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Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
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Picasso.Mania au Grand Palais : le maître revisité en toute liberté

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Le Grand Palais présente jusqu'au 29 février 2015 l'exposition Picasso. Mania. Cette présentation permet de mesurer l'effet Picasso chez les artistes contemporains. L'occasion de vérifier si Picasso est toujours au cœur des travaux et des débats artistiques. Qui a retenu la grande leçon de liberté de Picasso ?  Visite et réponse.

Il est là, torse se nu, sur la façade du Grand Palais. Son regard est, comme toujours, sombre et interrogateur et les rides du lion sont bien marquées. Il me fait penser à une statue de dignitaire romain. C'est donc bien Picasso qui accueille le visiteur. Le soleil Picasso, celui qui a éclairé et bouleversé une bonne partie de l'Histoire de l'Art du XXe. A titre personnel, je n'aime pas le titre de cette exposition : "Picasso.Mania", trop anecdotique, trop fade, trop banal. Heureusement, l'exposition n'a pas grand-chose à voir avec son titre. Elle explique, ou plutôt elle montre, comment Picasso et son goût de la liberté ont fait grandir quelques jeunes peintres et comment l'icône est devenue une référence artistique.

L'exception Picasso

Beaucoup d'artistes contemporains n'oublient pas Picasso. Cela veut-il dire que le maître est toujours contemporain ? Peut-être... L'exposition propose également de nombreuses toiles de Picasso et c'est pour moi un réel plaisir de les voir ou les revoir. Picasso est une exception car il énerve ou séduit, autant le public que les artistes. Aujourd'hui, les jeunes créateurs de la "Bad Painting", de la Figuration libre et même du Street Art, se réfèrent à Picasso. Cette exposition tombe donc à pic. L'Histoire de l'art n'est-elle pas, plus ou moins, un éternel recommencement ? Cette cariole peinte par Picasso pourrait d'ailleurs en être le symbole. Les artistes avancent toujours...

Pablo Picasso : Minotaure à la carriole, 6 avril 1936. Huile sur toile, 45,5 cm x 54,5. Succession Picasso 2015 / Collection particulière/ Photo Patrick Goetelen.

Pablo Picasso : Minotaure à la carriole, 6 avril 1936. Huile sur toile, 45,5 cm x 54,5. Succession Picasso 2015 / Collection particulière/ Photo Patrick Goetelen.

Picasso le guide

Je rentre dans la première salle et tout de suite, je remarque 18 écrans noirs et blancs qui occupent tout un mur (réalisation Laure de Clermont-Tonnerre et Diana Widmaier Picasso). Des peintres, architectes et cinéastes évoquent, face caméra, le génie Picasso. L'architecte Frank Gehry parle d'un sentiment de liberté, la cinéaste Agnès Varda "d'amourosité" à l'égard du peintre espagnol. Pour Jeff Koons, Picasso a joué le rôle d'un "réveil", le sculpteur Lavier n'y voit que de la joie de vivre. Cette dernière explication ne me satisfait pas, car j'ai toujours remarqué, chez Picasso, le regard noir de ses personnages, lequel ressemble beaucoup à celui de l'artiste. Le jeune plasticien Parreno, lui, retient de Picasso, la leçon du : "C'est jamais fini". Ce mur d'écrans prouve bien l'importance de Picasso, un fantôme qui est venu se nicher jusque dans l'âme de ses suiveurs.

Grosse tête

Allez, je poursuis ma visite. J'entre dans une grande salle dans laquelle siège au centre une sculpture de Maurizio Cattelan : un Picasso hydrocéphale en fibre de verre et mousse. Picasso est en marinière et  sandales, bras levés, comme s'il semblait heureux de ma venue... Cette "poupée" est conçue en 1988, Cattelan répond à un projet pour le Moma de New York.

Maurizion Cattelan : sans titre / Picasso. 1998. Fibre de verre peinte, mousse expansive, plastique, acier et vêtements. 215,9 cm x 127 x 52,7. Courtesy Maurizio Cattelan Archive and Galerie Perrotin.

Maurizion Cattelan : sans titre / Picasso. 1998. Fibre de verre peinte, mousse expansive, plastique, acier et vêtements. 215,9 cm x 127 x 52,7. Courtesy Maurizio Cattelan Archive and Galerie Perrotin.

Pop baroque

Erro découvre le Pop Art lors d'un voyage aux USA en 1962. Il imagine alors des compositions où il mêle allégrement des figures de l'Histoire de l'Art aux images de BD. Bien évidement, il intègre Picasso dans son travail. J'observe un hommage à Picasso dans lequel de nombreux autoportraits de Picasso se mêlent à de multiples reproductions de tableaux. Ce foisonnement d'images est la marque de fabrique d'Erro.

