La Grande halle de la Villette propose jusqu'au 28 mai 2017, l'exposition "Afriques Capitales". Le titre est au pluriel, afin de prouver la diversité de la création contemporaine africaine. L'occasion de découvrir une soixantaine d'artistes, curieux et créatifs, dont certains exposent pour la première fois en France.
Ce printemps, l’Afrique sera partout. Les tissus africains seront à la mode et envahiront les rues, la Fondation Vuitton propose une grande exposition sur l’art africain, le musée Branly-Jacques Chirac décrypte les influences de l’art africain chez Picasso, l'Institut du monde arabe présente l’Islam africain, le musée Dapper expose le peintre Soly Cissé, le salon Art Paris fait un focus sur l’art d’Afrique, Les Galeries Lafayette célèbrent le dynamisme de la création sur le continent africain, la maison de vente Christie’s organise une grande vente sur les arts premiers africains et océaniens, et même le musée de l’automate à Souillac présente les marionnettes du Mali. Normal, l’Afrique est un continent d’histoire, d’art et de culture. Mais moi, je décide d’aller à la Villette, voir le premier volet de l’exposition Afriques Capitales, dans le cadre du festival 100 % Afrique. Aujourd’hui, il ne faut plus réduire l’art africain aux masques et aux vielles statuettes en bois, si fascinantes soient-elles. L’Afrique a opéré une formidable mutation, elle s’est bel et bien réveillée, tout en restant fidèle à ses traditions. De nombreux jeunes artistes, influencés par le cinéma et l’art occidental, construisent leurs propres démarches artistiques. Cette exposition est donc une excellente idée, je fonce à la Villette : Viva Africa !
Echanges
Les africains sont champions dans l’art du système D et de la récupération. Le bureau d’accueil pour la presse est réalisé en cagettes plastiques. C‘est l’œuvre de Hassan Hajjaj, né au Maroc en 1961, roi de la création d'un Art pop à la sauce marocaine et de la parodie. Ici, il a conçu un bar cosy, lieu d’échanges, aux couleurs chatoyantes. « Le salon », titre de cette installation conviviale, donne tout de suite le ton. Je suis déjà en Afrique. Mais pour entrer réellement dans l’exposition, il me faut pousser de lourdes bandes plastiques rouges.
Villes et ghettos
J’entre, et je passe du jour à la nuit. Les lumières sont principalement violettes. Le scénographe Stéphane Poli, m’explique qu’il « a voulu une ville africaine la nuit ». Il a fort heureusement évité le décor ethnicisant trop décoratif, sa cité est une succession de cabanes de bois. Le visiteur passe d’une ruelle à une autre. L’ensemble est très réussi. J’entends des bruits de voix sur des marchés, des sons urbains africains. Quelques pas plus loin, une voix grave proclame « La ville est faite pour se perdre... La ville est un organisme vivant ». Je passe devant quelques photos de d’Ala Kheir, né en 1985 au Soudan. Dans les années 90, Khartoum était pleine d’activités. Kheir la photographie vingt ans plus tard, après deux décennies difficiles. Le photographe recherche souvenirs et fantômes... Franck ABD-Bakar Fanny, né en Côte d’Ivoire en 1970, est parti dans trois villes d’Amérique du Nord, dans lesquelles il a travaillé la nuit. Avec sa série de photos, il veut prouver que les ghettos sont partout, et se ressemblent tous...
Destins
Leila Alaoui est une photographe franco-marocaine. Ses recherches portent sur la notion d’identité, à travers le problème de la migration. Sa vidéo « Crossings » est une installation sur trois écrans, elle évoque l’expérience des migrants sub-sahariens. Le film commence par le plan d’une route et par la phrase suivante : « Je suis parti à cause la guerre... Beaucoup de personnes sont mortes dans le désert sans laisser de traces ». Leila Alaoui, jeune femme belle et souriante a, à deux reprises, vécu de très près des attentats terroristes. Le 15 janvier 2016, elle meurt sous les balles de djihadistes, lors de l'attaque d'un restaurant à Ouagadougou. Je regarde cette oeuvre fragmentée, qui mélange les vues d'un désert au sable blanc et celles d'un homme candidat au départ... Le formidable sourire de Leila Alaoui passe dans ma tête...
