Le Carreau du Temple accueille jusqu'au 25 mars 2018 Drawing Now Art Fair, le salon du dessin contemporain. Une bonne occasion pour comprendre l'extrême diversité de cet art, qui a su séduire amateurs et collectionneurs, depuis plus d'une décennie. Visite
C’est le printemps. Comment je le sais ? Drawing Now Art Fair revient. Déjà la douzième édition de ce salon du dessin contemporain. Cette année encore, il se déroule sous la belle verrière du Carreau du Temple. Vous aimez les chiffes ? Alors en voilà quelques-uns : 72 galeries internationales issues de 14 pays, dont 48 ont déjà participé à cette présentation. Cette année les organisateurs ont eu une très bonne idée : étudier les relations entre la BD et le dessin contemporain. C’est vrai que, parfois, il n’y a pas plus que l’épaisseur d'une feuille de cigarette entre les deux. Souvent, les dessinateurs de BD ont rendu hommage avec humour à l'art contemporain, comme le prouve ce dessin du célèbre dessinateur britannique Glenn Baxter, exposé au salon.
A première vue
Les années passent et le salon Drawing Now Art Fair ne change pas beaucoup au niveau de la présentation. Je fais un rapide tour général, même stands blancs, à part une exception, une galerie qui ose le rose fluo. Mais comme chaque année il y a quelques pépites, qui sautent aux yeux assez vite.
Nouveau monde
A la galerie parisienne Loevenbruck, j’admire les étranges animaux grotesques de Philippe Mayaux, une multitude de petits dessins plus charmants et plus surprenants les uns que les autres : un poisson sur pattes, une grenouille qui tient le soleil et celui-ci, un poisson-paysage. Il m’apparaît comme un symbole, le dernier animal d’un monde qui n’a pas su sauver sa nature. Visiblement, Philippe Mayaux s’amuse à faire apparaître une nouvelle image à partir d’une autre. En faisant cela, il crée tout un monde personnel, plein d’humour et de craintes, qui interroge notre regard sur le véritable pouvoir d’une image.
Des dessins mystérieux
Une surprise m’attend à la galerie Berst, spécialisée dans l’art brut. Elle expose des œuvres rares de Janko Domsic, dont j’ai pu admirer plusieurs œuvres lors d’une récente visite au Lam pour l’exposition Nicolas Schôffer. On ne sait pas grand-chose sur la vie de Domsic. Né en Croatie en 1905, il arrive à Paris, à Montmartre, dans les années 30. Il est schizophrène au dernier degré et passe ses journées dans un café où il ne cesse de dessiner et d’inventer un monde, dont lui seul connait peut-être, une éventuelle traduction. Il représente des personnages étranges, mi-robots, mi-pantins, entourés de symboles politiques, maçonniques, économiques ou religieux. Tous seraient contre l’art. Domsic, persuadé d’un grand complot contre lui, règle ses comptes avec ses crayons de couleur ou son stylo bille. Dans ce dessin, j’ai l’impression que le personnage du bas est soutenu par une multitude de fils. La composition est très théâtrale. Je note l’omniprésence d’éléments géométriques, de même que la belle lumière qui baigne toute l’œuvre. Un grand musée parisien serait intéressé par une œuvre de Domsic. J’ai promis de ne pas en dire plus...
L’actualité en céramique
J’ai déjà eu l’occasion de voir des œuvres de Suzanne Huski, notamment une grande tapisserie dans laquelle l’artiste reprend les éléments de la célèbre « Dame à la licorne », auxquels elle rajoute une tractopelle et un bûcheron, une façon de nous sensibiliser à la déforestation. Aujourd’hui, à la galerie Alain Gutharc, l’artiste présente une belle série de vases en céramique. Comme toujours, elle mêle techniques traditionnelles et observation de l’actualité. Devant moi, un collectionneur passe : « Je vais en prendre deux… ». Moi, je me contente d’observer ce beau vase rose, ces petites têtes de mort au milieu de ces belles fleurs : épatant.
Contrastes et cinéma
Sam Kaprielov, chez Albert Benamou & Véronique Maxé, s’intéresse au cinéma en noir et blanc. Il dessine des captures d’écrans. Le vieux film de polar, très tendance aujourd’hui, au point qu’ils inspire la mode, lui permet de souligner les contrastes. Il ne cherche pas le détail, mais l’opposition des formes, des personnages. Cet artiste letton travaille sur des plaques de contreplaqué recouvertes d’un enduit, avant de manier le pastel et le fusain, pour créer ses dessins contrastés, éclairés comme un vieux film un peu usé.
