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Channel: Art – Le blog de Thierry Hay
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La peinture coup de poing de Jacques Grinberg au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris

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Le Musée d'Art moderne de la Ville de Paris présente jusqu'au 18 septembre 2016 l'exposition "Jacques Grinberg, un peintre sans concession". Découverte d'un artiste en colère de grand talent, traumatisé par la Seconde Guerre mondiale.

A chaque fois qu'il y a un Grinberg à voir quelque part, j'y vais car sa peinture est pleine de force, de rage. L'exposition au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris porte le meilleur titre qui soit pour évoquer cet artiste : "Un peintre sans concession". C’est vrai que Grinberg semble avoir un compte à régler avec la société. Chacune de ses œuvres est une gifle. Cette exposition a vue le jour grâce au don, de quatorze œuvres, fait par la famille de l'artiste. D'autre part, le MAM a acheté une peinture. L'artiste fait donc désormais parti de la collection du Musée. Première surprise : devant le MAM, aucune indication de l'exposition Grinberg. J'entre, je descends le grand escalier central et cherche l'entrée de cette présentation. Je passe devant des peintures fauves, des artistes contemporains récemment entrés dans les collections, mais pas de Jacques Grinberg. Je demande à un gardien, la réponse fuse : "C'est au quatorze bis"... Ah oui bien sûr... Je découvre enfin la grande salle qui abrite les œuvres sur toile et papier de Jacques Grinberg, artiste inconnu du grand public, alors qu'il est compréhensible par tous, très facilement.

Un combattant

Jacques Grinberg lit beaucoup, des ouvrages de philosophie ou de spiritualité. Lors d'un voyage au Mexique, il est touché par la force expressive des masques et l'obsession de la représentation de la mort dans ce pays. Comme la plus part des peintres mexicains, Grinberg utilise la peinture pour mener un combat social. Il a ses thèmes favoris : la guerre, la censure, l'enfermement, l'oppression et la bourgeoisie. Il se sert de son pinceau comme d'une épée, afin de les combattre et de s'en moquer. Dès que je pénètre dans la salle, je remarque face à moi un immense chien ridicule. Une patte prise dans une botte, il multiplie les efforts pour en sortir. Je notre aussi que son corps est orné de plusieurs médailles. Une allégorie du militaire : possible... En tout cas, ce canidé étrange est un bel exemple de la peinture de Grinberg : provocante, forte, libre et refusant toute fioriture, toute concession. Grinberg ne cherche pas à séduire mais à faire plus vrai que vrai. C’est la raison pour laquelle, son œuvre de "peintre-boxeur" ne laisse pas indifférent. Bien sûr, ce chien est l'illustration des horreurs de la guerre : il est amputé d'une patte et arbore un joli crochet...

Jacques Grinberg : Grand carnaval, 1965, huile sur toile, 195 cm x 130. Photo Sylla Grinberg

Jacques Grinberg : Grand carnaval, 1965, huile sur toile, 195 cm x 130. Photo Sylla Grinberg

Un antimilitariste convaincu

Jacques Grinberg est né à Sofia (Bulgarie) en 1941. Sa famille part en Israël quand il a treize ans. Dès 1957, il s' inscrit à l'Avni l'Art Institute de Tel Aviv. Il fait sa première exposition dans cette ville, en 1961. La même année, il décide d'aller à Paris. Il fréquente le quartier Montparnasse. Plusieurs galeries, belges et françaises, l'exposent. Il se fait vite remarquer par son langage pictural virulent. Il est rapidement considéré comme le promoteur d'une nouvelle figuration, plus libre, plus critique. Grinberg veut évoquer, sans compromis, les blessés de guerre. Pour lui, l'art doit se dresser contre les horreurs dues aux conflits militaires. Ce thème de la guerre le poursuivra toute sa vie. Dans cette toile, qui présente un curieux fond jaune citron, il évoque la guerre d'Irak. Le soldat semble pris dans un labyrinthe dont il ne sortira pas. Son visage est suggéré, mais la violence de tout conflit armé est bel et bien là...

Jacques Grinberg : Guerre d'Irak, 1992, huile sur toile, 130 cm x 97. Photo Arnaud Legrain

Jacques Grinberg : Guerre d'Irak, 1992, huile sur toile, 130 cm x 97. Photo Arnaud Legrain

Fascisme

Ici, Grinberg dessine un fasciste. Le visage ressemble à un casque gigantesque, et un peu à une mouche... A moins qu'il ne s'agisse d'un pilote d'avion. Les lignes géométriques, parfois brisées, renforcent  l'inhumanité du personnage, celui qui donne la mort...