Lumières
Joseph Kosuth est né en 1945 aux Etats-Unis. Il étudie la philosophie et l'anthropologie. Il désire détruire notre façon d'envisager le monde, vaste programme... Dans cette installation, il répand des mots issus de l'Etranger de Camus et les conjugue en français, en arabe et en anglais. Une façon de nous rappeler que nous sommes tous, à notre façon, des étrangers ?
Chaos
Le cœur de l’immense halle de la Villette est occupé par une gigantesque installation de l’égyptien Youssef Limoud. Ce sont d’immenses blocs de pierre, comme une pyramide détruite. C’est un vrai chaos. Je me renseigne, l’œuvre s’intitule : « Alep », c’est plus clair... Ce travail parle de la destruction qui nous entoure et nous menace, alors que notre propre existence est aussi un labyrinthe fragile...
Tradition
Abdoulaye Konaté s’est, lui aussi, intéressé au drame d’Alep. Né au Mali en 1953, où il est une grande figure de la scène artistique, il expose ce textile, renouant ainsi avec les traditions séculaires de son pays. Son œuvre serait un hommage à tous les êtres qui souffrent de l'horreur des guerres.
Matières
Voilà une bien étrange installation, Poku Cheremeh n’est pas encore sorti de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, mais il se fait déjà remarquer avec cette œuvre curieuse. Il reconstitue sa chambre, mais les murs sont tapissés de crackers suédois et les rideaux tressés avec des cheveux : inhabituel... Pour l’artiste, c’est un retour à son enfance. Il est également très influencé par la peinture flamande, surtout Vermeer, et ça se voit. Dans cette création, je retrouve la lumière un peu froide, de côté, des peintres hollandais.
Cosmos
Je continue ma balade d’une cabane à une autre, d’un univers artistique à un autre. Je découvre plusieurs belles toiles du peintre Ouattara Watts. En Côte d’Ivoire, c’est une star. Il se dit citoyen du monde. A Paris en 1988, il rencontre Jean-Michel Basquiat, qui admire son travail. Basquiat le convainc d’aller à New York. Aujourd’hui encore, Watts y vit et y travaille. Il réalise des tableaux collages à partir de matériaux recyclés. Sur cette toile, j’aperçois le dessin d’une statuette antique accompagnée d’une sorte de cœur éclaté et d’une multitude de signes symboliques. L’artiste travaille toujours en musique, souvent du Jazz. Je remarque qu’Ouattara Watts utilise beaucoup la couleur dorée ou argentée, ce qui n’est pas si fréquent chez un peintre. Je trouve ce tableau plein de vie et de mystère. Ouattara propose une étrange cosmogonie, un artiste important.
Corps flous
J’entre dans une petite pièce, entièrement décorée par les grandes photos de nus de Safaa Mazirh. Pour elle, l’important est d’amener le visiteur vers le rêve. Elle réalise ses premières œuvres en photographiant des poupées et des enfants en noir et blanc. Elle théâtralise de plus en plus le réel et se passionne pour le corps en mouvement. J’observe ce tirage où des personnages flous semblent danser. L’ensemble me rappelle un peu Rubens, en beaucoup plus mystérieux. Je trouve qu’il y a aussi une certaine souffrance dans cette chorégraphie photographique.
Le radeau de la Méduse
Un coup de cœur pour un portrait, fait à base de clous dorés, par Alexis Peskine, né à Paris en 1979. Il accompagne son portrait d’une vidéo surprenante dans laquelle un homme vêtu de toiles de gros sacs, marche dans Paris. Il porte sur sa tête une couronne de tours Eiffel, rappelant, par sa forme, la célèbre statue de la Liberté. Quelques images plus loin, une jeune femme noire donne à manger à un enfant blond. L’ensemble est intitulé « Le radeau de la méduse". Peskine s’est en effet inspiré de la peinture de Géricault. Cette œuvre d’Alexis Peskine joue avec le fantastique et une violence sous-jacente, sans oublier un sens de l’esthétisme certain. Peskine aborde aussi le problème des migrants, qui errent et parfois se perdent, auxquels seul le soleil apporte un peu de chaleur. Les radeaux de la Méduse sont nombreux aujourd’hui. ... Alexis Peskine veut intégrer le monde entier dans son parcours créatif, un artiste à suivre.
