Le Musée d'Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne, mais aussi le château de Chambord, présentent le travail photographique de l'artiste Bae Bien-U. Si la nature est son sujet de prédilection, elle n'est jamais reproduite et Bae Bien-U préfère créer des fictions sous tension ( jusqu'au 31 janvier 2016 au MAMC de Saint-Etienne et jusqu'au 10 avril 2016 au château de Chambord).
Des photos de forêt, ce n'est pas ce qui manque. J'en ai vu énormément et elles se ressemblent beaucoup : jolies, sans plus. On ne compte plus les expositions, dans les salles communales, sur la petite futaie d'à côté... Oh qu'il est mignon mon patrimoine... Pourtant, quiconque se balade dans un bois, comprend très vite l'aspect fascinant, et un peu angoissant, de ce genre d'endroit. Mais Bae Bien-U, aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands photographes coréens vivants, va bien au-delà. Il crée une "fiction naturelle" et cela est assez surprenant. Avec lui, la photographie est comme suspendue, à la fois dans le présent et déjà au-delà. Comme le peintre Soulages invente "l'outre noir", il crée "l'outre présent".
Le culte de la nature
Bae Bien-U est né en Corée en 1950. La nature est son sujet favori. Aucune trace d'humain dans ses clichés. Il s'inspire de la tradition orientale, de la sobriété de la peinture asiatique sur papier et un peu de l'histoire européenne. Mais surtout, il se lève à l'aube pour saisir le plus simple et le plus difficile à la fois : l'âme de la forêt, la charge spirituelle des troncs. "Faire corps avec les pierres, les arbustes moussus, saisir la lumière changeante des layons... C’est d'abord cela : une expérience physique" souligne Yannick Mercoyrol, commissaire de l'exposition. Bae Bien-U repère les clairières, débusque un chemin, attend un nuage. En fait, il apprivoise le paysage avant de le capter avec son appareil. Il photographie surtout des pins. Il s'est fait connaître à cause de cette spécialité, d'autant que dans son pays, cela a une signification particulière.
Pin spirituel
En Corée, le pin est considéré comme l'arbre pouvant abriter les hommes tout au long de leur existence. Il accueille également les esprits... Mais il sert aussi de matériau de construction et de bois de chauffage. Il a donc une très grande importance. Bae Bien-U ne veut surtout pas reproduire la forêt, mais en saisir la tension. J'observe deux troncs, présents comme une parenthèse au centre d'une photographie, entourés de cimes d'arbres, noyées dans une douce brume. J'ai l'impression d'un tourbillon qui ce serait arrêté subitement.
Dans ce paysage, il se passe quelque chose, mais pour le comprendre vraiment, il me faut expliquer la technique particulière de cet artiste.
Une technique particulière
Bae Bien-U utilise le format panoramique, mais le détourne de sa fonction initiale puisqu'il ne montre que des détails : arbres coupés, tronqués. Jamais il n'offre à l'observateur un arbre en entier. De plus, il écrase souvent la perspective ou choisit un cadrage bien particulier. Il choisit un format très grand, il joue sur le noir et le blanc, le vide et le plein. Grâce à ces éléments techniques, il "affole l'œil' comme le dit très bien le dossier de presse. En réalité, Bae Bien-U fait des portraits d'arbres, comme Velazquez faisaient ses portraits à la cour d'Espagne. L'écorce du végétal devient une peau et sa courbure exprime son caractère. C’est particulièrement visible dans cette photo. Trois grands troncs, comme des gardiens, gênent la vision et s'imposent. Derrière, quelques jeunes arbres tordus essayent d'exister. Au fond, j'aperçois quelques feuillages perdus dans un épais brouillard matinal. Le visiteur se retrouve plongé dans le paysage. Il n'est plus "regardeur", mais acteur. Il est le nouvel habitant d'un monde primordial, encore intact, à l'opposé de notre monde urbain, réputé civilisé...
Comme un dessin
Dans cet autre cliché, Bae Bien-U propose quelques cimes d'arbres, qu'il traite à la façon d'une peinture asiatique. Les feuillages ressemblent à des tâches d'encre de Chine et l'ensemble rappelle les pendillons des maîtres Sho. Bae Bien-U, lui, préfère citer Jeong Seon (1676-1759), grand peintre des saules pleureur et des pins. Sur cette photo ci-dessous, le noir et le blanc suffisent à la construction de la composition. Photographiés à Gyeongju (forêt sacrée, nécropole de rois), ou à Chambord, ces arbres deviennent les nôtres.
Mémoire de bois
Que dire de ces croisements de troncs en tous sens et de cette multiplication des effets de contraste ? " L'impression très puissante opérée par ces photographies procède elle même d'une conjonction de constructions différentes qui concourent à créer leur effet esthétique... La contemplation de ces arbres ameute dans l'inconscient collectif tout l'imaginaire de la forêt : jungle primaire, Brocéliande, contes de fées, toute une matière symbolique sous-tend ces images" précise Yannick Mercoyrol. Les arbres de Bae Bien-U jouent donc aussi avec nos mémoires, nos peurs, nos fantasmes, nos quêtes spirituelles. Ce sont donc des bois chargés en émotions, et cela se voit :
Ecologiquement vôtre
A l'heure ou la défense des arbres et l'écologie se taillent une place de plus en plus grande dans notre société, les forêts de Bae Bien-U résonnent terriblement dans nos esprits. Même lorsqu'il photographie quelques pierres, il n'hésite pas à les théâtraliser et à leur donner une certaine sensibilité. La force physique de ces matières se répercute sur notre peau et notre œil le comprend tout de suite. En fait, ces gros cailloux sont des poches d'émotions, un lieu parmi d'autres mais qui nous rappellent, avec insistance, un souvenir ou une envie. Et croyez moi, réussir cela, n'est pas évident à rendre.
Bae Bien-U est diplômé des beaux-arts de Hong – Ik, il vit et travaille à Séoul, où il enseigne à l'université. Il pratique la photographie depuis les années 1970. A partir de 1985, il travaille essentiellement sur le thème de l'immortalisation des forêts de pins. "Les pins sont les symboles de l'âme du peuple coréen" aime à préciser le photographe.
Méditation
Les fictions naturelles et singulières de Bae Bien-U m'ont touché. Ses photographies sont des peintures, des morceaux de mémoires, des zestes de mort et de beaux bouts de vie, qui, incitent à la réflexion et à la méditation. Et comme tout cela oblige au silence, je me tais... "Quand un arbre tombe, on l'entend; quand la forêt pousse, pas un bruit" dit un proverbe africain.
La vie de château
Toujours dans le cadre de l'année France-Corée", Bae Bien-U expose ses photos au 2e étage du donjon du château de Chambord. Accueilli à Chambord depuis le printemps 2014, l'artiste a séjourné une dizaine de fois sur les lieux, afin de travailler dans la forêt du domaine. Il présente aujourd'hui ses travaux. Cette exposition fait écho à celle organisée au Musée d'art Moderne et Contemporain de Saint- Etienne Métropole, d'autant que le commissaire d'exposition est le même.
Musée d'Art Moderne et Contemporain (Saint Etienne Métropole)
Rue Fernand Léger. 42270 Saint-Priest-en-Jarez. Rue Fernand Léger.
Ouvert tous les jours de 10h à 18h sauf mardi.
Entrée : 7 euros / TR : 5
Chateau de Chambord :du 02 janvier au 31 mars et du 01 octobre au 31 décembre de 9h à 17h.
Entrée : 11 euros / TR : 9.