Jacques Grinberg : Fasciste (Tête de rat), 1985, gouache sur papier, 76 cm x 56. Photo Sylla Grinberg

Jacques Grinberg : Fasciste (Tête de rat), 1985, gouache sur papier, 76 cm x 56. Photo Sylla Grinberg

Un certain regard

Quelques mètres plus loin, je remarque cette tête, très expressive. L'homme tire la langue et porte un pansement sur le crâne. Son regard est hagard. C’est encore une fois une gueule cassée, une victime de la violence.

Jacques Grinberg : sans titre, vers 1998, gouache sur papier, 76 cm x 56. Photo Sylla Grinberg.

Jacques Grinberg : sans titre, vers 1998, gouache sur papier, 76 cm x 56. Photo Sylla Grinberg.

Le solitaire

Jacques Grinberg a commencé par une peinture quasi abstraite mais, très vite, il passe au figuratif. A vingt trois ans, il entre à la galerie Schoeller Junior (Paris). Elle lui organise plusieurs expositions personnelles. Mais en 1971, cette galerie ferme. Dépité, Grinberg repart en Israël un an. Il revient à Paris et s'installe à Saint-Germain des Près, avant de retourner à Montparnasse. En 1973, il expose à la galerie de France, aux côtés d'Alechinsky, d'Erro et de Topor. La directrice de la galerie l'Oeil de Bœuf, une amie de vingt ans, s'occupe de lui, mais dès 1995, Jacques Grinberg s'isole de plus en plus. Il reste à l'écart de tout mouvement artistique. Il préfère rester seul et travailler, totalement libre. En 2012, la Cité Internationale des arts de Paris propose une exposition Grinberg. Sa peinture ne s'apaisera jamais. Il meurt le 31 mai 2011.

Clown ridicule

Toute sa vie, Grinberg le rebelle lutte contre toute forme d'oppression, à commencer par la censure. Dans cette toile, il en trace le portrait : une espèce de clown ridicule, à la bouche enfermée dans rectangle noir. Le visage est constitué de grosses lignes géométriques, le regard est absent. L'ensemble de l'œuvre est constitué de lignes qui se coupent, dans un espace lui-même bousculé. Avec trois fois rien, tout est dit. Grinberg fait-il allusion au conflit irakien, une guerre sans image... C'est possible.

Jacques Grinberg : La censure, 1993, huile sur toile, 130 cm x 97. Photo Arnaud Legrain

Jacques Grinberg : La censure, 1993, huile sur toile, 130 cm x 97. Photo Arnaud Legrain

Broyage

Dans le travail de Grinberg, l'homme est souvent broyé, blessé. Le pinceau de l'artiste est toujours dérangeant, fulgurant, touchant. J'admire ce dessin : un homme allongé est menacé par un structure géométrique qui ressemble à une grosse pierre. C'est Sisyphe tué par sa pierre.

Jacques Grinberg : sans titre, 2004, encre de Chine et gouache sur papier, 65 cm x 50. Photo Sylla Grinberg

Jacques Grinberg : sans titre, 2004, encre de Chine et gouache sur papier, 65 cm x 50. Photo Sylla Grinberg

Enfermement

Quand il peint un rhinocéros, Grinberg le place sur une corde, la démarche malhabile et les cornes enchevêtrées. De plus, il est dans une pièce dont il n'a aucune chance de sortir... Je note l'oeil rouge de l'animal. Interrogateur, il fixe le visiteur. Je remarque aussi l'aspect très théâtral de cette peinture, je pense à la pièce de théâtre "Le rhinocéros" de Ionesco.

Jacques Grinberg : Le Rhinocéros, vers 1968, huile sur toile, 115 cm x 147. Photo Patrice Bouvier

Jacques Grinberg : Le Rhinocéros, vers 1968, huile sur toile, 115 cm x 147. Photo Patrice Bouvier

L'enfant

Parfois Jacques Grinberg va loin, très loin. Je reçois ce tableau représentant un enfant mort comme un véritable uppercut. La stupidité, la fragilité de la vie est là, devant moi...

Jacques Grinberg : L'enfant, 1963, huile sur toile, 73 cm x 92. Photo Arnaud Legrain

Jacques Grinberg : L'enfant, 1963, huile sur toile, 73 cm x 92. Photo Arnaud Legrain

Je suis pas prêt d'oublier les visages et les corps torturés, écorchés de Grinberg. Depuis longtemps, son monde meurtri me touche. Je crois que cet artiste mériterait une vraie grande rétrospective. Sa peinture puissante, qui ne cherche jamais à plaire, m'évoque Rebeyrolle. Elle touche les cœurs et bouscule les esprits. Sensible, véhément, critique, mélancolique, Jacques Grinberg est un créateur à ne pas oublier.

Musée d'Art moderne de la Ville de Paris
11 Avenue du Président Wilson. 75116 Paris

Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h

 

 

 

 

 

 

 


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