Le Musée de la Chasse et de la Nature présente jusqu'au 01 juillet 2018, une exposition du célèbre peintre, graveur et sculpteur, Gérard Garouste. Cette présentation intitulée "Zeugma, Diane et Actéon" revisite un texte d'Ovide, qui traite du désir et de la capture. Une présentation haute en couleurs et en symboles. Visite
Qui dit mieux ? Trois expositions Garouste, à Paris, en ce moment : une aux Beaux-Arts sur le thème de la Divine Comédie de Dante, une à la galerie Templon à propos du Talmud et une au Musée de la Chasse et de la Nature, autour du mythe de Diane et Actéon. C’est ce musée qui ouvre le bal, c’est donc là que je me rends. En réalité, cette première exposition fait suite à la commande du musée, d’un tableau sur la rencontre entre la belle Diane et le chasseur Actéon, mythe relaté dans ses Métamorphoses, par le poète latin Ovide (43 av JC). Le peintre a réuni les trois expositions, sous le même titre : Zeugma (plusieurs éléments avec des significations différentes dans la même phrase, pouvant déclencher un effet comique). Niché en plein milieu du Marais, le Musée de la Chasse et de la Nature est un endroit hors du temps, que je vous recommande, car on y cultive, avec raffinement, une singulière étrangeté.
Le sens du texte
Garouste est un artiste très célèbre. Ses problèmes psychiatriques, antérieurs, ont passionné, en leur temps, les médias, et lui même en a parlé dans son beau livre "L'intranquille". C’est un artiste qui peint à l’ancienne et qui s’inspire très souvent d’un texte religieux ou littéraire. Son imagination est débordante. Ses toiles séduisent autant qu’elles dérangent. Je suis curieux de savoir si cela est encore le cas, pour cette exposition « Zeugma, Diane et Actéon ».
L’homme au sac à dos
J’attends cinq minutes dans la cour du musée, en compagnie de quelques collègues. Soudain, il arrive. Il est coiffé d’un petit chapeau à la Rimbaud, porte des petites lunettes d’instituteur, une de ses mains est couverte de grosses bagues en or et il est vêtu d’un imperméable sorti tout droit d’un polar des années 60. Il porte également un gros sac à dos dont je serais bien curieux de savoir ce qu’il contient : des carnets pour faire des croquis ? Des livres ? Une bible ? Le regard, lui, hésite entre l’empathie et une étrange absence… Il nous invite à passer dans la grande salle d’exposition, où il commence à donner quelques explications.
Les dangers de la beauté
Selon la mythologie, le chasseur Actéon vient de tuer plusieurs animaux. Il est un peu enivré par le sang qui coule autour de lui, et va se reposer dans la forêt. Là, il tombe sur Diane, prenant son bain. Très intéressé, Actéon observe la beauté de la déesse, avec insistance. Elle s’en rend compte et arrose le voyeur. Il se transforme immédiatement en cerf, et ses propres chiens le poursuivent avant de le dévorer. Une façon de dire aux hommes que l'obsession de la beauté des femmes n’est pas sans conséquence, telle est la leçon mythologique.
Des dieux au-delà du bien et du mal
Ce mythe a de quoi passionner. A propos de l’idolâtrie de la beauté, Garouste précise : « L’artiste aussi veut s’approprier la beauté et la retransmettre, d’ailleurs le sujet de Diane et Actéon est très présent, depuis la Renaissance, dans la peinture ». Mais Garouste réinterprète, à sa façon, la scène mythologique. Dans ce tableau, j’aperçois un autoportrait de Garouste à gauche, et sa femme, à droite. Voilà qui intéresserait probablement un psy… Mais je me contente de regarder le tableau et d’écouter l’artiste : « J’ai voulu dire que les dieux sont au-delà du bien et du mal, à la différence des hommes ». Il est tout de même curieux que Garouste, qui ne mange pas de viande et se prononce contre toute atteinte à une vie animale, s’empare d’une scène de chasse. En réalité, il faut prendre le mot chasse au sens métaphysique et symbolique et s’éloigner de l’image du chasseur avec son gros canon. Pour l’artiste, Actéon symbolise l’homme, sa méchanceté, sa bestialité. Il en fait un autoportrait, car « c’est quelqu’un qu’il n’aime pas du tout »…
La force du mythe
Il y a aussi une autre raison pour laquelle le peintre s’intéresse si souvent aux mythes : « Je vois plus de vérité dans l’interprétation d’un mythe que dans l’histoire, je ne crois pas aux historiens ». J’approche pour regarder cette grande toile de plus près. Je suis frappé par la beauté des coloris et par la différence de technique de peinture, entre Diane et Actéon : des coups de pinceaux rapides et tremblants pour le célèbre chasseur et une peinture beaucoup plus apaisée pour la déesse de la chasse. Mais tout bouge dans cette toile : les végétaux, le ciel, les chiens, le cerf et la femme, un tremblement étrange et un peu inquiétant... Je note aussi la présence de l'eau, omniprésente dans toute l'oeuvre de Garouste.