Science-fiction
La technique du danois Peter Martensen, né en 1953, est complètement différente. Il expose à la galerie Maria Lund. Son crayon est léger, mais il est au service de scènes de science-fiction, un peu angoissantes. Martensen dessine des personnages en chemises blanches ou en blouses de scientifiques, d’experts. C’est justement l’omniprésence de pseudo-experts dans notre monde médiatique, que critique l’artiste. Mais il va beaucoup plus loin, le même personnage est dessiné plusieurs fois sur la feuille de papier. C’est donc de l’homme en général dont veut nous parler l’artiste. Et cet homme erre au milieu des possibles, représentés par les nombreuses feuilles vierges, de carnet de croquis, qui jonchent le sol. L’atmosphère est Kafkaïenne, pas très rassurante. Mais c'est une oeuvre forte et un beau travail sur la matière.
La géométrie du temps
RCM galerie expose Maciej Haufa, artiste polonais né en 1956. Un artiste particulier puisqu'il n'a jamais voulu exposer. Toute sa vie, il a chiné des vieux cadres, souvent kitsch, dans lesquels il réalise de minuscules dessins à tendance géométrique. Il s'agirait en fait d'une quête spirituelle. Quoiqu'il en soit, je trouve cela est très surprenant et plein de charme : une belle réflexion sur le temps. Maciej Haufa était très influencé par le suprématisme de Kasimir Malevitch.
Créatures
La galerie Georges-Philippe Valois et Nathalie Vallois propose deux jeunes artistes iraniens réunis sous le nom de Peybak. Ils exposent des petits dessins représentant d’étranges petits personnages, et des grandes toiles dans lesquelles des corps minuscules se multiplient, comme des têtards dans une mare. Peyman Barabadi et Babak Alebrahim Dehkordi répètent leurs petites créatures jusqu’à l’obsession, à la manière de Lee Ungno, sur lequel j’ai fait un long article pour ce blog. Les deux trentenaires iraniens dessinent en fait des hommes qui attendent, mais quoi ? A chacun de l’interpréter comme il le souhaite. J’aime bien l’énergie qui se dégage de ce travail à quatre mains.
Le poids des images
Le niveau bas du carreau du temple est placé sous le signe de la découverte. Cela porte les noms pompeux de Insight et Process. C’est là que je découvre, à la galerie Claire Gastaud l’étonnant travaille, très grand format, d’Alain Josseau. Sur Internet, il capte un film, diffusé par la télévision kurde sur la récente bataille de Mossoul. Il va sur Google et tape Mossoul, il est surpris car plusieurs images proposées n’ont rien à voir avec le sujet. Qu’importe, il s’en sert pour réaliser un premier montage photographique. Mais il ne s’arrête pas là. Il apprend que lors de la bataille de Bull Run, en 1861, pendant la guerre de Sécession, les généraux avaient invité leurs femmes, à voir la tuerie du champ de bataille. Alors Josseau rajoute les personnages du Déjeuner sur l’herbe de Monet, au milieu des soldats. Il place aussi des émoticônes et des likes. Cerise sur le gâteau, il dessine sur la reproduction d’un vieux tableau flamand. Tout cela pour nous faire réfléchir sur les fake-news et le poids réel des images proposées sur le net. Il pose également la question que tout journaliste s’est posé une fois dans sa vie professionnelle : faut-il ou pas montrer des images de guerre ? Et si oui lesquelles… J’observe ce travail hétéroclite, mais cohérent. Il est aussi original que beau.
A la croisée des chemins
J’ai commencé par le rapport entre dessin contemporain et BD. Je vais finir avec. La galerie Modulab, située à Metz, présente une belle série de Roxane Lumeret, intitulée : « Clair-obscur ». J’observe ces œuvres qui se situent entre l’illustration, le dessin contemporain et la BD. Roxane Lumeret, née en 1988 en Alsace, a publié plusieurs ouvrages destinés à la jeunesse. On retrouve cette précision d’illustrateur dans son travail personnel. Je trouve, qu’avec beaucoup d‘humour et un peu de mise à distance, Lumeret tord le cou à Tintin. Ce poulet, par terre, est un petit régal.
Une fois de plus, Drawing Now Art Fair tient ses promesses et donne une vision juste de la diversité du dessin contemporain. Mais attention de ne pas trop exposer toujours les mêmes, les habitués vont finir par se lasser…
Carreau du Temple : 4 rue Eugène Spuller, 75003 Paris
De 11h à 20h (19h le dimanche)
Entrée : 16 euros / TR : 9