Erro : Hommage à Picasso, 1982. Peinture glycérophtalique sur toile. 195,5 cm x 132. Adagp, paris 2015. Photo CNAP / Yves Cheno.

Erro : Hommage à Picasso, 1982. Peinture glycérophtalique sur toile. 195,5 cm x 132. Adagp, paris 2015. Photo CNAP / Yves Cheno.

Une grande ouverture

Le cubisme, cofondé par Braque et Picasso, commence en 1908 et dure jusqu'à la première guerre mondiale. Il veut, pour la première fois, peindre ce qu'on ne voit pas. "Cet art pour l'esprit s'inspire de la peinture volumétrique" de Cézanne précise le dossier de presse. Picasso utilise, à cette époque, des couleurs terreuses, ocres, renforçant ainsi le côté mental de ce mouvement artistique. S'il utilise des objets des morceaux journaux, il ne veut en aucun cas se référer à la réalité. Le cubisme a ouvert la porte de l'art du XXe, vers le conceptuel et la possibilité d'assemblage tous azimuts. J'observe ce violon mis à plat dont chaque détail se perd dans un flot de collages. Désormais l'artiste est capable de voir de tous côtés : un bond en avant qui aura des conséquences...

Pablo Picasso : Le violon (Titre attribué : nature morte), 1914. Huile sur toile, 81 cm x 75. Succession Picasso 2015 / Photo Centre Pompidou : MNAM-Cci,dist; Rmn-Grand Palais / droits réservés.

Pablo Picasso : Le violon (Titre attribué : nature morte), 1914. Huile sur toile, 81 cm x 75. Succession Picasso 2015 / Photo Centre Pompidou : MNAM-Cci,dist; Rmn-Grand Palais / droits réservés.

Avoir l'œil

Dans cette salle Paul Mac McCarthy propose une sculpture représentant la tête de Picasso avec un sexe masculin sorti d'un œil et coiffé d'un chapeau de pirate. Picasso, un capitaine Jack Sparrow fortement sexué : bien vu... Je passe devant une extraordinaire photo de Jean Hucleux: Picasso est vêtu d'un imperméable froissé. Je suis frappé par la grosseur des mains, mais Picasso n'est-il pas l'homme qui sait tout faire de ses mains ?

Eclipse et Polaroïd

On l'a un peu oublié mais entre 1915 et 1970, le soleil Picasso a connu une grosse éclipse, on lui préfère Mondrian, Kandinsky ou Marcel Duchamp. Mais deux artistes vont défendre Picasso et souligner l'importance de son travail : David Hockney et Roy Lichtenstein. David Hockney voit plusieurs fois une exposition, consacrée à Picasso, à la Tate Gallery de Londres. Dès les années 1980, il se lance dans une relecture du cubisme. Pour ce faire il utilise de nombreux petits polaroïds, mélangeant détails très rapprochés et visions globales. Plus sobre, ce travail de montage avec l'inscription du nom de Picasso, difficilement lisible, sur le charriot.

David Hockney : Paint trolley, 1985. Photocollage., 101,6 cm x 152,4. David Hockney / Richard Schmidt.

David Hockney : Paint trolley, 1985. Photocollage., 101,6 cm x 152,4. David Hockney / Richard Schmidt.

Confrontations

Faith Ringgold rend, à sa façon, hommage aux "Demoiselles d'Avignon", en utilisant des bordures de tissu. Mais surtout, il confronte une jeune noire avec l'art occidental, tout comme Picasso s'est attaché à découvrir l'art africain. Faith Ringold est très impliqué dans la défense des droits civiques de la communauté noire américaine. Dans cette œuvre, il reprend un thème souvent utilisé par Pablo Picasso : l'artiste et son modèle.

Faith Ringgold : Picasso's Studio, 1991. Acrylique sur toile et bordure en tissu, 185,4 cm x 172,7. Faith Ringgold, 1991 / Photo Worcester Art Museum.

Faith Ringgold : Picasso's Studio, 1991. Acrylique sur toile et bordure en tissu, 185,4 cm x 172,7. Faith Ringgold, 1991 / Photo Worcester Art Museum.