Un bleu intense
Il y a un point commun entre tous ces tableaux. Presque tous les fonds sont d’un bleu profond, particulièrement intense, il me rappelle les ciels de nuit de Van Gogh. En réalité, Garouste, qui aime beaucoup cette couleur, s’inspire des enluminures du Moyen Age. Tiens, un cerf qui porte un sac sur le dos, ça me rappelle quelqu'un...
Contes et légendes
Dans ce tableau, « Les deux mules et le pont », Garouste, bien qu’au musée de la chasse, fait un clin d’œil à sa présentation à la galerie Templon, car il fait référence à un passage du Talmud. En effectuant cela, il rappelle que ce texte religieux consiste en contes et légendes. La fable du lion et de la cigogne est d’ailleurs commune au Talmud, à Esope et à La Fontaine. Dans cette toile, le bleu profond laisse, par endroits, la place à un rose tendre : magnifique.
Le goût du sang
Ici, je retrouve Actéon. C’est un tableau violent car les chiens se résument à des formes rouges, qui me rappellent du sang coagulé : une très belle toile.
Bestialité
Je remarque que le peintre invente un cerf biface : une tête d’animal couplée à un autoportrait de l’artiste. « J’ai envie qu’il soit à la fois cerf et homme », précise l'artiste. C’est vrai que la bestialité n’est jamais éloignée de l’être humain.
Morsure
Mais Garouste va encore plus loin dans son interprétation personnelle du mythe. Il imagine que les chiens émasculent Actéon, coupable d’avoir désiré et d’avoir voulu capturer. Ce tableau est très clair, l’attitude des canidés ne supporte pas l’ambiguïté… Garouste glisse même un soupçon d’humour en peignant la tête de ce pauvre cerf, trop curieux.
Pulsion sexuelle
Pour Garouste, Diane s'en moque pas mal d'être vue. Non, en fait, elle punit Actéon parce qu'il a commis quelque chose de monstrueux avec un chien, une sodomie. Je serais curieux de savoir ce qu'en aurait pensé Ovide... Mais cette interprétation, c'est donc une nouvelle version d'Eros et Thanatos. Sur cette toile, le corps de la femme ressemble à une poupée gonflable en train de se dégonfler. J’adore l’humour avec lequel les deux pieds sont dessinés. Je note aussi l’orange, qui part de la tête de la déesse, pour éclairer la scène sexuelle, qui conduira Actéon dans les bras de la mort.
.De l’influence du Tintoret
Je remarque que beaucoup de scènes sont vues d’en bas, à la manière du Tintoret, actuellement exposé au Musée du Luxembourg. Comme Tintoret, Garouste joue beaucoup sur l’anamorphose, la déformation des corps. Très souvent, il peint des êtres aux membres étrangement rallongés, ou démembrés, ou écartelés. Dans cette œuvre, il peint sa femme en déformant considérablement le corps... Picasso n’est pas très loin. J'observe comment la végétation, à droite, est simplement signalée par des petits coups de pinceau, à la manière des peintres japonais.
Légèreté angoissante
Le musée de la Chasse et de la nature expose également plusieurs dessins de Garouste. Ils sont superbes. J’admire celui-ci, assez angoissant, avec ce visage aux yeux fermés et ce bras trop long et déformé....
La vie en rose
Et voici une autre version, colorée cette fois-ci, une chorégraphie envoûtante.
A chaque exposition de Garouste je suis stupéfait par la violence qui se cache derrière des couleurs de toute beauté. L’imagination, de même que la culture, de cet artiste est immense. Je vous conseille vivement cette exposition. Pas de doute, Garouste mériterait une grande rétrospective au Grand Palais, ce serait magnifique. A bon entendeur… Si vous allez voir les œuvres de Garouste, surtout visitez l’ensemble du musée, une ambiance unique. Vous pourrez aussi observer les étonnantes céramiques et broderies de Laurie Karp, encore une histoire de corps démembrés...
Musée de la Chasse & du Patrimoine
62 rue des Archives, 75003 Paris
Du mardi au dimanche de 11h à 18h. Nocturnes le mercredi jusqu’à 21h30
Entrée : 8 euros / TR : 6