par des robots. La créatrice dénonce la fausse familiarité de ces robots qui envahissent la toile. Alors Camille Henrot a inventé un personnage fictif et répond aux nombreux mails. Ses réponses couvrent le sol et un mur. « Dans une boîte mails, tout est reçu au même niveau, c’est à l’homme de faire la hiérarchisation », affirme l'artiste.
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Camille Henrot : Office of Unreplied Emails. Impression sur silicone, dimensions variables. Photo Roman Maerz / Courtesie de l'artiste / Adagp, Paris 2017
La voix
Cette invasion de sollicitations et d’informations, nous rendrait plus ou moins hypnotique. Pour le souligner, Henrot crée un manège stéréoscopique, avec des petits personnages, pour retrouver cette sensation de fascination. Je le regarde, il tourne et clignote si vite, qu’il en devient vite addictif. Je poursuis ma visite, de nombreux téléphones sont accrochés aux murs. Le visiteur est invité à décrocher pour recevoir un message. Ce sont des appareils fixes. Pour l’artiste, c’est une façon de souligner la disparition du téléphone fixe, laissant la place au portable, beaucoup plus intrusif. Pour certains, c’est même une drogue. Allez, je me lance, je décroche et j’entends : "Est-ce que vous avez remarqué quelque chose ? Avez-vous donné de l’argent à un SDF ?" Il y a aussi un téléphone spécial pour se plaindre, ça peut servir. Les téléphones aussi sont donc concernés par la notion de rapport au pouvoir. A travers les emails, les horoscopes, les portables, les réseaux sociaux, nous aurions inventé de quoi nous faire manger. Voilà de quoi réfléchir, entre deux appels...
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Camille Henrot : Splendid Isolation, 2015. Résine coulée, composants vidéo et téléphonique, 3-,5 cm x 49,2 x 5,7 (téléphone). Courtesie de l'artiste / Adagp, Paris 2017
Le rôle du père
En vérité, nous attendons beaucoup de nos téléphones portables, nous voulons une réponse tout de suite, un peu comme un enfant quand il interroge son père. Et nous sommes vite frustrés. C’est pourquoi Camille Henrot, dans cette aquarelle, imagine un père tyrannique, à la fois pilier de l’éducation, mais aussi symbole de toute forme d’autorité. C’est une belle œuvre, au trait très sûr. Son illustration de la famille en laissera peut-être certains songeurs.
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Camille Henrot : Single Parent (série Bad Dad) : Aquarelle sur papier monté sur Dibond. 150,8 cm x 237,2. Courtoisie de l'artiste / Adagp, Paris 2017
Grasse matinée et spiritualité
Le dimanche est le jour de la grasse matinée, du ménage, mis aussi de la spiritualité. En restant chez nous, nous cédons à des rituels profanes. Mais ce jour-là, il nous faut aussi nourrir notre âme. La fleur que nous achetons ou recevons, serait le symbole d’une résistance au monde ultra technologique, dans lequel nous avons plongé pendant la semaine. Dans cette installation, volontairement foutraque, Henrot s’intéresse à la mise en ordre de l’espace, mais aussi à l’accumulation de principes, de codes, qui se superposent et envahissent nos vies.
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Camille Henrot : Vue de l'exposition The Pale Fox, Westälischer Kunsterein, Münster, 2014-15. Courtoisie de l'atiste / Adagp, Paris 2017
La force de la boue
Il s’agit d’une carte blanche, Camille Henrot peut donc inviter d’autres artistes, dans le cadre de son exposition. Je regarde cette photographie. L’opposition entre les chaussures vernies et la boue est évidente. Un jour ou l'autre la boue touche tout le monde... Maria Loboda est photographe, née en 1979 à Cracovie, elle vit de façon nomade et s’inspire d’objets disparus, de sciences occultes ou du folklore. Elle a déjà exposé au Palais de Tokyo en 2012. Elle travaille sur plusieurs médiums : photographie, sculptures, installations, textes. Ce tirage occupe, au sous sol, le ventre du Palais de Tokyo.
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Maria Loboda : The Evolution of Kings, 2017. Impression digitale sur papier coton Hahnemühle, 100 cm x 150. Courtoisie de l'artiste et de Maisterravalbuena (Madrid)
Spiritualité urbaine
Samara Scott est anglaise, née en 1985 à Londres. Elle crée des assemblages à base de matériaux divers : objets jetés, débris, plantes, boissons, cosmétiques, qu’elle choisit avec attention. Elle imagine des installations évoquant la vie urbaine, sa diversité, mais aussi sa fragilité. Elle veut créer une « spiritualité urbaine ». Techniquement, elle joue avec une superposition de couches et de transparences. Ces objets, prisonniers, mais qui semblent flotter en apesanteur, sont une critique de notre société de consommation. De plus, elle nous confronte à notre intimité quotidienne, les produits que nous utilisons tous les jours et qui nous révèlent. Je note le bel assemblage des couleurs et le dynamisme de la composition...
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Samara Scott : Lonely Planet 2, Frieze Londres, 2015. Acier inoxydable, eau, matériaux divers. Courtoisie de l'artiste et The Sainter Painter (Londres)
Si Camille Henrot, et ses amis, soulignent nos difficultés, nos lassitudes, ils mettent aussi en avant notre grand attachement à une vie digne et forte. Encore faut-il pour cela avoir le courage de se débarasser des règles. J’ai surtout remarqué son talent pour créer un vrai dialogue entre le visiteur et l’œuvre, même si, parfois, c’est un peu difficile à suivre. Cette exposition, curieuse, est à découvrir. En ce qui me concerne, j’ai été particulièrement sensible aux sculptures de Camille Henrot. Si vous voulez réfléchir sur votre « vie de toutou »…
Palais de Tokyo : 13 avenue du Président Wilson, 75116 Paris
Tous les jours de midi à minuit, sauf mardi
Entrée : 12 euros