Picasso au cinéma

Les organisateurs de l'exposition ont voulu montrer, à juste titre, l'importance de Picasso dans le cinéma et la publicité. Une salle circulaire grise propose donc un jeu d'écrans sur lesquels je peux voir des allusions évidentes aux œuvres de Picasso. Des tableaux derrière Paul Belmondo dans" Pierrot le fou" de Godard. Et la façon de concevoir ses films de Godard ne rappelle-t-elle pas le cubisme ? Des œuvres de Picasso sont également présentent dans "Vérités et mensonges" d'Orson Wells, dans "Jules et Jim" de Truffaut, dans "Zazie dans le métro de Louis Malle, dans Persépolis de Marjane Satrapi. Quant à Emir Kusturica, il réalise un court métrage de fin d'études intitulé : Guernica. Clair, non ? Le cinéma n'oublie pas celui qui a ouvert la vision. La publicité non plus : Citroën, Rolex, Amnisty International etc.

Guernica ou la force du refus

La célébrissime toile Guernica est vite devenue une icône politique, symbole de la souffrance des civils en tant de guerre. Elle est mondialement connue. Abdel Abdessemed s'empare du drame humain et le remplace par un massacre animal avec cette œuvre : "Qui a peu du grand méchant loup", allusion évidente aux "Trois petits cochons" de Walt Disney". Cette œuvre est saisissante car elle faite entièrement d'animaux naturalisés. Le fond est noir, terreux, comme un terre de tranchée, voir même un charnier. Une nouvelle façon de souligner que l'homme est un loup pour l'homme ? En voici un détail :

Adel Abdessemed : Qui a peur du grand méchant loup, 2011-2012. Animaux naturalisés, acier et fil de fer. 363,2 cm x 779,8 X 40. Adel Abdessemed / Adagp, Paris 2015.

Adel Abdessemed : Qui a peur du grand méchant loup, 2011-2012. Animaux naturalisés, acier et fil de fer. 363,2 cm x 779,8 X 40. Adel Abdessemed / Adagp, Paris 2015.

Guernica a inspiré de nombreux artistes. C'est le symbole de la honte militaire et du refus civil. Picasso a été longtemps engagé auprès du Parti Communiste. Ses dessins ont fait plusieurs fois la une du journal. L'artiste verse un million de francs aux gueules noires lors d'un conflit social. Cet engagement politique, qu'il convient de ne pas exagéré, a contribué à transformer Picasso en un intellectuel indispensable après la deuxième guerre mondiale.

Femmes

De très nombreux tableaux de Picasso représentent des femmes. L'exposition en propose un choix. A chaque fois qu'il peint, Picasso représente à la fois son modèle et l'humanité toute entière. C’est peut-être de là que vient son immense succès. Je le crois fermement.

Pablo Picasso : Marie-Thérèse au béret bleu, 1937. Huile sur toile, 61 cm x50. Succession Picasso 2015 / Photo Béatrice Hatala.

Pablo Picasso : Marie-Thérèse au béret bleu, 1937. Huile sur toile, 61 cm x50. Succession Picasso 2015 / Photo Béatrice Hatala.

Envie de pleurer

Un moment fort de l'exposition est une vidéo de la photographe néerlandaise Rineke Dijkstra : les réactions d'enfants, tous habillés de la même façon, après la vue du tableau " La femme qui pleure". Pour moi, ce tableau de Picasso est un des plus émouvants qui soit et je l'admire depuis longtemps. Les enfants, eux, reçoivent cette émotion picturale et tentent de comprendre : "On dirait qu'elle vient de désobéir à quelqu'un et qu'elle regrette", "son meilleur ami ou quelqu'un est mort". La qualité et le choix de mise en scène de cette vidéo, font penser à un tableau flamand du XVIe.

Unicité

J'entre dans une petite salle proposant quatre toiles de Jasper Johns (les quatre saisons). Les compositions découpées, façon puzzle, évoquent bien sûr Picasso. Plus étonnant est le traitement d'Andy Warhol. Le roi de la série, des multiples, traite le sujet Picasso avec quatre toiles, mais des œuvres uniques. En faisant cela, il souligne le caractère exceptionnel, iconique, de Pablo Picasso. Mais le plus drôle est de savoir que, de son côté, depuis 1950, le maître espagnol s'adonne aux multiples.

Andy Warhol : Tête d'après Picasso, 1985. Acrylique sur toile, 127 cm x 127. The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, INC / Adagp, Paris 2015.

Andy Warhol : Tête d'après Picasso, 1985. Acrylique sur toile, 127 cm x 127. The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, INC / Adagp, Paris 2015.

Picasso la star

Je m'arrête un instant pour apercevoir Picasso répondre à une interview, en faisant volontairement sa star. Mais je remarque sa bague sur un pouce, la finesse et la beauté de ses mains, son sourire charmeur et son plaisir à être considéré comme une grande star. Quelques instants plus tard, Yves Montand parle de Picasso. La presse de l'époque défile, elle montre combien Picasso fait partie du paysage intellectuel de l'époque. Picasso est partout et séduit la planète média.