Prédominance
Je passe devant la maquette de François-Xavier Gbré, né à Lille en 1978. Il vit à Abidjan. Son projet architectural représente une phrase en chinois : Je suis africain. Il veut réaliser un dédale, dans lequel le visiteur se promènerait, mais il veut aussi « interroger sur la souveraineté d’un pays face à la prédominance de l’Autre ». Le Made in China est désormais omniprésent en Afrique, il est aussi la preuve que ce continent sait sortir de ces valeurs traditionnelles et s’ouvrir au monde.
Au boulot
Simon Gush vit à Johannesburg. A travers une vidéo, il affirme qu’arrêter de travailler, même si l’on est au chômage, est toujours vécu comme un affront par la société. Il y a toujours un soupçon de paresse. J’aperçois les images d’une usine sans employés, vide, dans la petite ville de Nigel. Le film montre une cité fantomatique, les travailleurs sont chez eux. Gush pose la question du poids du travail dans nos vies et de sa réelle importance.
Film noir
Le nigérien Uche Okpa Iroha s’est intéressé au film de Francis Ford Coppola : Le Parrain. Il remarque l’absence de personnages noirs dans le film, alors il restitue les images du film en y intégrant son portrait. Cette photo est donc une réflexion sur le pouvoir et la discrimination raciale aux USA.
Récupération
Je tombe nez avec une grande statue en carton de Lavar Munroe, né à Nassau (Bahamas), en 1982. Elle représente un cheval et un homme. Les matériaux composant cette sculpture, viennent de résidus d’une célébration tribale biannuelle. Plusieurs milliers de personnes, issues de communautés tribales, travaillent ensemble pendant six mois, pour créer des costumes en cartons et en bandes adhésives. Munroe récupère, après la fête, ce matériel fragile. L'ensemble a un côté parodique, dérisoire, ludique, pitoyable. Son cavalier a encore des progrès à faire...
Comme un lion
Je lève les yeux et découvre cette belle installation de Nabil Boutros, égyptien. C’est un gros nuage, composé de petits sacs plastiques éclairés, entourés d’un gros fil barbelé noir. Il m’explique qu’il s’agit d’un rêve, symbolisant le désir qui, tel un fauve, doit passer le cercle, franchir l’obstacle, pour s’imposer. Le désir devient ainsi une sorte de félin. Il me dit aussi s’être inspiré d’un dessin de Topor, un dessinateur que j'adore. Nabil Boutros s'est fait connaître par des travaux sur les coptes (chrétiens d'Egypte), et sur les affiches publicitaires dans les pays émergents.
Progrès
Avant de sortir, je découvre une grande salle blanche remplie de petites vitrines, dans lesquelles je vois des personnages ou des objets en bois. Ce sont des œuvres de Pume Bylex, né en 1968 à Kinshasa, en République démocratique du Congo. L’artiste se pose une seule question : pourquoi pas ? Et il invente... Je découvre une chaussure croissante transformable pour trois âges, et oui pourquoi pas... Pour Pume, tout est possible. Il veut renouer avec le siècle de Léonard de Vinci ou de Giotto. Inventeur, constructeur, ingénieur, artiste, il veut construire un monde conforme à ses pensées et renouer avec le culte du progrès. Et oui, tout est possible, pourquoi pas...
Migrations et modernisme
Je refais un tour général et une chose me saute aux yeux : le thème de la migration et de l’exil est très présent et domine les autres. Ce n’est évidemment pas un hasard... Cette exposition, aux cartels pas assez explicatifs et pédagogiques, prouve le dynamisme, l’éclectisme et la maturité des créateurs africains. Ils sont à la fois inquiets face au drame des migrants et fiers d’appartenir à une Afrique qui, malgré son passé lointain difficile, a su relever la tête. Cette Afrique complexe, diverse, se conjugue désormais au présent. Consciente du poids du passé, de la corruption, des croyances religieuses, elle se tourne avec fierté vers le XXIe- XXIIe siècle, prête à jouer le rôle qu’elle mérite dans un monde moderne. Et pas de doute, l’art contemporain africain est à prendre très au sérieux, collectionneurs et conservateurs de musées l’ont déjà compris.
Je sors. L’exposition se déploie au-delà de la Grande halle, avec une présentation de photographies, grand format, à l’air libre.
PS : Un deuxième volet de l’exposition « Afriques Capitales », se déroulera à partir du 06 avril à la gare Saint-Sauveur de Lille.
Grande halle de la Villette
Du mercredi au dimanche de 12h à 20h
Entrée : huit euros