XXL

Picasso adore faire le clown et provoquer. Une photo de David Douglas Duncan représente Picasso en slip Kangourou XXL, tenant son lévrier afghan devant une lourde porte. Cette photo a marqué un artiste : Martin Kippenberger. En fait, c'est surtout le slip kangourou XXL qui lui est monté à la tête, enfin jusqu'au ventre car il se représente sur un calendrier et réalise plusieurs autoportraits vêtu de ce sous vêtement : petit clin d'œil amusé à Picasso, qu'il admirait vraiment.

Martin Kippenberger : Je pourrais sans doute te prêter quelque chose, mais je ne te rendrais pas service, Galeria Leyendecker, 1985. Sérigraphie, 83,8 cm x 59,4. Estate of Martin Kippenberger, Galerie GisèlaCapitain, Cologne.

Martin Kippenberger : Je pourrais sans doute te prêter quelque chose, mais je ne te rendrais pas service, Galeria Leyendecker, 1985. Sérigraphie, 83,8 cm x 59,4. Estate of Martin Kippenberger, Galerie GisèlaCapitain, Cologne.

Sexualité

L'exposition présente une série de dessins fortement érotiques, réalisés à la plume : magnifique, un mélange de force et de douceur, une précision incroyable dans le trait.

Mousquetaire

A la fin de sa vie Picasso s'identifie à la figure du mousquetaire, l'homme qui veut que ses rêves et sa vie se confondent... Le peintre réalise plusieurs toiles sur ce thème. Elles sont exposées au Palais des Papes à Avignon en 1970. L'accueil est plutôt froid : "anachronique".

Toujours le guide

Dix ans plus tard, on retrouve ses toiles à Bâle (1981), puis à New York (1984). Cette fois ci, les artistes de la "Bad painting", les "nouveaux fauves" et les Streets artistes remarquent ces œuvres tardives, s'en inspirent et saluent la liberté d'exécution. Vincent Corpet réalise 602 dessins érotiques. Avec cette œuvre, il compare le caractère stakanoviste de l'œuvre de Picasso au rythme sexuel de Casanova.

Vincent Corpet : Le Trente décembre (144). 1990-1991. Glasochromes sur papier glacé. Diam : 11,5 cm / Feuille support : 17 cm x 12,8. Vincent Corpet.

Vincent Corpet : Le Trente décembre (144). 1990-1991. Glasochromes sur papier glacé. Diam : 11,5 cm / Feuille support : 17 cm x 12,8. Vincent Corpet.

No limit

George Condo voit en Picasso, l'homme qui a su bouleverser tous les styles. Comme le maître espagnol, sa peinture a parfois des effets de massacre stylistique : Bad boy et fier de l'être. Pour Condo, Picasso c’est la liberté, le "no limit". Dans ce tableau, je trouve qu'on est à la fois très loin et très proche des "Demoiselles d'Avignon".

George Condo : The Orgy, 2004. Huile sur toile, 183 cm x 178. Galerie Andrea Caratsch, Zürich, Suisse. Adagp, Paris 2015.

George Condo : The Orgy, 2004. Huile sur toile, 183 cm x 178. Galerie Andrea Caratsch, Zürich, Suisse. Adagp, Paris 2015.

Hommage

Avant de sortir, j'admire trois toiles d'Antonio Saura d'après "La femme au chapeau bleu" de Picasso. Là encore, il y a un désir, comme Picasso, de construire tout en détruisant, peut-être la marque de fabrique artistique et le secret de vie de Picasso...

A la fois chronologique et thématique, cette exposition au Grand Palais pourra peut-être sembler difficile à suivre. Mais je l'ai trouvé très intéressante. Picasso et ses "suiveurs" méritaient bien ça. Les deux œuvres emblématiques, Guernica et Les Demoiselles d'Avignon ne sont bien sûr pas là, trop importantes, trop fragiles. Mais les œuvres contemporaines qui leurs répondent sont visibles dans cette exposition. Picasso le peintre est donc devenu le modèle pour toute une génération d'artistes. La preuve peut-être que Picasso, comme la liberté, est immortel. La preuve aussi que ce titre affreux de "Picasso. Mania" est loin d'être suffisant... Même si le point entre les deux mots illustre bien sa modernité. Cette présentation curieuse est une plongée dans l'âme de Picasso et dans les cerveaux des jeunes créateurs : un plaisir donc. Picasso, encore et toujours... Et oui...
Grand Palais

Lundi, jeudi et dimanche de 10h à 20h.

Nocturne le mercredi, vendredi et samedi de 10h à 20h. Fermé le mardi.

Entrée : 14 euros / TR : 10.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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